TAS-CAS – Tribunale Arbitrale dello Sport – Corte arbitrale dello Sport (2007-2008)———-Tribunal Arbitral du Sport – Court of Arbitration for Sport (2007-2008) – official version by www.tas-cas.org Arbitrage TAS 2004/A/791 Le Havre AC c. Fédération Internationale de Football Association (FIFA), Newcastle United & Charles N’Zogbia, sentence du 17 juillet 2007
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Arbitrage TAS 2004/A/791 Le Havre AC c. Fédération Internationale de Football Association (FIFA), Newcastle United & Charles N’Zogbia, sentence du 17 juillet 2007
Formation: M. Gérard Rasquin (Luxembourg), Président; Me François Klein (France); Prof. Gérald Simon (France)
Football
Rupture unilatérale du contrat de travail entre un joueur et son club Application du droit national
Portée des dispositions prévues par une convention de formation et par la Charte du football professionnel Perte de chance de transfert
1. L’article 43 du Règlement FIFA 2001 sur le Statut et le Transfert des Joueurs précise
que le système de règlement des litiges et le système arbitral tiendront compte de tous les arrangements, lois et/ou conventions collectives d’ordre national. En application de cette disposition, il appartient à l'instance d’audition de déterminer, au cas par cas, dans quelle mesure le droit local doit être pris en compte. La possibilité de “tenir compte” de règles de droit interne n’implique nullement que l’organe décisionnel de la FIFA ou le TAS, en tant que juridiction d’appel, aient l’obligation d’appliquer exclusivement les règles de droit interne dans la mesure où celles-ci existent.
2. Tant les règles contenues dans une convention de formation conclue en vertu de l'article
15-4 de la loi française du 16 juillet 1984 que les règles de la Charte française du football
professionnel sont de portée nationale et ne sauraient prétendre déployer directement
leurs effets dans un autre Etat. Suivant cette logique, il y a lieu de retenir qu’en se
référant à la signature d’un contrat “en faveur d’un autre groupement sportif
professionnel”, la convention de formation vise uniquement un groupement sportif professionnel français et les conséquences spécifiques prévues par la convention de formation ne s’appliquent pas lorsqu’un joueur rompt son contrat de manière anticipée et non justifiée pour signer en faveur d'un club étranger. De ce fait, l’indemnité de rupture doit être fixée sur la base des seules dispositions relatives au maintien de la stabilité contractuelle du Règlement FIFA.
3. La méthode consistant à tirer un parallèle entre le cas d’espèce, d’une part, et d’autres
joueurs formés par le club et transférés récemment, d’autre part, pour évaluer la perte de chance de pouvoir, le cas échéant, négocier le transfert du joueur à un autre club, aboutit à une estimation excessivement incertaine et improbable, au regard aussi bien des particularités d’un cas d’espèce que de la difficulté objective de tirer des parallèles entre les trajectoires de joueurs différents, transférés à des clubs différents et dans des contextes socio-économiques différents.
Monsieur Charles N’Zogbia est un footballeur de nationalité française, né le 28 mai 1986. Il évolue actuellement, en tant que joueur professionnel, sous les couleurs du club de Newcastle dans le championnat anglais de Première Ligue.
Alors âgé de 17 ans, il a signé le 29 mars 2003 avec le club français du Havre deux contrats:
- le premier, dénommé “convention de formation” (la “Convention”), a été conclu pour la
période du 1er juillet 2003 au 30 juin 2006 conformément aux dispositions de l’article 15-
4 de la loi française du 16 juillet 1984 qui fait obligation aux clubs disposant d’un centre
de formation agréé de conclure de telles conventions avec les joueurs qui y sont intégrés;
- le second, dénommé “contrat de joueur Aspirant”, conclu pour une saison sportive, entrant
en vigueur à compter du 1er juillet 2003 et allant jusqu’au 30 juin 2004.
Le 29 mars toujours, Le Havre et M. N’Zogbia ont signé un document intitulé “dispositions particulières”,
visant à fixer les relations contractuelles et financières entre parties, le club s’engageant notamment à
proposer au joueur en avril 2004 un “contrat de joueur Stagiaire”, conformément aux dispositions de la
Charte française du football professionnel puis en avril 2006, si les résultats sportifs du joueur le
justifiaient, une proposition de joueur professionnel d’une durée de trois ans, en application de la
même Charte.
Le contrat de “joueur Aspirant” de M. N’Zogbia est venu à son terme le 30 juin 2004, à l’échéance du délai contractuel d’une saison qui était expressément prévu.
Préalablement, le 1er mars 2004 (soit dans le délai prévu à cet effet par la Charte), Le Havre avait proposé à M. N’Zogbia la signature d’un nouveau contrat de “joueur Stagiaire” et la prolongation pour deux années supplémentaires de la durée de validité de la Convention de formation.
Cette proposition du club, renouvelée plusieurs fois, est restée sans effet et n’a jamais été acceptée par
M. N’Zogbia.
A la fin du mois de juin 2004, Le Havre a appris que M. N’Zogbia accomplissait un test en vue d’un éventuel engagement avec le club de Newcastle. Le 12 juillet, Le Havre a écrit à Newcastle pour aviser ce dernier que le joueur n’était pas libre.
M. N’Zogbia ne s’est pas présenté, le 15 juillet 2004, à la reprise des entraînements du groupe Elite du centre de formation du Havre.
Le 3 août 2004, Newcastle a confirmé au Havre sa volonté de proposer un contrat à M. N’Zogbia et a offert au Havre de lui verser une indemnité de 50’000.00 EUR.
Le 5 août 2004, la fédération anglaise de football (“FA”), agissant sans nul doute à la demande de Newcastle, a requis de la FFF des informations relatives au statut du joueur N’Zogbia.
Newcastle et M. N’Zogbia ont conclu un contrat de travail de joueur de football professionnel à cette même période.
Le 11 août 2004, Newcastle a requis de la FA que celle-ci entreprenne, auprès de la FFF voire de la
FIFA, les démarches nécessaires à l’obtention d’un certificat international de transfert pour M.
N’Zogbia.
Le 16 août 2004, la FFF a refusé d’émettre un tel certificat. La FIFA a été saisie du dossier et les
parties ont eu l’occasion de s’exprimer dans le cadre de l’instruction menée par la commission
compétente.
Le 2 septembre 2004, un responsable de la commission du statut du joueur, agissant au nom de la Chambre de Règlement des Litiges de la FIFA (“CRL”), a décidé d’autoriser à titre provisoire l’enregistrement du joueur N’Zogbia auprès de la FA, en tant que joueur de Newcastle.
Le 9 novembre 2004, la CRL de la FIFA a décidé d’ajourner sa décision finale sur le fond du dossier jusqu’à sa réunion du 26 novembre, et invité Le Havre et M. N’Zogbia à entrer en négociation afin de trouver un accord amiable.
Aucun accord n’étant alors intervenu, la CRL de la FIFA a rendu, le 26 novembre 2004, une décision aux termes de laquelle il fut constaté que le joueur n’avait pas de lien contractuel relevant du droit du travail avec Le Havre au 1er juillet 2004, que M. N’Zogbia n’avait pas d’obligation de réintégrer le club du Havre ou de signer un nouveau contrat avec celui-ci, et que le joueur pouvait être enregistré pour Newcastle auprès de la FA.
Dans cette même décision, la CRL a retenu que Newcastle devait verser au Havre une indemnité de
formation, calculée selon le barème fixé par le règlement de la FIFA concernant le statut et le transfert
du joueur (le “Règlement FIFA”), de 300’000 EUR. Cette décision fut notifiée aux parties le 16
décembre 2004.
Sur l’appel interjeté, le 17 décembre 2004, par Le Havre, le Tribunal arbitral du sport (“TAS”) a rendu, le 27 octobre 2005, une sentence partielle - relative aux aspects non-pécuniaires de cette affaire - dont le dispositif est le suivant:
“Le Tribunal Arbitral du Sport
a. Déclare recevable l’appel formé par Le Havre le 17 décembre 2004.
b. Admet partiellement l’appel et annule la décision de la FIFA du 26 novembre 2004, dans la mesure où
celle-ci s’est estimée incompétente pour juger des droits et obligations respectifs de M. N’Zogbia et du
Havre au titre de la Convention de formation.
c. Constate la violation par M. N’Zogbia de ses obligations contractuelles envers Le Havre.
d. Dit que les parties seront prochainement invitées par le secrétariat du TAS à se déterminer par écrit sur
la question des éventuelles indemnités supplémentaires dues au Havre, dans le sens des attendus de la
présente sentence.
e. Confirme la décision de la FIFA pour le surplus, notamment les points 2, 3 et 4 de son dispositif.
f. Rejette toutes autres conclusions des parties.
g. Renvoie à la sentence finale sa décision relative à la prise en charge des dépens et des frais de l’arbitrage”.
Dans le cadre de cette sentence, la Formation a notamment considéré que
“la prise en compte appropriée des “arrangements” d’ordre national existant dans le cas d’espèce et du système de formation français pris dans son ensemble, notamment de la Convention de formation rompue unilatéralement par le joueur, pourra justifier de tirer d’autres conséquences en termes de dommages-intérêts en faveur du Havre, en plus de l’indemnité de formation déjà reconnue par la CRL de la FIFA.
En particulier, la Formation estime qu’il y a lieu d’examiner, compte tenu de la prise en compte de la Convention
rompue unilatéralement par le joueur et du contrat signé dans de telles conditions avec Newcastle, si les sanctions
spécifiques prévues dans la Convention et/ou les sanctions applicables en matière de maintien de la stabilité
contractuelle dans le football, au sens du Règlement FIFA applicable, doivent être appliquées et dans quelle
mesure”
(attendus n° 90 et 91 de la sentence du 27 octobre 2005; mis en exergue par les soussignés).
Ainsi, la Formation a clairement indiqué, dans sa sentence du 27 octobre 2005, que la question du
bien-fondé et du montant d’éventuelles indemnités supplémentaires en faveur du Havre était encore
ouverte et, précisément, méritait une instruction complémentaire dès lors que les problèmes y relatifs
n’avaient pas été abordés de manière suffisamment approfondie dans le cadre des débats initiaux.
Le 10 novembre 2005, le secrétariat du TAS a ainsi invité Le Havre à se déterminer, dans un délai de
20 jours, sur les éventuelles indemnités supplémentaires qui lui seraient dues.
Le Havre a, les 15 et 18 novembre 2005, demandé que lui soient communiqués l’ensemble des éléments contractuels liant Charles N’Zogbia à Newcastle United depuis son départ du centre de formation du Havre à ce jour, en particulier le contrat actuellement en cours, la proposition contractuelle actuellement en discussion et tous les avantages de quelque nature que ce soit dont bénéficie N’Zogbia dans le club de Newcastle.
Les parties intimées Newcastle et N’Zobgia se sont opposées à ces productions par mémoires respectivement des 29 novembre, 9 décembre et 12 décembre 2005; 28 novembre 2005, 9 décembre 2005 et 3 janvier 2006.
La Formation a fait savoir aux parties, le 31 janvier 2006, qu’elle estimait que les pièces dont la production était requise n’étaient pas pertinentes et qu’en conséquence leur production n’avait pas à être ordonnée.
Le Havre a déposé, le 17 février 2006, son mémoire relatif aux indemnités complémentaires, accompagné de deux pièces (à savoir les rapports KPMG et Deloitte).
A la demande des intimés, la Formation a, le 4 mai 2006, ordonné que leur soient communiqués les
états financiers du Havre de 1997 à 2004 et le compte-rendu des travaux du séminaire de la Ligue de
football professionnel des 25/26 mars 2005. Le Havre a donné suite à cette demande le 5 mai 2006.
Les parties intimées Newcastle et Charles N’Zogbia ont déposé leur mémoire en réponse, accompagné de nombreuses pièces, respectivement le 6 et le 7 juin 2006.
L’audience de jugement (l’ “Audience”) s’est tenue, en application de l’article R28, deuxième phrase du Code de l’arbitrage en matière de sport, à Montpellier (France) le 11 juillet 2006.
La Formation, composée de M. Gérard Rasquin, président, Me François Klein et Prof. Gérald Simon, arbitres, était présente, assistée du Premier conseiller auprès du TAS, M. Ousmane Kane, et du greffier ad hoc, Me Laurent Isenegger.
Le Havre était représenté à l’audience par M. Jean-Pierre Louvel, Président du Directoire de la SASP,
M. Luis Garcia, Président de l’Association, et M. Alain Belsoeur, directeur de la SASP, assistés de Me Sophie Dion-Loye, avocate à Paris.
M. N’Zogbia était présent à l’audience. Il était assisté de Me Christophe Bertrand, avocat à Paris. Newcastle était représenté par MM. Russell Cushing et Lee Charnley, et assisté de Me Eric Serre et de Me John Marshall, avocats. La FIFA n’était pas représentée.
La Formation a eu l’occasion d’entendre les experts auteurs des rapports produits par Le Havre et par
Newcastle, respectivement. Aucun témoin n’a été cité à comparaître par l’une ou l’autre des parties.
Dans le cadre de l’Audience, la Formation a pu poser les questions qu’elle jugeait utiles aux parties et
aux experts. Toutes les parties ont ensuite eu l’occasion d’exposer leurs arguments et demandes.
Le Havre considère en substance que:
- L’indemnité de formation allouée par la CRL au Havre en application mécanique du
barème FIFA aurait été due en tout état de cause; elle ne réparerait pas la rupture unilatérale de la Convention;
- Conformément à la Charte du football professionnel et au Règlement FIFA, il
conviendrait, pour calculer l’indemnité supplémentaire de formation, de retenir les
critères généraux (dépense moyenne totale annuelle du club pour la formation, nombre
moyen de joueurs formés, nombre de joueurs issus du centre de formation ayant obtenu
un contrat de joueur professionnel, détermination de l’indemnité annuelle à partir des
données obtenues aux étapes précédentes) et des spécificités du cas ou circonstances
exceptionnelles (durée et qualité de la formation, caractère exceptionnel du joueur);
- L’étude réalisée par la société KPMG aurait calculé le coût annuel moyen de la formation
d’un joueur par le Havre, sur la période 1997/2004, et l’aurait, compte tenu du taux de
réussite, arrêté à 653’369.- EUR. Charles N’Zogbia ayant été présent au centre de
formation du Havre pendant 7 saisons, les coûts générés par sa formation pourraient être valorisés à 4’574’000.- EUR et l’indemnité supplémentaire liée à la rupture unilatérale de la convention être fixée à ce montant;
- Il y aurait atteinte au principe, d’importance capitale dans le domaine du football, de la
stabilité contractuelle, par la violation des engagements contractuels connexes à la
Convention de formation (plan de carrière, contrat stagiaire, Charte du football
professionnel) et par méconnaissance des principes de sécurité juridique et pacta sunt
servanda;
- Selon l’article 22 du Règlement FIFA, sans préjudice de l’indemnité de formation,
l’indemnité de rupture de contrat doit être calculée conformément au droit national, aux
spécificités du sport et en tenant compte de critères objectifs, comme la rémunération et
autres bénéfices dans le contrat en cours et/ou le nouveau contrat, la durée de la période
restante du contrat en cours, le montant des frais payés par l’ancien club amortis au
prorata sur le nombre d’années du contrat ainsi que la circonstance que la rupture
intervient pendant une période protégée. L’application des critères objectifs auxquels se
réfère cette disposition confirmerait les chiffres retenus par l’étude KPMG;
- En violant prématurément ses engagements contractuels, N’Zogbia aurait privé le club
de réaliser un contrat de transfert et donc, compte tenu de la valeur exceptionnelle du joueur, une indemnité substantielle. Par référence à des transferts ayant donné lieu en moyenne à des indemnités à hauteur de 3’700’000.- EUR, Newcastle devrait, le cas échéant, reverser au Havre 50 % de la plus-value;
- Il conviendrait, pour la détermination de l’indemnisation supplémentaire à allouer au
Havre, de tenir compte encore de la perte de chance liée à l’indemnité de solidarité prévue par le Règlement FIFA et des conséquences collatérales du départ du joueur sur le centre de formation;
- L’indemnité proposée serait une moyenne des différents chefs développés par l’Appelant
et devrait être fixée en tout et pour tout à 4’260’000 EUR.
- Des sanctions complémentaires devraient être infligées à Newcastle, qui aurait débauché
le joueur, et à l’intermédiaire Richard Glass.
Sur la base de ces éléments, Le Havre a pris les conclusions suivantes dans le cadre de ses écritures du
17 février 2006:
“Le Tribunal Arbitral du Sport devra
CONDAMNER Charles N’Zogbia et NEWCASTLE UNITED à garantir la créance conformément au
règlement FIFA, au paiement, dans les trente jours suivant la notification de la décision, de dommages et intérêts
d’un montant prenant en compte les différents chiffrages développés à partir d’éléments objectifs, soit une indemnité
de 4’260’000.- EUR correspondant à la moyenne résultant des chiffrages effectués et n’étant pas inférieur à
3’700’000.- EUR, augmentée ultérieurement d’un intéressement de 50 % sur la plus-value générée par toute
indemnité de transfert perçue par NEWCASTLE UNITED et du dessaisissement de NEWCASTLE
UNITED au profit du HAC de toute indemnité de solidarité FIFA pendant la carrière du joueur.
PRONONCER à l’égard de NEWCASTLE UNITED les sanctions prévues par le règlement FIFA;
PRONONCER à l’égard de Richard Glass toute sanction que le Tribunal Arbitral du Sport estimera conforme aux agissements commis”.
La partie intimée Newcastle United FC prend en substance position comme suit:
- Elle excipe de l’incompétence du TAS et de l’irrecevabilité de la demande du Havre;
- L’article R 47 du Code de l’arbitrage en matière de sport instaure comme l’une des
conditions de recevabilité d’un appel devant le TAS contre une décision d’une fédération,
l’épuisement des voies de droit préalables à l’appel. En l’espèce, la commission juridique
de la Ligue du football professionnel serait exclusivement compétente, aux termes de
l’article 265-1 de la Charte du football professionnel, pour traiter les litiges relatifs à la
résiliation unilatérale de la Convention de formation. De même, l’article 16.5 de la
Convention de formation renverrait expressément à la compétence de la Ligue pour le
règlement de tout litige relatif à son inexécution. Aucun organe de la Ligue n’aurait été
saisi d’une demande du Havre, qui ferait du forum shopping devant le TAS. Il n’y aurait
pas eu, sur la question indemnitaire, d’épuisement des voies de recours internes. Le pouvoir d’examen du TAS ne pourrait s’exercer que si les conditions de recevabilité de l’article R47 étaient remplies, ce qui ne serait pas le cas en l’occurrence;
- Les demandes indemnitaires du Havre seraient irrecevables en raison de leur nouveauté
et tardiveté. L’appelant n’aurait, originairement, prétendu qu’à la seule réintégration du joueur. Les articles R51 et R56 du Code de l’arbitrage s’opposeraient à l’extension du débat. Le principe ne ultra petita s’imposerait à toute juridiction arbitrale;
- Sur le fond du litige, Newcastle fait observer que la sentence rendue le 27 octobre 2005 a
réservé le sujet d’ “éventuelles” indemnités supplémentaires; le principe d’une indemnité
ne serait nullement établi. Les demandes du Havre seraient en toute hypothèse mal
fondées;
- Quant à l’indemnité supplémentaire de formation demandée par l’Appelant, il y aurait lieu
de constater qu’elle n’est plus d’actualité, qu’elle n’est appuyée par aucun élément de preuve d’un coût supplémentaire, qu’elle n’établit l’existence d’aucune circonstance particulière seule de nature à justifier un ajustement;
- Le coût de formation réel invoqué serait manifestement disproportionné et
particulièrement exagéré;
- Le rapport KPMG n’aurait pas la nature d’un véritable audit comptable; il se fonderait
sur certains postes comptables choisis sur la base d’une comptabilité analytique, et non
sur la réalité des comptes comportant l’intégralité des charges et produits; il prendrait le
parti de mélanger des comptes de la SASP (concernant le contrat de travail) et ceux de
l’association sportive (relatifs au contrat de formation) à leur stade consolidé sur la base d’une comptabilité analytique, sans indiquer les clés de répartition et de ventilation;
- Le rapport KPMG ne comptabiliserait que des charges, sans tenir compte des produits
(subventions, aides publiques, publicité, sponsors, droits audiovisuels). Il conviendrait de récapituler la liste des chiffres non pris en compte, pour lesquels un prorata aurait dû être appliqué, soit un total de 7’988’000.- EUR, voire de près de 11 millions EUR;
- Le caractère disproportionné des demandes du Havre serait au demeurant démontré par
plusieurs documents publics et le rapprochement avec des précédents;
- Sur les demandes au titre du maintien de la stabilité contractuelle, il conviendrait de
constater que les articles 21 à 24 du Règlement FIFA ne sont pas applicables à une Convention de formation “à la française”, ceci en raison de l’absence de contrat de travail en cours, de l’irrecevabilité des demandes de la SASP, non partie à la Convention de formation, du fait que le Règlement FIFA n’a été conçu et ne peut donc entrer en jeu que dans le contexte d’un contrat de travail entre club et joueur;
- En toute hypothèse, une demande d’indemnisation ne pourrait être fondée sur un contrat
de travail aspirant expiré ni sur une proposition de contrat stagiaire non acceptée, ni sur
“des dispositions particulières” inopposables au joueur parce que non homologuées;
- L’indemnité de plus de 4 millions EUR serait fondée par Le Havre sur l’obligation du
joueur d’avoir à signer un contrat professionnel à l’issue de la formation. Cette obligation serait nulle, s’agissant soit d’une clause de non-concurrence sans contrepartie financière, soit d’une clause de dédit-formation ne satisfaisant à aucune des conditions de fond cumulatives posées par la Chambre sociale de la Cour de Cassation (frais de formation supérieurs aux dépenses imposées par la loi ou la convention collective, maintien de la faculté de démissionner, convention particulière précisant le coût réel de la formation et le montant et les modalités de remboursement);
- En toute hypothèse, le joueur et a fortiori Newcastle ne sauraient être condamnés qu’à
des dommages et intérêts dont le montant serait apprécié conformément aux principes jurisprudentiels établis en la matière: seuls les frais réels de formation engagés par l’employeur au-delà de son obligation légale seraient remboursables en cas de rupture anticipée du contrat;
- L’application des critères objectifs de l’article 22 du Règlement FIFA ne serait que
subsidiaire “si rien n’est prévu par le contrat”. En l’occurrence, la Convention de formation envisagerait expressément comme seule conséquence de sa rupture le versement d’une indemnité de formation;
- La demande indemnitaire liée à la réparation d’une perte de chance (éventuel transfert ou
prime de solidarité) serait purement hypothétique et incertaine; elle ne pourrait, en tout état de cause, être dirigée contre un joueur mineur et amateur.
Newcastle a conclu ainsi, en substance, à ce que Le Havre soit débouté de toutes ses demandes, fins et conclusions, avec suite de frais et dépens.
La partie intimée Charles N’Zogbia considère, en substance et à titre principal, que toutes les demandes d’indemnités supplémentaires formées à son encontre sont irrecevables, et, à titre subsidiaire, que ces demandes sont mal fondées. Charles N’Zogbia estime notamment que:
- Le Havre AC n’aurait jamais, dans la présente affaire, formulé la moindre demande
pécuniaire à son égard. Les demandes nouvelles seraient irrecevables au regard du principe ne ultra petita partiu, consacré en droit français et en droit suisse, par le Code de l’arbitrage en matière de sport et par la jurisprudence du TAS;
- Le TAS serait incompétent en raison, d’une part, du fait que la demande d’indemnités
supplémentaires n’a pas été soutenue précédemment devant la FIFA, d’autre part, de la
compétence exclusive des juridictions françaises et de la Ligue du football professionnel,
la Convention de formation étant une convention française relevant de l’ordre juridique
français;
- Les demandes du Havre seraient irrecevables parce que fondées sur une cause illicite, à
savoir une obligation de non-concurrence ne répondant pas aux exigences très strictes posées par la Cour de Cassation française;
- En toute hypothèse, les demandes d’indemnités supplémentaires devraient être rejetées
en l’absence de tout fondement;
- La demande présentée au regard des dispositions spécifiques de la Convention de
formation ne serait pas appuyée par le moindre élément économique objectif et certain, moins encore par une offre de preuve admissible. De toute manière, elle serait inopérante à l’encontre de N’Zogbia, l’article 9 du règlement d’application du Règlement FIFA concernant le Statut et le Transfert des Joueurs disposant que seul le “nouveau club” peut en être redevable, et non le joueur lui-même;
- Au regard de la demande d’indemnité liée à l’atteinte au principe de stabilité contractuelle,
il conviendrait de constater que ce principe n’est exprimé que dans le cadre des rapports
entre professionnels et clubs. Il ne s’appliquerait donc pas en l’espèce, N’Zogbia n’étant,
aux termes de la Convention de formation, qu’un simple amateur du fait que le contrat
de travail aspirant était venu à expiration sans qu’ait été conclu de nouveau contrat de
travail;
- L’indemnité de formation d’ores et déjà perçue par le Havre couvrirait amplement toute
demande supplémentaire qui, en tout état de cause, ne serait prévue ni par la Charte, ni par la Convention;
- L’application des critères objectifs de l’article 22 du Règlement FIFA ne serait que
subsidiaire, “si rien n’est prévu par le contrat”. En l’occurrence, la Convention de formation envisagerait expressément comme seule conséquence de sa rupture le versement d’une indemnité de formation;
- La demande indemnitaire liée à la réparation d’une perte de chance (éventuel transfert ou
prime de solidarité) serait purement hypothétique et incertaine; elle ne pourrait, en tout état de cause, être dirigée contre un joueur mineur et amateur.
Charles N’Zogbia conclut ainsi à ce que le Havre soit débouté de toutes ses demandes, fins et conclusions.
DROIT
Questions préalables
A. Compétence du TAS et recevabilité
1. En substance, les parties intimées considèrent que les prétentions en indemnisation du Havre
sont irrecevables et/ou que le Tribunal arbitral du sport est incompétent pour s’en saisir, du fait
essentiellement (i) qu’elles constitueraient des demandes nouvelles que la Formation ne pourrait
examiner sauf à violer le principe de l’interdiction de statuer “ultra petita”, (ii) qu’elles n’auraient
jamais été soulevées précédemment devant la CRL de la FIFA comme le principe du double
degré de juridiction l’exigerait, et (iii) du caractère exclusif de la compétence des juridictions françaises et de la LFP, qui s’étendrait au présent litige.
2. La Formation rappelle à titre liminaire que, dans le cas d’espèce, elle tient sa compétence de sa
qualité d’autorité de jugement sur appel désignée par la FIFA pour revoir les décisions rendues
en dernier ressort par les organes juridictionnels internes de la FIFA, notamment la CRL (voir
articles R27 et R47 du Code de l’arbitrage en matière de Sport, ainsi que les articles 59 al. 1 et
60 al. 1 des statuts de la FIFA).
3. Ainsi, à teneur de l’article 59 alinéa 1 des statuts de la FIFA, le TAS est compétent pour juger
de tout différend opposant la FIFA, les confédérations, les membres, les ligues, les clubs, les
joueurs, les officiels, les agents de matches et les agents de joueurs licenciés. L’article 60 al. 1
des statuts de la FIFA dispose que “le TAS est seul compétent pour traiter des recours interjetés contre
toute décision ou sanction disciplinaire prise en dernier ressort par toute autorité juridictionnelle de la FIFA”.
4. La voie de l’appel au TAS, notamment contre une décision de la CRL de la FIFA, est assortie
de l’effet dévolutif complet. L’article R57 précise ainsi que la “Formation revoit les faits et le droit avec plein pouvoir d’examen”. Dans ce contexte le TAS peut statuer aussi bien comme autorité de cassation (en revoyant une cause à l’autorité inférieure dont la décision aurait été annulée, pour nouvelle décision) ou comme autorité de réformation: “[E]lle peut (…) rendre une décision nouvelle se substituant à la décision attaquée (…)”.
5. En l’espèce, la Formation agit en tant qu’autorité juridictionnelle supérieure appelée à examiner,
en appel, le bien-fondé d’une décision prise par la CRL le 26 novembre 2004 dans une cause opposant Le Havre à Charles N’Zogbia et à Newcastle.
6. Il faut rappeler ici que, dans le cadre de cette procédure devant la CRL de la FIFA, celle-ci avait
- dans une décision incidente du 9 novembre 2004 - invité les parties à négocier une solution amiable au litige.
7. Cette invitation résultait du constat préalable fait par la CRL que le joueur N’Zogbia, “en partant
à l’étranger avant le terme de sa convention de formation et sans résiliation de la même, a violé cette convention”. La CRL avait alors considéré préférable - plutôt que de “prendre une décision sur les conséquences de la rupture de la convention de formation” - d’accorder un délai aux parties pour tenter de trouver une issue amiable à leur différend (voir décision de la CRL du 9 novembre 2004, page 4).
8. La CRL avait, dans la même décision et pour le cas où les parties ne pourraient se concilier, fixé
un délai au Havre pour “indiquer le dommage qu’il estime avoir subi par la rupture de la convention de formation par le joueur” (voir décision de la CRL du 9 novembre 2004, page 4).
9. Comme les parties n’avaient pas été en mesure de trouver un terrain d’entente dans le délai fixé,
le Havre avait, dans le cadre de la procédure devant la CRL, fait valoir, comme on l’y avait invité,
son dommage résultant, selon ce club, de la violation de la Convention de formation par le
joueur N’Zogbia. Ainsi, à teneur de la Décision attaquée de la CRL du 26 novembre 2004, le
Havre avait estimé que son préjudice dans ce contexte s’élevait à 1’000’000 EUR au moins, si le
joueur était réintégré dans le club, et à 4’000’000 EUR environ, si le joueur n’était pas réintégré dans le club (voir Décision de la CRL du 26 novembre 2004, page 4).
10. Par la suite, dissociant dans son argumentation le contrat de travail du joueur, qui avait expiré,
de la Convention de formation, qui avait été unilatéralement rompue sans motif par le joueur,
la CRL s’était - soudainement et de façon contradictoire au vu des considérations contenues
dans sa décision préalable du 9 novembre 2004 - dite incompétente pour apprécier les
conséquences de la violation de la Convention de formation. La CRL a ainsi alloué uniquement
une indemnité de formation de 300’000 EUR au Havre selon les barèmes fixés par les règles de
la FIFA, mais n’a octroyé aucune indemnité supplémentaire au titre de la violation des
obligations contractuelles du joueur (voir Décision de la CRL du 26 novembre 2004, pages 5 à
10).
11. Dans sa sentence du 27 octobre 2005, la Formation a précisément critiqué cette logique suivie
par la CRL dans la Décision attaquée, et a rappelé que les accords existant entre les parties au
30 juin 2004 devaient être considérés comme un ensemble contractuel indissociable.
12. Ce faisant, la Formation s’est naturellement interrogée à nouveau sur la question des
conséquences pécuniaires éventuelles découlant de la violation de la Convention de formation par M. N’Zogbia, comme la CRL avait elle-même commencé à le faire dans sa décision préalable du 9 novembre 2004, avant de modifier sa position en cours d’instruction de la cause et dans sa Décision du 26 novembre 2004.
13. Cela étant dit, il s’avère donc bien qu’en se saisissant à nouveau de cette problématique déjà
soumise à la CRL et au sujet de laquelle le Havre avait formulé des prétentions chiffrées, la Formation ne fait qu’exercer à bon droit son pouvoir de cognition complet d’une cause dont elle est saisie en tant que juridiction d’appel avec plein pouvoir de réformation.
14. C’est au vu de ces éléments que la Formation a considéré qu’elle était parfaitement habilitée,
même si, dans son appel initial, Le Havre n’avait pas repris ses conclusions chiffrées en paiement
d’une indemnité telles qu’avancées devant la CRL, à inviter les parties, au vu des attendus de sa
sentence du 27 octobre 2005, à (re-)prendre position explicitement sur la question des
éventuelles indemnités dues au Havre du fait de la rupture abusive de la Convention de
formation.
15. A cet égard, il faut relever que l’article R56, cité par les parties intimées pour justifier de
l’irrecevabilité de demandes non formulées dans l’acte d’appel initial, n’est pas invoqué à bon droit par la partie Appelante.
La Formation rappelle en particulier que dans son mémoire d’appel du 4 janvier 2005, Le Havre
avait notamment conclu à ce que la Formation prononce des “sanctions financières prévues par le
Règlement FIFA” à l’encontre de tous les acteurs ayant agi dans le cadre de la rupture injustifiée
de la Convention.
Ce faisant, Le Havre avait, selon la Formation, réservé la possibilité de demandes chiffrées, de
sorte que l’on n’est pas en présence, aujourd’hui, de demandes nouvelles au sens de l’article R56
précité.
16. Le Havre ayant ainsi, dans la présente procédure, formulé ses prétentions financières contre les
parties intimées dans son mémoire du 17 février 2006 à l’invite de la Formation, et cette façon de conduire la procédure privilégiée par la Formation étant parfaitement conforme aux règles applicables en l’espèce, celle-ci ne saurait statuer ultra petita en condamnant M. N’Zogbia ou Newcastle, le cas échéant, au paiement d’une indemnité complémentaire au Havre du fait de la violation par le joueur de ses obligations contractuelles.
17. De même, l’argument des parties intimées tiré du caractère exclusif de la compétence des
juridictions françaises et de la LFP ne saurait non plus être retenu. En effet, la Décision de la CRL attaquée porte sans nul doute sur un litige à caractère international et, partant, le TAS est habilité à trancher toutes les questions qui s’y rapportent, y compris sous l’angle financier ou disciplinaire. Newcastle et N’Zogbia ont reconnu le caractère international du présent litige en prenant part à la procédure devant la CRL de la FIFA.
B. Règles applicables
18. L’article 59 alinéa 2, seconde phrase des statuts de la FIFA prévoit que “le TAS applique les diverses
règles émises par la FIFA ou, le cas échéant, par les confédérations, les membres, les ligues, les clubs et, à titre supplétif, le droit suisse”.
19. L’article R58 du Code de l’arbitrage en matière de Sport prévoit que “[l]a Formation statue selon
les règlements applicables et selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit dont la Formation estime l’application appropriée. Dans ce dernier cas, la décision de la Formation doit être motivée”.
20. En l’espèce, les parties ont toutes directement ou indirectement accepté les statuts de la FIFA.
Les règles applicables sur le fond en l’espèce pour juger du bien-fondé et du montant des
éventuelles prétentions financières du Havre sont donc celles prévues par l’article 59 des statuts
de la FIFA, dont le Règlement FIFA (tel que défini dans la sentence du 27 octobre 2005).
21. Par renvoi des dispositions précitées, la Formation pourra - à titre supplétif et dans la mesure
utile - appliquer le droit suisse, s’agissant notamment de questions relatives à la détermination du dommage et/ou à la fixation d’une indemnité résultant d’une violation contractuelle. La Formation pourra notamment se fonder sur les articles 42 al. 2 et 43 du code suisse des obligations applicables par renvoi de l’article 99 alinéa 3.
S’agissant du droit français, l’article 43 du Règlement FIFA précise que “le système de règlement des
litiges et le système arbitral tiendront compte de tous les arrangements, lois et/ou conventions collectives d’ordre
national, de même que des spécificités du sport”. En application de cette disposition, il appartient à la
Formation de déterminer, au cas par cas, dans quelle mesure le droit local doit être pris en
compte.
La possibilité de “tenir compte” de règles de droit interne n’implique nullement que l’organe décisionnel de la FIFA ou le TAS, en tant que juridiction d’appel, aient l’obligation d’appliquer exclusivement les règles de droit interne dans la mesure où celles-ci existent. La Formation considère d’ailleurs, à cet égard, que “les arrangements ou autres dispositions de portée nationale ne peuvent trouver application que s’ils sont conformes, voire complémentaires aux règles de la FIFA, mais certainement pas s’ils sont contraires à ces dernières. Ce besoin d’uniformité juridique est au demeurant l’une des plus évidentes “spécificités du sport” (…)” (TAS 2005/A/983 & 984, chiffre 102).
Au fond
A. Les principales constatations faites dans la sentence du 27 octobre 2005
22. Dans sa sentence du 27 octobre 2005, la Formation a notamment considéré:
- que la situation contractuelle entre Le Havre et Charles N’Zogbia au 30 juin 2004 devait
être appréciée dans son ensemble, y compris en tenant compte de la Convention, voire
des dispositions particulières signées en marge du contrat de travail à proprement parler
(chiffre 76).
- qu’en rompant unilatéralement la Convention de formation, sans respect des conditions
de forme et de fond requises, et en refusant la signature d’un contrat de stagiaire avec Le Havre pour s’engager, en tant que joueur professionnel, dans le club de Newcastle, M. N’Zogbia a manqué à ses obligations contractuelles (chiffre 80).
- que sur cette base, et conformément à l’article 42 du Règlement de la FIFA applicable, il
appartenait à l’organe compétent de la FIFA d’apprécier les conséquences de cette violation (chiffre 81).
- Qu’en omettant de procéder à un tel examen, la CRL de la FIFA a méconnu des principes
de droit importants, notamment le principe général pacta sunt servanda et celui de la sécurité
du droit.
23. La Formation a ainsi estimé qu’il y avait lieu désormais de réformer la décision de la CRL dans
la mesure adéquate et, notamment, “d’examiner, compte tenu de la prise en compte de la Convention
rompue unilatéralement par le joueur et du contrat signé dans de telles conditions avec Newcastle, si les sanctions
spécifiques prévues dans la Convention et/ou les sanctions applicables en matière de maintien de la stabilité
contractuelle dans le football, au sens du Règlement FIFA applicable, doivent être appliquées et dans quelle
mesure” (chiffre 91).
B. Le fondement du droit du Havre à une indemnité complémentaire du fait de la violation de ses obligations
contractuelles par le joueur N’Zogbia et le montant de cette indemnité
24. La Formation a examiné dans quelle mesure les règles spécifiques prévues dans la Convention,
d’une part, et les règles applicables en matière de maintien de la stabilité contractuelle dans le football, au sens du Règlement FIFA, d’autre part, peuvent, en l’espèce, fonder une indemnité supplémentaire payable au Havre.
25. Les règles relatives au maintien de la stabilité contractuelle dans le football sont prévues aux
articles 21 et suivants du Règlement FIFA applicable au cas d’espèce et aux articles 12 et suivants du Règlement d’application du Règlement FIFA.
26. Ces dispositions se réfèrent à la notion de rupture de “contrat”. Compte tenu des considérations
faites dans sa sentence du 27 octobre 2005, notamment quant au fait que les accords entre Le Havre et N’Zogbia doivent être considérés comme un ensemble contractuel dont les divers éléments ne peuvent être dissociés, la Formation est d’avis que les règles des articles 21 et suivants du Règlement FIFA s’appliquent, en l’espèce, au cas de rupture de la Convention de formation par N’Zogbia.
27. A l’article 22 du Règlement FIFA, sont précisés les règles et les critères sur lesquels il y a lieu de
fonder le calcul d’une indemnité due pour rupture abusive d’un contrat. Cette disposition précise toutefois que ces règles et critères ne doivent être pris en compte que “si rien n’est spécifiquement prévu par le contrat [violé]”.
28. Il convient donc, en premier lieu, de se pencher sur les conséquences éventuelles prévues par la
Convention en cas de rupture anticipée abusive de celle-ci par un joueur.
29. L’article 10.1 de la Convention précise que “si le bénéficiaire résilie unilatéralement la convention pour
un motif autre que ceux prévus à l’article 11 (c.à.d. manquement d’une partie à ses obligations contractuelles ou retrait ou non renouvellement de l’agrément du centre de formation), et s’il signe une autre convention de formation ou un contrat de joueur professionnel de football en faveur d’un autre groupement sportif professionnel, pendant une période de trois ans, le bénéficiaire devra verser au club dont relève le centre de formation les indemnités de formation calculées selon les modalités prévues dans la Charte du football professionnel”.
30. Comme déjà indiqué au chiffre 82 de sa sentence du 27 octobre 2005, la Formation réitère ici
que tant les règles contenues dans la Convention (et le cadre légal dans lequel celle-ci s’inscrit) que les règles de la Charte sont de portée nationale et ne sauraient prétendre déployer directement leurs effets dans un autre Etat. Suivant cette logique, il y a lieu de retenir qu’en se référant à la signature d’un contrat “en faveur d’un autre groupement sportif professionnel”, l’article 10.1 de la Convention vise uniquement un groupement sportif professionnel français (la notion est d’ailleurs seulement définie par la loi française).
31. En l’espèce, après avoir quitté le centre de formation du Havre, M. N’Zogbia s’est engagé
contractuellement avec le club britannique de Newcastle, et non avec un groupement sportif
français. L’une des conditions cumulatives d’application des conséquences spécifiques prévues
par l’art. 10.1 de la Convention en cas de rupture anticipée non justifiée par le joueur bénéficiaire fait ainsi défaut.
32. De ce fait, la Formation considère qu’elle est habilitée et tenue de fixer l’indemnité due au Havre
en l’espèce sur la base des seules règles relatives au maintien de la stabilité contractuelle. Dans le cadre fixé par l’article 22 du Règlement FIFA notamment, l’autorité compétente doit statuer conformément “au droit national” et “aux spécificités du sport”, pouvant au demeurant tenir compte de “tout critère objectif inhérent au cas” et de règles du droit suisse à titre supplétif.
33. La Formation est d’avis qu’il lui incombe de fixer le montant du dédommagement dû au Havre,
du fait des violations contractuelles commises par Charles N’Zogbia, en recherchant une équitable proportion entre les fautes contractuelles commises et le montant alloué. Conformément aux principes des articles 42 al. 2 et 43 du Code suisse des obligations relatifs à la détermination du dommage et à la fixation de l’indemnité par le juge, la Formation entend procéder à une juste et équitable appréciation ex æquo et bono du dommage subi, dans la mesure où la partie lésée ne peut établir ce dommage de manière certaine et exacte, et déterminer la réparation due “d’après les circonstances et la gravité de la faute”.
34. En l’espèce, la Formation estime que le préjudice subi par le Havre à la suite de la violation de
ses obligations par N’Zogbia consiste (i) en premier lieu, dans l’empêchement de bénéficier des services d’un joueur que le club aurait dû avoir sous contrat pendant au moins deux saisons et (ii) en second lieu, dans l’impossibilité de négocier le transfert du joueur à un autre club. Ces deux aspects du préjudice sont abordés séparément ci-après.
35. S’agissant de l’empêchement de compter le joueur dans ses rangs pendant au moins deux
saisons, il y a lieu de chiffrer le dédommagement qui s’impose au vu des circonstances
particulières du cas d’espèce. Sur ce point, notamment du fait que le litige a trait au premier chef
à la violation d’un accord fondé sur une loi française entre un club et un joueur français, il y a
lieu en outre de tenir compte principalement du droit national local pour déterminer la méthode
de fixation de l’indemnité due. La Formation se référera notamment au droit français en matière
de relations de travail, plus particulièrement l’article 122.3.8 du code du travail concernant le
préjudice subi par l’employeur en cas d’annulation du contrat par le travailleur. Cette règle -
applicable soit directement soit par analogie à la violation de la Convention - retient comme un
des éléments essentiels de calcul du préjudice causé à l’employeur, le montant des salaires et
avantages que le salarié aurait perçus jusqu’au terme de son contrat de travail.
36. Au titre des autres éléments objectifs inhérents au cas d’espèce, la Formation estime qu’il est
justifié de tenir compte également du fait (i) qu’au jour du départ de M. N’Zogbia du Havre
pour Newcastle, le club du Havre n’avait jamais encore aligné ce joueur en première équipe, et
(ii) que dans le cadre du plan de carrière proposé au joueur par Le Havre, M. N’Zogbia ne s’est
vu proposer que les rémunérations minimales selon les règles applicables, notamment la Charte.
37. La Formation estime au surplus qu’en l’espèce, bien que la CRL ait déjà fixé le montant d’une
indemnité de formation en faveur du Havre, il paraît approprié de tenir compte aussi du coût
de la formation du joueur N’Zogbia pour fixer le montant de l’indemnité due au titre du
préjudice consistant à n’avoir pu compter sur ce joueur durant deux saisons supplémentaires.
En effet, il est légitime de considérer que les prestations de formation que le joueur aurait
continué à recevoir durant les deux années supplémentaires qu’il aurait passées au Havre font
partie des prestations globales que le club aurait fournies, en plus des salaires prévus.
38. Ainsi, le dédommagement dû au Havre en l’espèce du fait de l’empêchement, pour le club,
d’utiliser les services d’un joueur qu’il aurait dû avoir sous contrat de stagiaire pendant deux années, doit être fixé de manière à tenir compte, en premier lieu, de la valorisation du joueur faite par le club lui-même au moment de lui proposer son premier contrat de stagiaire. La Formation fixera ainsi en l’espèce une indemnité basée en premier lieu sur le montant des salaires que M. N’Zogbia aurait perçus en tant que stagiaire pendant la durée du contrat qui lui était proposé, selon la Charte du football professionnel applicable.
39. Selon la Charte, la rémunération d’un stagiaire était de 55 points pour la première saison et de
75 points pour la seconde saison. Tenant compte de la valeur du point d’un montant de 12,7
EUR, ce salaire aurait correspondu à une somme de 698,5 EUR par mois la première année, et
de 952,5 EUR par mois la seconde année. Le préjudice total ainsi calculé s’élève donc à
19’812.00 EUR.
40. Comme indiqué précédemment, il y a lieu par ailleurs de prendre en compte, pour ce calcul
fondé sur les prestations que le Havre aurait faites au joueur s’il était resté au club deux saisons supplémentaires, du coût de la formation qui aurait continué à lui être donnée. En l’espèce, au vu des pièces produites et des enquêtes qui ont été menées, la Formation retient que le coût effectif de la formation d’un joueur au Havre entre 1997 et 2004 s’élève à 88’000.00 EUR par an environ. En deux ans, le joueur aurait perçu au titre de la formation des prestations en nature qu’on peut ainsi évaluer à 176’000.00 EUR.
41. Le préjudice total dont le club peut demander réparation suite à l’empêchement de bénéficier
des services d’un joueur que le club aurait dû avoir sous contrat pendant au moins deux saisons
s’élève donc à 195’812.00 EUR avec suite d’intérêts au taux légal de 5% par an dès le 1er août
2004.
42. La Formation doit par ailleurs déterminer maintenant l’étendue de l’indemnité due au Havre du
fait de la perte de chance d’une indemnité de transfert. Il ne fait en effet pas de doute pour la
Formation que la violation de ses obligations contractuelles par le joueur a indûment privé le
Havre de toute chance de pouvoir, le cas échéant, négocier un transfert du joueur à un autre
club.
43. A cet égard, la Formation est d’avis que la méthode préconisée par Le Havre pour apprécier
son préjudice, consistant à tirer un parallèle entre le cas présent, d’une part, et des transferts opérés ces dernières années par le club en lien avec des joueurs également formés au Havre (Le Tallec, Sinama-Pongolle, Alou Diarra), d’autre part, n’est pas convaincante.
44. En premier lieu, les circonstances de ces divers cas sont bien différentes, étant notamment
relevé qu’un joueur comme Le Tallec avait été aligné en équipe première du Havre à 54 reprises
- dont 30 rencontres en première division - avant d’être transféré au FC Liverpool à l’été 2003;
un joueur comme Sinama-Pongolle avait été aligné lors de 31 rencontres par Le Havre en Ligue
1 lors de la saison précédant son transfert au FC Liverpool; enfin un joueur comme Alou Diarra
avait joué 25 rencontres au plus haut niveau français avec Le Havre avant son transfert à Bastia.
45. D’autre part, cette méthode aboutit en toute hypothèse à une estimation excessivement
incertaine et improbable (voir TAS 2005/A/902 & 903, chiffre 140), au regard aussi bien des particularités du cas d’espèce, que de la difficulté objective de tirer des parallèles entre les trajectoires de joueurs différents, transférés à des clubs différents et, qui plus est, lors de saisons différentes (soit dans un contexte socio-économique peut-être différent).
46. Il est au demeurant douteux que, s’il était resté au Havre, le joueur N’Zogbia aurait pu jouir
rapidement des opportunités régulières d’évoluer en première équipe et de fournir des performances telles que sa valeur, sur le marché des transferts, aurait augmenté jusqu’à atteindre un ou plusieurs million(s) d’euros.
47. En effet, depuis l’été 2004 - époque à laquelle M. N’Zogbia a quitté le Havre - ce club n’a
jamais évolué en Ligue 1 française. La présence du Havre en Ligue 2 est un élément objectif qui
relativise grandement la pertinence de l’argument tiré du parallèle entre le cas de M. N’Zogbia,
d’une part, et celui des joueurs Le Tallec, Alou Diarra er Sinama-Pongolle précités. La
Formation n’a pas connaissance de cas de joueurs âgés de 20 ans ou moins, évoluant en Ligue
2, qui auraient fait l’objet d’un transfert aussi onéreux, même après avoir été régulièrement
alignés par leur club.
48. En toute hypothèse, les circonstances du cas d’espèce et l’expérience de la vie commandent de
retenir un préjudice subi par Le Havre, résultant de la perte de la chance de transférer M. N’Zogbia, qui soit réaliste et raisonnable.
49. Au vu des éléments susmentionnés, mais aussi de la qualité intrinsèque du joueur, et en
application des articles 42 alinéa 2 et 43 alinéa 1 du code suisse des obligations, faisant valoir son large pouvoir d’appréciation, la Formation estime que l’indemnité due au Havre au titre de sa perte de chance de négocier un transfert de M. N’Zogbia à un club tiers doit être fixée à 350’000 EUR, avec suite d’intérêts au taux légal de 5% par an dès le 1er août 2004.
50. A toutes fins utiles, il est précisé que les indemnités supplémentaires susmentionnées, telles
qu’arrêtées par la Formation, sont payables au Havre “sans préjudice” de l’indemnité de formation fixée par la CRL (article 22 du Règlement FIFA), de sorte que les montants de 300’000.00 EUR (apparemment d’ores et déjà payés par Newcastle), d’une part, et de 195’812.00 EUR et 350’000.00 EUR (avec suite d’intérêts), d’autre part, sont cumulables.
51. Au surplus, la Formation considère que seul M. N’Zogbia est redevable du paiement de ces
indemnités complémentaires, aucune base de responsabilité de Newcastle n’ayant pu être
établie.
52. La Formation retient enfin que dans l’hypothèse d’un transfert ultérieur de Charles N’Zogbia à
un autre club, pendant la durée du contrat actuel du joueur avec Newcastle, une indemnité pourrait être payable au Havre au titre de contribution de solidarité, conformément et dans les limites prévues par les dispositions pertinentes du Règlement FIFA. Une telle indemnité ne serait toutefois pas la conséquence des violations contractuelles commises par N’Zogbia et, partant, elle n’a pas à être mentionnée dans le dispositif de la présente sentence, dès lors que son application ne dépend que de la réalisation des conditions prévues par le règlement FIFA pertinent et ses règles d’application.
Le Tribunal Arbitral du Sport:
1. Condamne M. N’Zogbia à verser au Havre la somme totale de 545’812.00 EUR avec intérêts
calculés au taux de 5% par an dès le 1er août 2004.
2. (…).
3. (…).
4. Déboute les parties de toutes autres et plus amples conclusions.
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