TAS-CAS – Tribunale Arbitrale dello Sport – Corte arbitrale dello Sport (2014-2015)———-Tribunal Arbitral du Sport – Court of Arbitration for Sport (2014-2015) – official version by www.tas-cas.org – Arbitrage TAS 2013/A/3271 S. c. FC X., sentence du 1 avril 2015
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Arbitrage TAS 2013/A/3271 S. c. FC X., sentence du 1 avril 2015 Formation: Prof. Gérald Simon (France), Président; Me Olivier Carrard (Suisse); Me Pedro Tomas Marqués (Espagne) Football Résiliation du contrat de travail suite à incapacité temporaire de travail Conditions formelles du licenciement Force probante des preuves Protection des sportifs professionnels durant une période temporaire d’incapacité Droit du travail et interdiction de licenciement durant une période temporaire d’incapacité 1. Dans des circonstances où un contrat de travail prévoit que la résiliation du contrat se fait par ordre écrit de l’employeur et que l’employé doit être informé de cet ordre contre signature, l’absence de signature de l’employé sur l’ordre de licenciement ne saurait constituer un vice de nature à entacher la régularité formelle du licenciement si l’employé, quelques jours après l’ordre de licenciement,a signé un courrier qui contient des informations suffisantes permettant au employé de conclure à son licenciement. 2. En l’absence d’autres éléments de preuve, une liste des relevés téléphoniques ne sert qu’à attester l’existence d’une liaison téléphonique, mais n’établit pas la véracité du contenu allégué d’une conversation. 3. Si un licenciement unilatéral d’un employé est prononcé dans des circonstances où l’employé était dans l’incapacité d’exercer son métier en raison d’une blessure au moment où la rupture unilatérale du contrat de travail est prononcée et que le droit applicable au litige résultant du licenciement (ici: le code russe du travail) interdit à l’employeur de licencier un salarié durant une période d’incapacité temporaire de travail ou lors de ses vacances, la rupture intervient en violation directe des dispositions du code du travail. 4. Dans des circonstances où un contrat de travail prévoit expressément l’application du code du travail du pays de l’employeur et seulement in fine l’applicabilité d’autres dispositions, l’employeur ne peut pas soutenir avec succès que l’interdiction de licenciement durant une période d’incapacité temporaire de travail ou lors des vacances prévue par le code du travail, serait inapplicable dans la mesure où une loi spéciale régissant les relations contractuelles des sportifs professionnels devrait être regardée comme instituant un régime spécial se substituant totalement au droit commun du travail. En outre, en admettant même que le contrat de travail autoriserait la prise en considération de la loi spéciale, celle-ci ne pourrait être regardée comme dérogeant au droit commun du travail que si la loi spéciale devrait expressément exclure les sportifs de l’interdiction de licenciement prévue par le code du travail. Le silence de la loi spéciale ne saurait être interprété comme valant exclusion d’une garantie aussi fondamentale dont bénéficient pour leur protection l’ensemble des travailleurs d’un pays. Précisément en raison de la fréquence des blessures subies par les sportifs, la protection que garantit le code du travail apparaît essentielle au respect des droits des sportifs. I. PARTIES 1. S. (ci-après “le Joueur” ou “l’Appelant”), né en 1983, est un joueur de football professionnel de nationalité russe. Il joue actuellement en seconde division du championnat russe de football. 2. Le FC X. (ci-après “le Club” ou “l’Intimé” ou “le FC X.”) est un club de football qui évoluait, à l’époque des faits, dans le championnat de première division russe (“Russian Premier League”) relevant de l’Union russe de football (ci-après “URF”). II. FAITS 3. Le 23 juillet 2012, le Joueur a signé un contrat de travail (ci-après “le Contrat”) avec le FC X. pour une période allant du 24 juillet 2012 au 31 mai 2013 moyennant un salaire mensuel de RUB […]. 4. Dès le 24 juillet 2012, un premier avenant au contrat (ci-après “le Premier Avenant”) a été conclu, portant le salaire mensuel à un montant de RUB […]. 5. Par un second avenant au contrat (ci-après: “le Second Avenant”), signé le 4 août 2012, les parties ont convenu que le Club prendrait à sa charge les frais de location d’un appartement pour le Joueur à hauteur de RUB […] par mois. 6. Entre le 7 et le 18 février 2013, le Club s’est rendu en Turquie afin d’effectuer un sta ge d’avantsaison. 7. Le 11 février 2013, au cours d’une rencontre amicale, le Joueur subit une blessure qui le contraignit à quitter le terrain et à se rendre à l’hôpital local pour une radiographie du pied droit. Les médecins diagnostiquèrent une simple contusion, nécessitant un repos d’une quinzaine de jours. 8. Le 22 février 2013, le Club retourna en Turquie pour effectuer la seconde partie du stage jusqu’au 5 mars. Lors des entraînements, le Joueur continua de ressentir de fortes douleurs à son pied. Selon l’Appelant, celui-ci demanda que sa blessure persistante soit traitée, ce que le Club lui aurait refusé. 9. De retour en Russie, en accord avec l’équipe médicale du Club, une IRM a été pratiquée le 7 mars 2013 à la clinique MEDSI à Moscou. Selon le rapport médical, le Joueur souffrait “d’arthrose déformante, arthrite, articulation du tarse-métatarse avec présence de dissections ostéochondrales de l’os cuboïde. Chondromalacie des surfaces articulaires du talus et du tibia 1-2 st. “Pied du joueur de football”. Contusion de l’os sphénoïde et de la base des 2ème et 3ème métatarsiens”. 10. Après le match de reprise du championnat, le 8 mars 2013, auquel le Joueur ne participait pas, le Club s’est rendu à Sotchi sans que le Joueur ne soit du déplacement. Selon l’Appelant, celuici se serait entretenu téléphoniquement dès le 7 mars avec l’un des médecins du Club, le Dr Butorin, des possibilités de se soigner à Sotchi, lequel lui aurait conseillé qu’en l’absence de traitements adaptés à Sotchi, il vaudrait mieux qu’il se soigne par ses propres moyens. Selon l’Intimé, le Joueur aurait demandé au Dr Vinokourov, autre médecin du Club, de se soigner dans sa ville natale à Makhatchkala, demande que le docteur aurait catégoriquement refusée “puisque ça n’aurait aucun sens qu’il parte ailleurs pour se traiter loin de son équipe médicale, quand sa blessure était plutôt simple à soigner”. 11. Entre le 12 mars et le 5 avril 2013, le Joueur s’est rendu à Makhatchkala au GDU RD “Centre républicain d’orthopédie traumatique”, pour y suivre un traitement par ondes de choc et des bains de sulfure d’hydrogène. Durant cette période, le Joueur s’est entretenu par téléphone avec le Dr Butorin ainsi que, le 14 mars, avec M. Trishin, responsable de la formation, comme l’attestent les relevés téléphoniques produits par l’Appelant. 12. Le 5 avril 2013, l’Intimé adressait un courrier au domicile du Joueur à Makhatchkala, lui faisant part de son ignorance des raisons de son absence depuis le 10 mars et lui enjoignant de rejoindre le Club pour accomplir ses obligations et fournir des explications à son absence. Ledit courrier précisait qu’une absence injustifiée pouvait entraîner la résiliation unilatérale de son contrat de travail. 13. De retour au Club le 9 avril 2013, l’Appelant a adressé au Directeur général du FC X. une lettre faisant part des différents traitements à la suite de sa blessure. Par ce même courrier, l’Appelant demandait que lui soient versés les salaires et indemnités non payés depuis le 1er janvier 2013, que le Club lui fournisse un traitement approprié et que lui soient remboursés les frais médicaux engagés par lui-même. 14. Par une note datée du 11 avril 2013, la Directrice des ressources humaines du Club prenait acte du refus de l’Appelant d’expliquer par écrit les raisons de son absence. Il est indiqué que le Joueur a refusé d’apposer sa signature sur cet acte. 15. Le 25 avril 2013, l’Intimé s’acquittait auprès du Joueur du versement d’une somme de RUB […]. 16. Un “ordre de licenciement”, daté du même jour, fut signé par le Directeur général du Club. Ledit “ordre de licenciement” n’a pas été remis à l’Appelant. 17. Le 29 avril 2013, l’Appelant saisit la Chambre de résolution des litiges de l’Union russe de football (ci-après “la Chambre”) afin de contraindre le Club à lui payer son salaire pour les mois de février à avril 2013 et pour la période allant jusqu’à la fin de son contrat. Le Joueur réclamait en outre le dédommagement de la location de son appartement ainsi que le remboursement des frais d’examens et traitements médicaux effectués et à venir. L’Appelant soutient qu’il n’a pris connaissance de son licenciement qu’au cours de l’audience devant la Chambre. 18. Le 16 mai 2013, la Chambre jugeait le licenciement illégal au motif que “le Club n’avait aucune base juridique pour considérer que les jours de travail manqués par le Joueur étaient de l’absentéisme parce que le Joueur suivait un traitement médical et a présenté au Club les documents médicaux en confirmant la raison” et condamnait le Club à verser au Joueur la somme totale de RUB […], condamnation assortie d’une interdiction de recrutement à titre de sanction sportive. 19. Le 30 mai 2013, le Club a interjeté appel de cette décision devant le Comité du Statut des Joueurs de l’Union russe de football (ci-après “le Comité”) conformément à l’article 30 § 2 du Règlement de l’URF. 20. Le 4 juin 2013, le Comité annulait la décision de la Chambre, considérant que le licenciement pour absentéisme était fondé. Selon le Comité, le Joueur n’avait pas prouvé qu’il avait informé le Club des raisons de son absence ni qu’il y avait été autorisé par ce dernier. Par conséquent, le Joueur avait “violé les conditions de son contrat de travail et le Club était en droit de procéder à son licenciement”. Les prétentions du Joueur étaient rejetées, à l’exception des arriérés de salaires pour un montant de RUB […] et d’une indemnité de location d’appartement de RUB […], sommes dont le Club s’est acquitté les 9 et 10 juillet 2013. La décision du Comité n’a été adressée que le 12 juillet 2013, par courrier électronique, au représentant de l’Appelant. 21. Le 9 juin 2013, l’Appelant s’est rendu à la clinique Bogenhausen à Munich (Allemagne) pour y poursuivre son traitement. Le médecin-chef du Centre d’orthopédie, de chirurgie d’accident et de médecine du sport diagnostiqua “une instabilité post-traumatique des métatarsiens cunéiformes I/II du pied droit” ce qui nécessita une opération chirurgicale pratiquée le 11 juin incluant la pose de deux broches. Le rapport d’opération fait état “d’une intervention longue et difficile”. 22. L’Appelant s’est à nouveau rendu à Munich du 25 au 27 juillet 2013 où il fut procédé au retrait du matériel d’ostéosynthèse sous anesthésie locale. Le total des frais acquittés par le Joueur pour cette intervention s’est élevé à RUB […]. III. PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL ARBITRAL DU SPORT 23. Le 2 août 2013, le Joueur a déposé une déclaration d’appel devant le TAS à l’encontre de la décision du Comité du 4 juin 2013 demandant l’annulation de la décision et la condamnation de l’Intimé à lui verser les sommes de RUB […] à titre d’arriérés de salaire, de RUB […] correspondant à une indemnité de trois mois de salaire, de RUB […] pour le défraiement de la location d’un appartement, de RUB […] en remboursement des frais médicaux et de RUB […], à titre d’indemnité pour incapacité de travail. 24. Suite au paiement du droit de Greffe par l’Appelant, le Greffe du TAS a initié, le 5 août 2013, une procédure arbitrale d’appel sous la référence TAS 2013/A/3271 S. c. FC X. 25. Dans sa déclaration d’appel, l’Appelant a indiqué nommer Me Olivier Carrard, avocat à Genève, en qualité d’arbitre. 26. Le 8 août 2013, l’Intimé a informé le Greffe du TAS de la nomination de Me Pedro Tomás Marqués, avocat à Teia, Espagne, en qualité d’arbitre. 27. Le 26 août 2014, l’Appelant a suggéré que la présente procédure arbitrale soit soumise à un arbitre unique. 28. Le même jour, l’Intimé a déposé ses observations quant au nombre d’arbitres composant la Formation arbitrale et s’est opposé à ce que ce litige soit soumis à un arbitre unique. 29. Par décision du 30 août 2013, le Président suppléant de la Chambre arbitrale d’appel du TAS a décidé que le présent arbitrage serait soumis à une Formation arbitrale composée de trois (3) arbitres. 30. Le 25 septembre 2013, et conformément à l’article R51 al. 1 du Code de l’arbitrage en matière de sport (“le Code”), l’Appelant a déposé un mémoire d’appel, après avoir sollicité et obtenu une prolongation du délai acceptée par l’Intimé. 31. Le 11 novembre 2013, et conformément à l’article R55 al. 1 du Code, l’Intimé a déposé un mémoire en réponse, après avoir également sollicité et obtenu une prolongation de délai acceptée par l’Appelant. 32. Le 13 novembre 2013, le Greffe du TAS a accusé réception et transmis ledit mémoire de réponse à l’Appelant et a informé les parties que, selon l’article R56 al. 1 du Code, ces dernières n’étaient plus admises à compléter ou modifier leurs conclusions ou leur argumentation, ni à produire de nouvelles pièces, ni à formuler de nouvelles offres de preuves après la soumission de la motivation de l’appel et de la réponse, sauf accord contraire des parties ou décision contraire du Président de la Formation arbitrale commandées par circonstances exceptionnelles. 33. Le 13 juin 2014, le Greffe du TAS a informé les parties que la Formation arbitrale appelée à se prononcer dans le présent litige serait composée ainsi: Président: Prof. Gérald Simon, Professeur à Dijon, France Arbitres: Me Olivier Carrard, Avocat à Genève, Suisse Me Pedro Tomàs Marqués, Avocat à Teia, Espagne. 34. Le 16 octobre 2014, le Greffe du TAS a communiqué l’ordonnance de procédure aux parties et les a invitées à contresigner ladite ordonnance dans un délai d’une semaine. 35. Le 20 octobre 2014, l’Intimé a signé et retourné l’ordonnance de procédure au Greffe du TAS. 36. Le 23 octobre 2014, l’Appelant a à son tour signé et retourné l’ordonnance de procédure au Greffe du TAS. 37. Le 3 décembre 2014, une audience s’est déroulée au Tribunal Arbitral du Sport à Lausanne, Suisse. En plus des membres composant la Formation arbitrale, étaient présents: S. assisté de: M. Edgar Magomedov, représentant de S.; Me Michael Stauffacher, conseil de S. Pour le FC X. Me Juan de Dios Crespo Pérez, conseil du Club M. Repnikov, avocat interne du Club M. Mamadov, interprète. 38. Au terme de l’audience, les deux parties ont confirmé avoir été traitées de manière équitable tout au long de la présente procédure et que leur droit d’être entendu avait été dûment respecté. IV. CONCLUSIONS ET POSITION DES PARTIES 39. Les arguments des parties, développés tant dans leurs écritures respectives que lors de l’audience du 3 décembre 2014, seront résumés ci-dessous. Si seuls les arguments essentiels sont exposés ci-après, toutes les soumissions ont naturellement été prises en compte par la Formation arbitrale, y compris celles auxquelles il n’est pas expressément fait référence. A) LES CONCLUSIONS DE L’APPELANT: Dans son mémoire d’appel du 25 septembre 2013, l’Appelant a pris les conclusions suivantes: “Principalement: I. L’appel est admis. II. [FC X.] est condamné à verser à [S.] la somme de RUB […] à titre d’arriérés de salaire. III. [FC X.] est condamné à verser à [S.] la somme de RUB […] correspondant à une indemnité de 3 (trois) mois de salaire. IV. [FC X.] est condamné à verser à [S.] la somme de RUB […] à titre de défraiement pour la location d’un appartement. V. [FC X.] est condamné à verser à [S.] la somme de RUB […] à titre de remboursement des frais de tests et de traitement médicaux. VI. [FC X.] est condamné à verser à [S.] la somme de RUB […] à titre d’indemnité pour incapacité de travail. Subsidiairement: VII. L’appel est admis. VIII. La décision rendue le 4 juin 2013 par le Comité du Statut des Joueurs est annulée et renvoyée à celuici pour complément d’instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants”. B) LES ARGUMENTS DÉVELOPPÉS PAR L’APPELANT 40. Pour fonder sa demande d’annulation de la décision critiquée, l’Appelant soutient en premier lieu que la composition du Comité aurait été irrégulière: selon le témoignage produit par M. S. Abdulayiev qui assistait le Joueur à l’audience du Comité, seuls trois de ses membres étaient présents alors que la décision mentionne expressément la présence de cinq personnes. En outre, la décision aurait été notifiée par e-mail et non par courrier. 41. L’Appelant soutient en deuxième lieu que l’Intimé a prononcé la résiliation du contrat de travail de manière irrégulière, tant dans la forme que sur le fond. 42. Tout d’abord, l’ordre de licenciement du 25 avril 2013 n’a pas été notifié par écrit, comme l’exigent l’article 10.2 du Contrat et l’article 84.1, 2ème partie, du Code russe du travail. L’Appelant n’a ainsi eu connaissance de son licenciement que le 16 mai 2013, lors de l’audience devant la Chambre. 43. Sur le fond ensuite, le licenciement a été ordonné alors que l’Appelant était blessé, ce qui constitue une violation de l’article 81, 2ème partie, du Code russe du travail qui interdit à l’employeur de licencier un salarié en incapacité temporaire de travail. 44. L’Intimé a résilié le Contrat sans qu’existent de justes motifs: le Club disposait des informations suffisantes pour connaître la réalité et la gravité de la blessure du Joueur et les raisons de son absence liées à la nécessité de se soigner. 45. En troisième lieu, il est soutenu que le Club a gravement failli à ses obligations contractuelles. 46. Tout d’abord, non seulement le Club a tardé de manière répétée à verser les salaires et indemnités dus au Joueur mais celui-ci n’a pas reçu le moindre versement depuis le 1er février 2013. Or, selon les termes de l’article 11.2 du Règlement de l’URF, un arriéré de salaire de plus de deux mois constitue une violation substantielle du contrat de travail justifiant une résiliation à l’initiative du Joueur. 47. Par ailleurs, l’Intimé est en faute pour ne pas avoir organisé et pris en charge un traitement approprié et de s’être entêté à ne pas admettre la gravité de la blessure justifiant un tel traitement, alors qu’en vertu de l’article 4.1.5 du Contrat, le Club était dans l’obligation de procéder à des examens appropriés à la demande du salarié. Cette carence de l’Intimé a conduit le Joueur à se soigner lui-même en s’acquittant des frais liés à son traitement. 48. En dernier lieu, l’Appelant estime que le Comité s’est livré à une analyse erronée des conséquences financières de la rupture du contrat de travail. En effet, dans le décompte des salaires dus au Joueur, le Comité n’a pas retenu la période du 10 mars au 9 avril 2013 et a en outre déduit une somme fondée sur de prétendues “vacances imméritées”. De même, le Comité n’a pas retenu l’indemnité minimale de trois mois de salaires prévue par le Règlement de l’URF en cas de rupture injustifiée du contrat pour l’employeur et justifiée pour le salarié. 49. En conséquence, l’Appelant conclut à ce que l’Intimé soit condamné à lui payer la somme totale de RUB […] correspondant à l’ensemble des préjudices subis. C) LES CONCLUSIONS DE L’INTIMÉ Dans son mémoire de réponse du 11 novembre 2013, l’Intimé a conclu à ce qui suit: “1. Confirmer en tous les points la décision numéro 062-13/KSI du Comité du Statut des Joueurs rendue le 4 juin 2013; 2. Condamner [S.] à payer l’intégralité des frais d’avocats du [FC X.], tels qu’arrêtés et communiqués à la formation à l’issue du litige; 3. Mettre à la charge de [S.] l’intégralité des frais du TAS et les honoraires de la Formation en relation avec la présente procédure”. D) LES ARGUMENTS DÉVELOPPÉS PAR L’INTIMÉ 50. S’agissant des arriérés et retards de salaires, l’Intimé rappelle que, selon l’article 11 du Règlement de l’URF, seuls des arriérés de salaires de plus de deux mois constituent une violation substantielle du contrat de travail. Or, seul le salaire de novembre 2012 n’a été réglé que le 15 février 2013. Comme, en règle générale, les salaires sont payés le mois suivant, le Club n’avait donc pas une dette de plus de deux mois, ainsi que le Comité l’a considéré. La violation du Contrat, alléguée par l’Appelant, n’existe donc pas. En outre, les retards de salaires ont toujours été consentis par le Joueur. Celui-ci ne s’en est plaint qu’au moment de son action devant la Chambre, le 29 avril 2013. En l’absence de contestation en temps voulu de ces retards, le Joueur est réputé y avoir consenti, comme le précise la jurisprudence du TAS. 51. Quant au prétendu non-paiement des salaires pour les mois de février à avril 2013 qui justifierait une résiliation anticipée du Contrat au profit de l’Appelant, il convient de rappeler que le paiement de ces salaires était l’objet-même du litige porté par le Joueur devant la Chambre. Or, l’article 11 du Règlement de l’URF précité précise que dans ce cas la date d’échéance court à partir de l’entrée en force d’une décision sur le litige. A cet égard, il n’est pas contesté que le Club s’est régulièrement acquitté des sommes de RUB […] et de RUB […] en exécution de la décision du Comité du 4 juin 2013. 52. Pareillement, les soi-disant plaintes du Joueur sur le traitement médical dont il aurait été l’objet au sein du Club sont infondées, comme l’atteste le médecin du Club, le Dr Vinokourov, qui n’a pas autorisé le Joueur à quitter le Club. 53. En conséquence, la résiliation anticipée par le Joueur en raison d’une prétendue violation par l’Intimé de ses obligations contractuelles doit être considérée comme illégale, alors que le Joueur s’est absenté sans motifs valables. 54. En revanche, c’est tout à fait régulièrement que l’Intimé a prononcé la résiliation anticipée du contrat de travail. 55. En premier lieu, l’Appelant prétend à tort qu’il n’aurait eu connaissance de la résiliation que lors de l’audience devant la Chambre et qu’ainsi l’Intimé n’aurait pas respecté les formes prescrites. Or, le Joueur était parfaitement avisé de ce licenciement dès lors qu’il avait signé un document émanant du Club l’invitant à récupérer son livret de travail le 30 avril 2013, démarche qui s’impose à l’employeur, en vertu du Code russe du travail, le jour du licenciement. 56. En second lieu, l’Appelant n’a pas apporté la preuve qu’il avait reçu du Club l’autorisation de s’absenter. Il ne produit pas d’autorisation écrite, conformément à ce que stipulent le contrat de travail et le règlement interne du Club. La prétendue autorisation orale qu’il aurait reçue ne repose que sur le témoignage purement subjectif d’un joueur, A., par ailleurs ami de l’Appelant, et ne saurait, en tout état de cause, constituer une preuve recevable. 57. Ne saurait pas davantage constituer une preuve les prétendues conversations téléphoniques avec le Dr Butorin, dont il est allégué que celui-ci aurait autorisé le Joueur à “organiser son traitement par ses propres moyens”, de tels propos ne pouvant être déduits de la seule communication d’une liste de numéros de téléphone. 58. En outre, contrairement à ce que prétend l’Appelant, le Code russe du travail, particulièrement son article 81, 2ème partie, n’est pas applicable. En effet, la loi russe 329 FS du 4 décembre 2007 qui régit exhaustivement les relations contractuelles des sportifs professionnels ne prévoit pas la garantie énoncée par cette disposition du Code russe du travail. S’agissant d’une lex specialis qui déroge au droit commun du travail en raison de la spécificité du sport, celle-ci exclut l’application des dispositions du Code conçues pour l’ensemble des salariés. 59. Au contraire, le Joueur n’a pas respecté ses obligations contractuelles, ce qui justifiait la résiliation anticipée par le Club. 60. L’Appelant a ainsi refusé de subir les examens et traitements médicaux indiqués par le personnel médical de l’employeur, comme le stipule l’article 3.1.10 du Contrat et n’a pas présenté dans les 48 heures de l’accident ou de la maladie un certificat médical attestant de son incapacité à jouer au football, comme l’y oblige l’article 3.1.21 du Contrat. De même et contrairement à ce que stipule l’article 3.1.6 de ce même contrat, il a omis d’informer à l’avance son employeur des raisons de son impossibilité de jouer au football et de recevoir si possible une autorisation écrite de manquer les séances d’entraînement. 61. Même si les circonstances qui ont conduit à la rupture du Contrat avec effet immédiat pouvaient ne pas être qualifiées de “sérieuses” (“serious breach”), il reste que le TAS considère qu’une rupture “non sérieuse” est justifiée lorsque l’employé a été prévenu que la répétition de ses actes pouvait conduire à son licenciement. En l’espèce, le Joueur a bien été avisé le 3 avril 2013 par le Directeur général du Club que si sa conduite se répétait, elle pourrait valablement entraîner la résiliation unilatérale de son contrat. 62. En tout état de cause, l’article 81.6 du Code russe du travail autorise la rupture par l’employeur pour une seule violation grave, en cas notamment d’absence injustifiée de plus de 4 heures. Ici, le Joueur s’est absenté près d’un mois. 63. Ainsi, l’absence injustifiée du Joueur pendant près d’un mois constitue une violation flagrante de son contrat justifiant la rupture de celui-ci le 25 avril 2013 ou au plus tard le 30, date de réception de la notification de l’ordre de licenciement par DHL au domicile de l’Appelant. De plus, celui-ci n’a pas réclamé de copie certifiée de l’ordre de résiliation, comme le lui permet l’article 84.1 du Code russe du travail. L’Appelant ne saurait ainsi prétendre, comme il le fait, que la résiliation a pris effet à compter du 16 mai 2013, date de l’audience devant la Chambre où il soutient avoir eu connaissance de son licenciement. 64. En conséquence, les frais et traitements n’étaient plus à la charge du Club dès que le Joueur s’est absenté sans motifs, c’est-à-dire après le 10 mars 2013. 65. L’Intimé conclut à la confirmation en tous points de la décision du Comité rendue le 4 juin 2013. V. COMPÉTENCE ET RECEVABILITÉ 66. La compétence du TAS résulte de l’article R47 du Code, qui stipule notamment: “Un appel contre une décision d’une fédération, association ou autre organisme sportif peut être déposé au TAS si les statuts ou les règlements dudit organisme sportif le prévoient ou si les parties ont conclu une convention d’arbitrage particulière et dans la mesure aussi où l’Appelant a épuisé les voies de droit préalables à l’appel dont il dispose en vertu des statuts ou règlements dudit organisme sportif”. 67. L’article 47 de la Charte de l’URF donne compétence au TAS pour statuer sur les recours contre les décisions définitives rendues par une instance de l’URF: 1. “Conformément aux dispositions des statuts de la FIFA, de l’UEFA et de l’URF, toute décision sur recours définitive et contraignante au regard des règles de la FIFA, de l’UEFA et de l’URF peut être déférée devant le TAS (…). 2. L’URF garantit un plein respect des décisions finales prises par la FIFA, l’UEFA et le TAS, par ellemême, par ses membres, bureaux régionaux, ligues, clubs, joueurs, officiels, agents de matchs et agents de joueurs”. 68. Pour pouvoir faire appel en application de l’article R47 du Code, l’Appelant doit toutefois avoir épuisé les voies de droit préalables dont il dispose. Le présent appel devant le TAS est dirigé contre une décision rendue en dernier ressort par le Comité du Statut des Joueurs de l’URF le 4 juin 2013. Les voies de droit préalables à l’appel devant le TAS ont donc été épuisées de sorte que les conditions fixées par l’article R47 du Code sont remplies. 69. L’article R49 du Code dispose que “en l’absence de délai d’appel fixé par les statuts ou les règlements de la fédération, de l’association ou de l’organisme sportif concerné ou par une convention préalablement conclue, le délai d’appel est de 21 jours dès la réception de la décision faisant l’objet de l’appel ”. 70. La décision du Comité a été transmise à l’Appelant le 12 juillet 2013. La déclaration d’appel est datée du 2 août 2013. L’appel a donc été déposé dans le délai de 21 jours fixé par l’article R49 du Code suivant la communication de la décision contestée. 71. Par ailleurs, la déclaration d’appel et le mémoire d’appel satisfont pleinement aux conditions requises par les articles R48 et R51 du Règlement de procédure du Code. 72. Partant, la Formation arbitrale est compétente et l’appel recevable en la forme. VI. DROIT APPLICABLE 73. L’article 187 al. 1 de la Loi fédérale sur le droit international privé suisse (ci-après “LDIP”) dispose que: “Le tribunal arbitral statue selon les règles de droit choisies par les parties ou, à défaut de choix, selon les règles de droit avec lesquelles la cause présente les liens les plus étroits”. 74. Conformément à l’article R58 du Code, “la Formation statue selon les règlements applicables et, subsidiairement, selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit que la Formation estime appropriées. Dans ce dernier cas, la décision de la Formation doit être motivée”. 75. En l’espèce, les règlements applicables sont ceux de l’URF, en particulier son Règlement sur le Statut et le Transfert des Joueurs (ci-après “RSTJ”) et, à titre subsidiaire, les règles du droit russe, l’Union russe de football, au nom de laquelle a été rendue la décision attaquée, ayant son domicile en Russie. La question de l’applicabilité à la cause du Code russe du travail, revendiquée par l’Appelant mais contestée par l’Intimé, sera traitée dans la discussion. VII. DISCUSSION A) SUR LA RÉGULARITÉ FORMELLE DE LA DÉCISION DU COMITÉ 76. La décision du Comité fait état d’une formation de cinq (5) membres. L’Appelant prétend au contraire que seuls trois (3) membres en faisaient partie, ce qui entacherait la décision d’un vice de procédure. 77. L’Appelant ne fonde cependant son allégation que sur le seul témoignage de M. S. Abdulayev, représentant de ce dernier au moment de l’audience devant le Comité. Compte tenu du lien qui unit ce représentant à l’Appelant et faute de produire d’autre élément probant, ce moyen ne peut qu’être écarté. 78. L’Appelant soutient également que la décision n’a été notifiée à son représentant que par voie électronique et non par courrier comme l’imposerait, selon ses dires, la réglementation de l’URF. 79. Cependant, force est de constater que l’Appelant ne cite ni ne produit aucune disposition du Règlement de l’URF pour corroborer son affirmation. En tout état de cause, à supposer que l’allégation soit fondée, cette irrégularité n’aurait un effet que sur le point de départ des délais de recours, comme le souligne l’Appelant lui-même, mais non sur la régularité de la décision, la recevabilité étant une question indépendante de la légalité. B) SUR LA VALIDITÉ DU LICENCIEMENT 1) Sur l’initiative de la rupture du contrat de travail 80. Au préalable, il convient de lever une ambiguïté concernant le ou les auteurs à l’origine de la rupture du Contrat. Dans son mémoire d’appel, l’Appelant déclare que “dans son procédé du 29 avril 2013 auprès de la Chambre, il a souhaité que celle-ci reconnaisse que le Contrat était résilié de sa propre initiative en raison de la violation par le Club de ses obligations”. Dans son mémoire en défense, l’Intimé confirme qu’en portant le litige devant la Chambre, l’Appelant aurait “exigé la résiliation anticipée de son contrat de travail”. 81. Pourtant, il ressort, à la lecture de la décision de la Chambre, que la demande de l’Appelant portait sur le paiement d’arriérés de salaires et de frais médicaux occasionnés par son traitement mais non expressément sur une rupture du contrat demandée par le Joueur. 82. En réalité, la question de savoir si l’Appelant a eu l’intention de voir déclaré le Contrat résilié de sa propre initiative est sans intérêt pour la solution du présent litige devant le TAS. C’est pourquoi la Formation arbitrale est d’avis que, dès lors que le licenciement a été effectivement prononcé par le Club le 25 avril 2013, c’est-à-dire à une date antérieure à l’action de l’Appelant devant la Chambre, la question se limite de savoir si la rupture du contrat de travail, telle qu’initiée par l’Intimé, est régulière ou non. 2) Sur la régularité de la notification du licenciement 83. L’Appelant invoque la violation de l’article 10.2 du contrat de travail aux termes duquel “La résiliation d’un contrat de travail se fait par ordre écrit de l’employeur. L’employé doit être informé de l’ordre de l’employeur de mettre fin au contrat de travail contre signature”. 84. Il est établi que l’ordre de licenciement du 25 avril 2013 n’est pas revêtu de la signature de l’Appelant. Toutefois, l’Intimé produit un courrier en date du 30 avril 2013 informant l’Appelant de la nécessité de récupérer son livret de travail ou de donner son consentement à son envoi par la poste, courrier sur lequel l’Appelant a apposé sa signature. 85. La question est donc de savoir si l’absence de signature de l’Appelant sur l’ordre de licenciement est un vice substantiel entachant la régularité de la rupture ou si, au contraire, il a été couvert par la signature du Joueur sur le courrier du 30 avril 2013. 86. La Formation arbitrale considère qu’en signant le courrier du 30 avril 2013, l’Appelant a été ainsi dûment informé de son licenciement décidé le 25 avril 2013. En effet, non seulement ledit courrier rappelle expressément que “[…] conformément à l’article 84.1 du Code du travail de la Fédération de Russie, en cas de résiliation du contrat-règle de travail l’employeur est tenu de remettre le livret de travail au salarié” mais commence en ces termes: “Comme le contrat-règle de travail du 23/07/2012 avec vous résilié (sic) […]”. 87. Il en résulte que l’Appelant, ayant apposé sa signature sur un document faisant expressément mention de son licenciement à la date du 30 avril 2013, l’absence de sa signature sur l’ordre de licenciement du 25 avril 2013 ne saurait constituer, en tout état de cause, un vice de nature à entacher la régularité formelle du licenciement. 3) Sur l’existence de motifs justifiant la rupture anticipée du contrat de travail par le Club 88. L’Intimé a fondé la rupture du Contrat sur l’absence de l’Appelant de son club pendant une période courant du 12 mars au 9 avril 2013, soit près d’un mois, sans en avoir reçu l’autorisation, ni informé les responsables de sa situation, ceci en violation de ses obligations contractuelles. Un tel absentéisme injustifié sur une aussi longue période constitue un motif de rupture anticipée pour juste cause, comme l’a retenu la décision du Comité. 89. L’Appelant, au contraire, soutient que son absence a été causée par le refus du Club de mettre en place un traitement approprié pour soigner sa blessure, en quoi l’Intimé aurait violé l’obligation à laquelle il s’était expressément engagé par le Contrat de procéder aux examens et aux traitements médicaux appropriés. 90. A cet égard, il ressort du dossier que les parties n’ont pas, l’une comme l’autre, respecté leurs obligations telles qu’elles en étaient convenues contractuellement. 91. L’Appelant n’apporte en effet pas la preuve qu’il avait obtenu l’autorisation, sinon écrite, du moins orale, de s’absenter pour raisons médicales comme il le prétend. Son allégation selon laquelle le médecin du Club, le Dr Butorin avec qui il avait eu un entretien téléphonique le 7 mars 2013 sitôt après son retour de la clinique MEDSI à Moscou, lui aurait expliqué qu’il n’y avait pas de moyens de se soigner à Sotchi où l’équipe devait se déplacer et lui aurait conseillé “d’organiser son traitement par ses propres moyens”, ne repose que sur le témoignage d’un ancien joueur du FC X., A., qui confirme ces propos. La Formation arbitrale relève toutefois que cet ancien joueur du FC X. n’a pas confirmé ses propos lors de l’audience du 3 décembre 2014. Même si l’existence d’une liaison téléphonique est attestée par la liste des relevés produite par l’Appelant, la véracité du contenu de la conversation ne saurait être établie sur la seule foi du témoignage produit alors qu’il est peu vraisemblable que A. ait pu écouter la conversation téléphonique, comme le souligne à bon droit l’Intimé. 92. Ce témoignage étant dénué de toute force probante, l’Appelant n’a donc pas démontré qu’il a obtenu l’autorisation requise du Club pour se soigner par ses propres moyens. 93. Mais d’un autre côté, de par son attitude, l’Intimé a certainement contribué, à la situation qu’il impute à l’Appelant. 94. Tout d’abord, l’allégation de l’Intimé selon laquelle il ignorait le lieu où se trouvait le Joueur durant son absence, ni les raisons de celle-ci paraît difficilement crédible. En effet, les relevés téléphoniques produits par l’Appelant attestent que, durant son séjour à Makhatchkala où il suivait un traitement médical, le Joueur s’est entretenu à six (6) reprises avec le Dr Butorin et au moins une fois, le 14 mars 2013, avec M. Trishin, le responsable de la formation au sein du Club. La Formation arbitrale ne voit dès lors pas quel serait l’objet de ces appels téléphoniques sinon pour informer le Club de la situation du Joueur. C’est pourquoi il est plus que douteux que l’Intimé n’ait pas connu, comme il le prétend, le lieu et les raisons de l’absence du Joueur. 95. Il apparaît également que le Club a fait montre d’une légèreté coupable vis-à-vis du sérieux de la blessure de l’Intimé. Considérant dès l’origine qu’il ne s’agissait que d’une “petite contusion”, le Club a persisté dans ce diagnostic malgré les plaintes répétées du Joueur de douleurs récurrentes et le rapport médical établi le 7 mars 2013 à la suite de l’IRM effectuée à la clinique MEDSI de Moscou faisant état des conclusions suivantes: “Arthrose déformante, arthrite, articulation du tarsemétatarse avec présence de dissections ostéochondrales de l’os cuboïde. Chondromalacie des surfaces articulaires du talus et du tibia 1-2 st. “Pied du joueur de football”. Contusion de l’os sphénoïde et de la base des 2ème et 3ème métatarsiens”. Malgré ces conclusions, il n’apparaît pas que l’Intimé ait jugé nécessaire de proposer un traitement adéquat dans le cadre interne du Club, ce qui a pu fonder le Joueur, dont sa blessure persistante handicapait forcément sa carrière, à chercher une solution par lui-même. 96. Cela est d’autant plus vrai que, finalement, la clinique Bogenhausen de Munich a diagnostiqué une “instabilité post-traumatique des métatarsiens cunéiformes I/II du pied droit” entraînant une opération chirurgicale. 97. Il est dès lors indéniable qu’en persistant à ne pas mesurer la gravité de la blessure, l’Intimé a manqué à son obligation, stipulée à l’article 4.1.5 du contrat de travail, “d’organiser, à ses frais, périodiquement les examens médicaux requis de l’employé, les examens médicaux extraordinaires de l’employé, à sa demande, en accord avec les recommandations médicales”. 98. En outre, l’Intimé n’a pas été en mesure de produire une preuve attestant qu’il avait rempli l’obligation, énoncée à l’article 4.1.4 du contrat de travail, “[…] de fournir une assurance vie et de santé pour l’employé [le Joueur] ainsi qu’une assurance complémentaire afin de garantir à l’employé [le Joueur] des services médicaux et d’autres prestations complémentaires en sus du programme obligatoire d’assurance-santé de l’État”. 99. Mieux, l’Intimé a même admis en audience n’avoir pas souscrit à cette assurance, considérant qu’il serait à même si nécessaire d’assumer le paiement des traitements médicaux. 100. Il en ressort que, s’il peut être fait reproche à l’Appelant de s’être absenté du Club sans autorisation formelle de celui-ci, il reste que l’Intimé, d’une part, ne pouvait pas ne pas être au courant de l’existence et de la réalité de la blessure du Joueur, attestée par le rapport médical du 7 mars 2013, ni du lieu et des raisons de son séjour dans sa ville natale de Makhatchkala; d’autre part, que l’Intimé a, de par son attitude vis-à-vis de la blessure, manifestement conduit l’Appelant à prendre ses propres dispositions pour rechercher un traitement approprié, ce qui lui a occasionné des pertes de temps et d’argent. 101. L’importance respective de la violation par chacune des parties des obligations contractées n’est de toute façon pas à être établie dans la mesure où, en tout état de cause, l’Intimé n’était pas en droit de prononcer le licenciement dans les circonstances de l’espèce. 102. En effet, aux termes de l’article 81.14, 2ème partie du Code russe du travail “Il est interdit de licencier un salarié à l’initiative de l’employeur (hormis dans les cas de liquidation de la société ou de fin d’activité d’un entrepreneur individuel) durant une période d’incapacité temporaire de travail ou lors de ses vacances”. 103. Il est clairement établi que l’Appelant était dans l’incapacité d’exercer son métier en raison de sa blessure au moment où la rupture unilatérale du contrat de travail a été prononcée par le Club par son ordre de licenciement du 25 avril 2013. Une telle rupture est donc intervenue en violation directe des dispositions du Code russe du travail. 104. L’Intimé soutient cependant que le Code russe du travail, et en particulier la garantie énoncée à l’article 81.14, 2ème partie, serait inapplicable en l’espèce dans la mesure où la loi russe 329 FS du 4 décembre 2007 régissant les relations contractuelles des sportifs professionnels devrait être regardée comme instituant un régime spécial pour les sportifs professionnels qui se substituerait totalement au droit commun du travail tel qu’établi par le Code russe du travail. Une telle interprétation ne saurait cependant être retenue. 105. Tout d’abord, il convient de relever que le Contrat lui-même prévoit expressément l’application du Code russe du travail. L’article 4.2 du Contrat stipule en effet que “L’employeur a des droits et des obligations en conformité avec le Code du travail (…)”, ce qui ne saurait être interprété autrement que comme signifiant la commune intention des parties de soumettre leurs relations de travail sous le régime dudit Code, notamment en ce qu’il interdit le licenciement par l’employeur d’un salarié en incapacité temporaire de travail. 106. Sans doute, la même stipulation du Contrat vise-t-elle d’autres dispositions que le Code russe du travail. Elle énonce en effet que les droits et obligations de l’employeur doivent être en outre en conformité “avec les autres lois de la Fédération de Russie contenant le droit du travail et avec les conventions collectives, les accords et les réglementations locales prises par l’employeur, en tenant compte de la réglementation de l’URF, de la FIFA et de l’UEFA”. Pour autant, la référence à ces autres dispositions n’exclut pas l’applicabilité de l’article 81.14, 2ème partie, du Code russe du travail. 107. On note en effet que la stipulation soumet le Contrat d’abord au Code du travail et aux dispositions législatives de Russie relatives au droit du travail. Ce n’est qu’in fine que les réglementations sportives, notamment de l’URF, sont visées et dans la mesure seulement où elles peuvent être “prises en compte”. La primauté de l’application au Contrat des dispositions générales du Code russe du travail sur les normes sportives ne fait pas de doute. 108. En outre, en admettant même que le Contrat autoriserait la prise en considération de la loi russe du 4 décembre 2007 régissant les contrats de travail des sportifs professionnels, celle -ci ne pourrait éventuellement être regardée comme dérogeant spécialement au droit commun du travail que si, s’agissant de l’interdiction de licenciement d’un salarié en incapacité temporaire de travail énoncée par le Code, la loi “spéciale” avait expressément exclut les sportifs d’une telle garantie. Or, comme l’indique lui-même l’Intimé, la loi du 4 décembre 2007 ne prévoit rien sur ce plan. Ce silence ne saurait sérieusement être interprété comme valant exclusion d’une garantie aussi fondamentale dont bénéficient pour leur protection l’ensemble des travailleurs de la Fédération de Russie. 109. Pour cette raison-même, ne saurait davantage être accueillie l’argumentation de l’Intimé tentant de justifier l’inapplicabilité du droit commun du travail sur la prétendue “spécificité du sport” et selon qui “il faut prendre conscience que le quotidien des blessures parmi les sportifs professionnels, étant donné la probabilité bien au-delà de celles des travailleurs dans d’autres domaines, comme justifiant que la Fédération russe ait légiféré sur l’activité des sportifs professionnels de façon séparée de tout autre travailleur soumis au code du travail russe entièrement”. Un tel raisonnement aboutirait, précisément en raison de la fréquence des blessures subies par les sportifs, à permettre à leurs employeurs de les licencier pour ce motif ! Bien au contraire, la protection que garantit l’article 81.14 du Code russe du travail, apparaît ici essentielle au respect des droits des sportifs. 110. La Formation arbitrale considère donc que l’Intimé, en décidant de licencier le Joueur, alors que celui-ci était dans l’incapacité temporaire d’exercer son métier, a violé ses obligations contractuelles. 111. En conséquence, l’Appelant est fondé à recevoir de l’Intimé les sommes suivantes: RUB […] à titre d’arriérés de salaires, sous déduction de RUB […] déjà versés le 9 juillet 2013, soit un solde de RUB […]; RUB […] correspondant à l’indemnité de 3 mois de salaire prévue à l’article 9 al. 2 du Règlement de l’URF en cas de rupture injustifiée du contrat de travail par le club employeur; RUB […] à titre de remboursement des frais médicaux acquittés par l’Appelant; Ainsi le total que doit verser l’Intimé s’élève à RUB […]. 112. En revanche, l’allégation de l’Appelant selon laquelle l’Intimé devrait lui verser la somme de RUB […], correspondant à cinq (5) mois de salaire en raison du préjudice subi du fait que sa blessure n’a pas été correctement prise en charge par le Club, ne saurait être accueillie. 113. En effet, même si le Club a négligé son obligation de fournir des soins appropriés, cette négligence a eu pour effet d’obliger le Joueur à se soigner par ses propres moyens mais ne peut être la cause directe qui aurait “dissuadé de potentiels clubs acquéreurs de l’engager durant la période d’enregistrement estivale”, comme le soutient l’Appelant. Un tel préjudice, à le supposer établi, est la conséquence de l’opération chirurgicale subie par le Joueur et de la convalescence qui s’en est suivie, événements qui se seraient de toute façon produits si le Club avait correctement agi en conséquence de la gravité de la blessure. 114. Finalement, l’Appelant ne saurait réclamer le paiement de la somme de RUB […] à titre d’indemnité de location d’appartement dans la mesure où le Club s’est déjà acquitté de ce montant les 9 et 10 juillet 2013. 115. Pour ces motifs, la Formation arbitrale déclare l’Appel recevable, annule la décision du 4 juin 2013 rendue par le Comité du Statut des Joueurs de l’URF et condamne l’Intimé à verser à l’Appelant la somme totale de RUB […] ainsi qu’aux frais et dépens de la présente instance. PAR CES MOTIFS Le Tribunal Arbitral du Sport, statuant contradictoirement: 1. Admet partiellement l’appel déposé par S. le 2 août 2013 à l’encontre de la décision du 4 juin 2013 rendue par le Comité du Statut des Joueurs de l’URF. 2. Annule la décision du 4 juin 2013 rendue par le Comité du Statut des Joueurs de l’URF. 3. Condamne le FC X. à verser à S. la somme de RUB […] à titre d’arriérés de salaires, de compensation financière correspondant à trois (3) mois de salaire prévue par l’article 9 al. 2 du RSTJ URF et de remboursement des frais médicaux supportés par S. (…) 5. Rejette toutes autres ou plus amples conclusions des parties.