F.I.F.A. – Dispute Resolution Chamber / Camera di Risoluzione delle Controversie – labour disputes / controversie di lavoro (2019-2020) – fifa.com – atto non ufficiale – Decision 4 juin 2020
Décision de la
Chambre de Résolution des Litiges
rendue via videoconference, le 4 juin 2020
dans le cadre d’un litige contractuel concernant le joueur Boubacar Traore
COMPOSITION:
Clifford J. Hendel (USA/France), Vice-Président Elvis Chetty (Seychelles), membre Tomislav Kasalo (Croatie), membre
DEMANDEUR 1 / DÉFENDEUR 2
Boubacar Traoré, Mali
représenté par M. Ali Abbes
DEMANDEUR 2 / DÉFENDEUR 1
Athlétique Bizertin, Tunisie
représenté par M. Slim Boulasnem
PARTIE INTERVENANTE
Stade Malien de Bamako, Mali
I. FAITS
1. Le 7 janvier 2019, le club tunisien Athlétique Bizertin (ci-après : le demandeur 2 / défendeur 1 ou Bizerte) et le joueur malien Boubacar Traoré (ci-après : le demandeur 1 / défendeur 2 ou le joueur) ont signé un contrat de travail (ci-après : le contrat), valable à compter de la date de signature pour 3,5 saisons jusqu'au 30 juin 2022.
2. Selon l'art. 3 du contrat, le joueur avait droit à la rémunération suivante, composée d'un salaire et d'une prime de rendement:
Saison 2018/2019 :
(Dinar tunisien) DT 10,000 au titre de prime de rendement ;
DT 1,500 au titre de salaire mensuel.
Saison 2019/2020 :
DT 15,000 au titre de prime de rendement ;
DT 1,700 au titre de salaire mensuel.
Saison 2020/2021 :
DT 20,000 au titre de prime de rendement ;
DT 1,900 au titre de salaire mensuel.
Saison 2021/2022 :
DT 25,000 au titre de prime de rendement ;
DT 2,100 au titre de salaire mensuel.
3. En outre, le joueur a bénéficié d'un appartement et a eu droit à un billet d'avion aller-retour Tunis/Bamako chaque saison.
4. Conformément à l'art. 4 par. 11, le joueur n'avait pas le droit de voyager en Tunisie ou à l'étranger sans l'autorisation écrite préalable de Bizerte. En outre, selon l'art. 4 par. 12, le joueur avait l'obligation de répondre à chaque convocation et de participer à chaque match, entraînement, etc. organisé par Bizerte.
5. Le 19 décembre 2019, le joueur a accordé à Bizerte 15 jours pour payer les montants DT 8,500 au titre des salaires des mois de juillet, août, septembre, octobre et novembre 2019, ainsi que DT 15,000 au titre de la prime de performance fixe non encore versée depuis le début de la saison 2019-2020.
6. En vertu d'un document, le "Procès Verbal d'offre de Solde" daté du 31 décembre 2019 et présenté par Bizerte, un huissier-notaire s'est rendu au domicile du joueur au nom de Bizerte pour effectuer le paiement de DT 7,000. Cependant, selon le procès-verbal, le joueur a refusé pour la raison suivante : "Par le refus en motivant son refus que son manager l'a ordonné de ne pas accepter aucun sou jusqu'à sa présence":
7. Selon un second document " Procès Verbal d'offre de Solde " également daté du 31 décembre 2019, il apparaît qu’un huissier s'est rendu au domicile du joueur au nom de Bizerte pour effectuer le versement de DT 6,923 au titre de la prime de performance forfaitaire. Cependant, le joueur n'a pas accepté le paiement pour la raison suivante : "nous n'avons pas pu avoir de réponse étant donné qu'il ne se trouvait pas au siège ci-dessus indiqué ».
8. Le 31 décembre 2019, le joueur a réitéré le contenu de sa correspondance datée du 19 décembre 2019 et a informé Bizerte que n’étant pas titulaire d’un permis de travail valide ni d’une carte de séjour, il enfreignait les lois sur l'immigration et le travail du pays. À cet égard, le joueur a demandé à Bizerte de lui fournir un permis de travail valide au plus tard le 3 janvier 2020.
9. Le même jour, c'est-à-dire le 31 décembre 2019, Bizerte a souligné qu'il se souciait du joueur et qu'il voulait résoudre la situation. Cependant, Bizerte a regretté que le joueur ait refusé de recevoir l’argent que l’huissier à tenter de lui remettre. Dans ce contexte, Bizerte a invité le joueur à se présenter au club afin de recevoir les montants dus ou à fournir les coordonnées bancaires sur lesquelles il souhaitait recevoir l'argent. Le club Bizerte a également informé le joueur que la procédure pour l'obtention du permis de travail était déjà lancée. Enfin, Bizerte a souligné que le joueur souhaitait mettre fin au contrat, raison pour laquelle il refusait toute somme due par Bizerte.
10. Le 1er janvier 2020, le joueur s'est d'abord plaint que la prime de rendement était en retard depuis 6 mois. De plus, le joueur a détaillé les différents montants encore en suspens. Enfin, le joueur s'est plaint du permis de travail qui n'avait pas encore été délivré. A cet égard, le joueur a souligné qu'il aurait dû recevoir ledit permis de travail depuis le 7 janvier 2019 et que Bizerte n'a pas pris la situation au sérieux. Le joueur a fourni les coordonnées bancaires sur lesquelles il a autorisé Bizerte à lui verser le montant dû.
11. Le 2 janvier 2020, Bizerte a informé le joueur qu'il avait essayé de l'appeler pour l’informer que son permis de travail était prêt et qu'il pouvait l'obtenir auprès de l'autorité tunisienne compétente. De plus, Bizerte s'est plaint de l'absence du joueur.
12. Le 3 janvier 2020, le joueur a exprimé sa crainte d'être arrêté par la police car il n'avait toujours pas de permis de travail. Il a donc demandé à Bizerte de lui fournir le document remis par l'autorité compétente l'invitant à venir chercher son permis de travail.
13. Le même jour, Bizerte a indiqué qu’ils avaient tenté de payer les rémunérations dues au joueur mais a rappelé que le joueur avait refusé lesdits paiements suite lors de la visite de l’huissier. En outre, Bizerte a garanti que le permis de travail était prêt et a invité le joueur à se rendre dans les bureaux du club, et que le vice-président de Bizerte aiderait le joueur à récupérer le permis de travail auprès de l'autorité. En réponse à cette dernière correspondance, le joueur a réitéré son souhait de voir au moins un document officiel confirmant le permis de travail, avant d'envisager de revenir en Tunisie.
14. Par le biais d'un courriel adressé au joueur, daté du 7 janvier 2020, Bizerte s'est plaint que le joueur n'était pas présent à l'entraînement du club. En outre, Bizerte a indiqué que le joueur s'était rendu à Tunis, sans son autorisation, et avait été arrêté par la police en raison de sa situation illégale. À cet égard, Bizerte a déclaré que le secrétaire général du club s'était rendu à Tunis pour présenter les documents du joueur à la police. Dans ce contexte, Bizerte a demandé au joueur de se rendre le même jour auprès des autorités compétentes de Bizerte pour recevoir son permis de travail. Cependant, Bizerte a constaté que le joueur avait refusé de le faire. Par conséquent, Bizerte a invité le joueur à se rendre le lendemain, le 8 janvier 2020, avec un représentant du club. Enfin, Bizerte a demandé au joueur de ne pas utiliser cette situation comme un moyen de résilier son contrat.
15. Le 8 janvier 2020, le joueur a confirmé avoir reçu de Bizerte les sommes dues.
16. Le même jour, le joueur a résilié le contrat avec Bizerte (ci-après : la résiliation), en indiquant que, par la faute de Bizerte, sa situation était illégale au regard du droit tunisien. Le joueur a souligné qu'il avait demandé à plusieurs reprises à Bizerte de régulariser sa situation, en vain. Dans ce contexte, le joueur a estimé que cette situation était grave car il était sous la menace de poursuites pénales en Tunisie.
17. D’après les documents fournis par les parties, il apparaît qu'une enquête de police a été ouverte début janvier 2020 concernant le droit du joueur à travailler en Tunisie. L'objet de l'enquête semble être le "séjour illégal en Tunisie". Des membres de Bizerte ont été interrogés sur la légalité de la situation contractuelle du joueur. À cet égard, le responsable du club a souligné que même si le club avait tout fait correctement, le joueur ne s'est jamais présenté pour obtenir son permis de travail alors que Bizerte aurait finalement déposé lui-même la demande de permis de travail au nom du joueur en novembre 2019.
18. Au cours de ses entretiens avec la police, le joueur a en revanche indiqué qu'il était disposé à se rendre auprès de l'autorité compétente pour obtenir son permis de travail et sa carte de séjour s'il était assisté du représentant légal de Bizerte.
19. Le 21 janvier 2020, la Fédération Malienne de Football (ci-après : la FMF) a demandé l'ITC du joueur.
20. Le 12 mars 2020, Bizerte a porté plainte contre le joueur et le club Malien, Stade Malien de Bamako (ci-après : Stade Malien) pour rupture du contrat.
21. Dans sa réclamation, Bizerte s'est d'abord plainte du fait que lorsque le joueur a envoyé sa mise en demeure le 19 décembre 2019, il n'a pas soumis de compte bancaire sur lequel le paiement devrait être effectué. Dans ces circonstances et étant donné que le club a toujours payé le joueur en espèces, il n'a pas pu effectuer ledit paiement. Le club a invité le joueur à plusieurs reprises à se rendre dans ses bureaux pour recevoir sa rémunération, en vain. Nonobstant ce qui précède, Bizerte a souligné qu’ils avaient réussi à effectuer les paiements au joueur, comme l'a confirmé ce dernier le 8 janvier 2020.
22. Le club de Bizerte a fourni des photos montrant un représentant du club et un huissier discutant avec le joueur le 31 décembre 2019. Selon Bizerte, le joueur a refusé le paiement, affirmant que son agent lui avait donné l'instruction de refuser tout paiement.
23. Le club de Bizerte a expliqué le processus de calcul de la prime de rendement (montant prévu dans le contrat / nombre de matches du club au cours de la saison x nombre de matches auxquels le joueur a participé). Dans ce contexte, Bizerte a estimé que le joueur avait droit à une prime de rendement d'un montant de DT 6,923.
24. Le club de Bizerte a également affirmé que le joueur et son agent avaient été arrêtés volontairement par la police à "Cité Ennasr", à 60 kilomètres de Bizerte. Le club a fourni une photo comme preuve. Selon Bizerte, un tel comportement du joueur est contraire à l'art. 4 par. 11 du contrat.
25. Selon Bizerte, le joueur a quitté la Tunisie le 8 janvier 2020, après avoir confirmé qu'il avait reçu toutes les rémunérations dues et avoir mis fin à son contrat.
26. Bizerte a souligné que le joueur était l'un de ses meilleurs joueurs et qu'il avait reçu de nombreuses offres pour lui, jugées trop basses.
27. Le club Bizerte a considéré que le joueur avait utilisé la situation du permis de travail comme motif de résiliation du contrat. Toutefois, le club avait informé le joueur à de nombreuses reprises que le permis de travail était prêt à être retiré auprès de l'autorité compétente. Le joueur a toujours refusé de le faire. En outre, Bizerte est de l’opinion que le joueur a orchestré son arrestation par la police afin d'invoquer cet argument et de faire pression sur le club de Bizerte. À cet égard, Bizerte a souligné que l'argument du joueur est nul, car il aurait été expulsé de Tunisie s'il avait été en situation illégale au moment de son arrestation.
28. En outre, Bizerte a souligné que le joueur a voyagé avec le club pour des matches au Qatar et en Serbie, sans avoir de problèmes avec les douanes en ce qui concerne son permis de travail.
29. Le club de Bizerte a estimé que l’intention du joueur de mettre fin au contrat est d'autant plus établie que la FMF a demandé l'ITC du joueur le 21 janvier 2020. Selon Bizerte, le Stade Malien a incité le joueur à résilier le contrat.
30. Selon Bizerte, cette situation est très particulière compte tenu du fait que le Stade Malien est un club amateur. Le club Bizerte a donc remis en cause le choix du joueur, de mettre fin à son contrat de professionnel, de rejoindre un club amateur au Mali.
31. A l’encontre du joueur, Bizerte a réclamer le remboursement de DT 44,700 correspondant aux sommes reçues par le joueur, DT 103,200 comme compensation pour la rupture du contrat correspondant à la valeur résiduelle du contrat, ainsi que 350,000 en tant que « indemnité de rupture abusive du contrat » et des sanctions sportives envers le joueurs.
32. A l’encontre du Stade Malien, Bizerte a réclamé une « indemnité de formation : l’indemnité de formation sera calculée selon la classe du nouveau club solidairement responable de cette résiliation avec le joueur », DT 550,000 comme compensation financière et des sanctions sportives.
33. Le 19 mars 2020, le joueur a déposé une plainte à l’encontre de Bizerte, réclamant, DT 103,200 correspondant à la valeur résiduelle du contrat ainsi que des sanctions sportives envers Bizerte.
34. Le joueur a d'abord expliqué que, dans le cadre de la demande de paiement des rémunérations impayées auprès du club, il n'avait pas de compte bancaire. Il n'a pas pu ouvrir un compte bancaire car il n'était pas titulaire d'un permis de travail ou d'une carte de séjour. Le joueur a expliqué qu'en vertu de la loi tunisienne, il ne pouvait pas être en possession de beaucoup d'argent liquide puisqu'il n'était pas en possession d'un permis de travail.
35. Le joueur a également mentionné son arrestation par la police, qui a ensuite donné lieu à deux interrogatoires avec la police et à une enquête du tribunal de l'Ariana. Cette enquête a débouché sur des poursuites pénales contre le joueur pour son séjour illégal en Tunisie.
36. A cet égard, le joueur a déclaré qu'un représentant de Bizerte a donné une interview à la radio le 8 janvier 2020, dans laquelle il a reconnu que les permis de travail peuvent prendre un certain temps et que le permis de travail du joueur n'était pas encore prêt. Le joueur a expliqué avoir été déçu par cette interview et a quitté le pays à la suite de celle-ci.
37. Selon le joueur, il a résilié le contrat pour un motif valable. Bizerte lui a jamais délivré de permis de travail, pour une période de 12 mois, ce qui signifie que son séjour et son emploi en Tunisie étaient illégaux. Dans ces circonstances, il risquait de faire l'objet d'accusations pénales et d'être expulsé. Comme preuve, le joueur a présenté les dispositions pertinentes de la loi tunisienne, régissant le séjour et l'emploi des étrangers.
38. En réponse à la plainte du joueur, Bizerte n’a pas fourni de commentaires.
39. En réponse à la plainte de Bizerte, le joueur a réitéré que depuis la signature du contrat (8 janvier 2019) jusqu'à la date de résiliation, il n'avait pas de permis de travail valide.
40. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle il a reçu son salaire en espèces, le joueur a soutenu qu'en raison de sa situation (absence de permis de travail), il ne pouvait recevoir les salaires que via le compte bancaire de son agent, ce qui a été convenu avec Bizerte.
41. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle le joueur a été arrêté volontairement, le joueur a soutenu qu'il aurait dû pouvoir se déplacer à l'intérieur du pays comme il le souhaitais, si sa situation avait été régularisée par le club.
42. Le joueur a fait plusieurs accusations de racisme envers Bizerte (que la façon dont il a été traité, d'être pris en photo recevant de l'argent, de ne pas être autorisé à se déplacer librement à l'intérieur du pays). Le joueur a fortement nié avoir planifié son arrestation.
43. Sur son permis de travail : le joueur a souligné qu'il est de la responsabilité du club d'entamer la procédure administrative du permis de travail avant même que le joueur ne rejoigne le pays. Le joueur a fait valoir que jusqu'à présent, le club n'a fourni aucune preuve qu'il avait entamé la procédure administrative pour le permis de travail du joueur et le joueur a soutenu qu'il n'avait pas été informé de l'existence d'une quelconque procédure entamée par Bizerte.
44. Le joueur a maintenu sa demande de 103 200 DT plus intérêts.
45. En réponse à a plainte de Bizerte, le Stade Malien a soutenu avoir eu l’intention de demander l’ITC du joueur, mais que suite au rejet de la demande d’ITC par Bizerte et le Fédération Tunisienne de Football, elle avait renoncé à s’adjoindre les services du joueur.
46. Le Stade Malien a ajouté m’avoir eu aucun contact avec le joueur depuis et que la plainte en cours ne le concernait pas.
47. Finalement, le joueur a informé l’administration de la FIFA qu’il n’avait pas retrouvé d’emploi pour la période concernée.
II. CONSIDERANTS DE LA CHAMBRE DE RESOLUTION DES LITIGES
1. En premier lieu, la Chambre de Résolution des Litiges (ci-après : la Chambre ou la CRL) a analysé si elle était compétente pour traiter le présent litige. A cet égard, elle a pris note que la présente demande a été soumise à la FIFA sous forme de plainte parallèle les 12 et 19 mars 2020. Par conséquent, la CRL a conclu que l’édition 2020 du Règlement de la Commission du Statut du Joueur et de la Chambre de Résolution des Litiges (ci-après : les Règles de procédure) était applicable au présent litige (cf. art. 21 des Règles de procédure).
2. Par la suite, la Chambre s’est référée à l’art. 3 al. 1 des Règles de procédure et a confirmé qu’en application de l’art. 24 al. 1 et de l’art. 22 let. b) du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (édition 2020), elle est l’organe décisionnel compétente pour connaître des litiges contractuels entre un joueur malien, un club tunisien et un club malien comportant une dimension internationale.
3. En outre, la CRL a analysé quelle édition du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (ci-après : le Règlement) est applicable quant au droit matériel. A cet égard, elle s’est référée, d’une part, à l’article 26 al. 1 et 2 du Règlement (édition 2020) et, d’autre part, au fait que les plaintes aient été déposées auprès de la FIFA les 12 et 19 mars 2020. Au vu de ce qui précède, la CRL a conclu que l’édition 2020 du Règlement est applicable au présent litige quant au droit matériel.
4. Une fois sa compétence et la réglementation applicable établies, la CRL a statué sur le fond du litige. Ce faisant, elle a tout d’abord rappelé les faits mentionnés ci-dessus et étudié la documentation apportée au dossier. Toutefois, la Chambre a souligné que dans les considérants qui suivent, elle ne se référera qu’aux faits, arguments et à la documentation pertinents pour l’analyse de la présente affaire.
5. Prenant en compte les considérations mentionnées précédemment, la CRL a noté que le 7 janvier 2019, le joueur et Bizerte avait signé un contrat de travail valide jusqu’au 30 juin 2022, d’après lequel le joueur était, inter alia, en droit de recevoir chaque année une prime de rendement et un salaire mensuel.
6. La Chambre a pris note que les 19 et 31 décembre 2019, le joueur avait mis en demeure le club assurant ne pas disposer d’un permis de travail valide ainsi que de carte de séjour et donc être en situation irrégulière avec la loi tunisienne. Il a donc réclamé la régularisation de sa situation. Par la même occasion, le joueur a réclamé le paiement de salaires impayés ainsi que de la prime de rendement.
7. La CRL a pris note que le 8 janvier 2020, le joueur a reconnu avoir reçu les montants impayés mais a mis fin unilatéralement au contrat en raison de l’absence de permis de travail délivré par Bizerte à son encontre et de sa situation irrégulière en Tunisie.
8. La Chambre a observé qu’en date du 12 mars 2020, Bizerte avait porté plainte à l’encontre du joueur et du Stade Malien considérant que le Stade Malien avait incité le joueur à rompre le contrat et que la rupture du contrat du joueur était sans motif valable. Bizerte a considéré qu’au moment de la rupture du contrat, aucun arriéré de salaires n’étaient dus au joueur et que le joueur aurait pu récupérer son permis de travail s’il avait suivi ses directives.
9. La Chambre a dans le même temps pris note que le 19 mars 2020, le joueur avait lui aussi déposé une plainte à la FIFA, à l’encontre de Bizerte arguant que la rupture était du fait du comportement de Bizerte et notamment de l’absence de permis de travail fourni par Bizerte depuis le début du contrat.
10. Au vu des allégations et arguments présentés par chacune des parties, la Chambre a considéré qu’en l’espèce, il convenait d’établir dans un premier temps si la résiliation du contrat par le joueur était fondée ou non sur une juste cause.
11. Ainsi, la Chambre a été amenée à déterminer si les arguments et preuves avancés par le joueur pour justifier la résiliation unilatérale du contrat pouvaient constituer une juste cause pour rompre le contrat avant le terme contractuellement établi par les parties.
12. La CRL a rappelé qu’il demeure incontesté que le joueur a mis fin au contrat de travail le 8 janvier 2020 à la suite d’une dernière mise en demeure datée du 31 décembre 2019 par laquelle il réclamait sa régularisation vis-à-vis de sa situation en Tunisie et que à la date de la rupture du contrat par le joueur, celui-ci ne réclamait plus aucuns arriérés de salaires.
13. Sur la question du permis de travail, la CRL a pris note qu’il demeure incontesté aussi que le joueur était en situation irrégulière en Tunisie du fait qu’il ne possédait pas de permis de travail et d’une carte de séjour valide.
14. Sur ce point, la CRL a pris note de l’argumentation de Bizerte selon laquelle, il avait entamé des démarches visant à l’obtention du permis de travail par le joueur, au nom de celui-ci. La CRL a noté que Bizerte mettait en avant que le joueur aurait pu récupérer son permis de travail auprès des autorités compétentes en Tunisie.
15. Le joueur a par ailleurs mis en avant qu’il était de la responsabilité de Bizerte de s’assurer que son employé était en situation régulière et cela dès le début de la validité du contrat.
16. A ce stade, la Chambre a souhaité rappeler aux parties le principe de la charge de la preuve, tel qu’établi par l’art. 12 par. 3 des Règles de procédures, selon lequel la charge de la preuve incombe à la partie qui invoque un droit découlant d’un fait qu’elle allègue. En application de ce principe, la Chambre a noté qu’en l’espèce, Bizerte n’avait fourni aucune preuve concrète qu’une procédure administrative avait été entamée de sa part en vue d’obtenir au nom du joueur un permis de travail.
17. De même, la CRL a noté que Bizerte n’avait pas non plus fourni de documents permettant de certifié que le permis de travail du joueur était en effet disponible pour que le joueur le récupère.
18. A cet égard, la Chambre a tenu à souligner que l’obtention du permis de travail ou de de la mise en oeuvre de toute autre démarche administrative permettant à un joueur de pouvoir travailler dans le pays du club qui l’emploi, incombe au club. Ainsi la responsabilité d’obtenir un permis de séjour ou de travail avant la signature du contrat de travail ou du moins la période de validité du contrat de travail incombe au club et dans ce cas précis, incombait à Bizerte.
19. Tenant compte de ce qui précède et du fait que le contrat a été signé le 7 janvier 2019 et que jusqu’à la date de la rupture unilatérale du contrat par le joueur le 8 janvier 2020, le joueur ne disposait pas d’un permis de travail valide, la CRL a considéré que le joueur avait des raisons valables de mettre fin au contrat de travail. La CRL a mis en avant qu’en l’absence de toute preuve de la part de Bizerte certifiant de véritables démarches prises en vue d’obtenir ce permis, et en raison de la durée pendant laquelle Bizerte aurait pu entreprendre et réussir ces démarches, la rupture par le joueur devait être considéré comme étant avec juste cause et du fait de Bizerte.
20. Par conséquent, la CRL a déterminé de manière unanime que le joueur avait eu juste cause pour rompre unilatéralement et prématurément le contrat le 8 janvier 2020 et que Bizerte devait être tenu responsable de ce qui précède.
21. La responsabilité de Bizerte concernant la rupture du contrat ayant été établie, la Chambre a focalisé son attention sur les conséquences de la rupture avec juste cause par le joueur. A cet égard et conformément à l’art. 17 al. 1 du Règlement, la Chambre a jugé que le joueur était en droit de recevoir une indemnité à titre de compensation en sus d’éventuels montants dus à titre d’arriérés de rémunération.
22. En l’absence d’arriérés de rémunération, la Chambre s’est attelée à déterminer le montant dû à titre de compensation. A ce titre, la Chambre a rappelé que conformément à l’art. 17 al. 1 du Règlement, l’indemnité pour rupture de contrat sera calculée, sous réserve de l’existence de stipulations contractuelles s’y rapportant, conformément au droit en vigueur dans le pays concerné, à la spécificité du sport et en tenant compte de tout critère objectif inhérent au cas. Ces critères comprennent notamment la rémunération et autres avantages dus au joueur en vertu du contrat en cours et/ou du nouveau contrat, la durée restante du contrat en cours jusqu’à cinq ans au plus, de même que la question de savoir si la rupture intervient pendant la période protégée.
23. Revenant au contenu du contrat, la Chambre a noté que celui-ci ne contient aucune stipulation spécifique établissant une indemnité applicable en cas de rupture du contrat sans juste cause par l’une des parties. Par conséquent, la Chambre a considéré qu’il convenait de se référer aux autres éléments mentionnés à l’al. 1 de l’art. 17 du Règlement. A cet égard, la Chambre a rappelé que cette disposition contient une énumération non-exhaustive de critères pouvant être pris en compte dans le cadre du calcul du montant de l’indemnité devant être payée et que, de ce fait, il avait toute discrétion pour se baser sur tout autre critère objectif pour calculer le montant de ladite indemnité.
24. Ayant à l’esprit les considérations qui précèdent ainsi que la demande du joueur, la Chambre a rappelé que le contrat devait initialement expirer le 30 juin 2022 et a procédé au calcul de la valeur résiduelle du contrat. Ainsi la CRL a établi que la somme de DT 103,200, correspondant à la rémunération totale due au joueur du 8 janvier 2020 au 30 juin 2022, correspondant aux salaires et tranches de la prime de rendements restantes, constituait la base de calcul pour déterminer le montant dû à titre de compensation.
25. La CRL a ensuite vérifié si le joueur avait signé un nouveau contrat de travail durant la période en question, au moyen duquel il aurait pu réduire l’étendue de son dommage. En effet, conformément à la jurisprudence constante de la CRL, la rémunération perçue dans le cadre de ce nouveau contrat doit être prise en considération afin de fixer le montant de la compensation payable et ce, en vertu de l’obligation qu’a tout joueur de limiter son préjudice. En l’espèce, la Chambre a observé qu’il ressortait des informations fournies par le joueur que celui-ci était resté sans emploi pour la période concernée, et avait ainsi été dans l’incapacité de réduire l’étendue de son dommage.
26. En conséquence, la CRL a décidé que Bizerte doit payer la somme de DT 103,200 au joueur à titre de compensation pour la rupture du contrat sans juste cause par le Bizerte, somme qui apparaît raisonnable et justifiée.
27. En conséquence de ce qui a été établi plus tôt et notamment que la rupture par le joueur était avec juste cause en raison des violations de Bizerte, la CRL a donc totalement rejeté la plainte de Bizerte.
28. En outre, la Chambre a fait référence à l'art. 24bis al. 1 et 2 du Règlement, qui stipule que, dans sa décision, l'organe de décision compétent de la FIFA statue également sur les conséquences découlant du défaut de paiement dans les délais impartis, par la partie concernée, des montants de la rémunération et/ou de l'indemnité due.
29. À cet égard, la Chambre a souligné que, à l'encontre des clubs, la conséquence du défaut de paiement des montants dus dans les délais impartis, consiste en l'interdiction de recruter des nouveaux joueurs, que ce soit au niveau national ou international, jusqu'au paiement des montants dus et pour la durée maximale de trois périodes d'enregistrement complètes et consécutives.
30. Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, la CRL a décidé que, dans le cas où Bizerte ne paie pas les montants dus au demandeur dans un délai de 45 jours à compter de la date de notification par le demandeur des informations bancaires permettant à Bizerte de procéder au paiement, Bizerte se verra interdit de recruter des nouveaux joueurs, au niveau national ou international, jusqu’à ce que les sommes dues soient payées, et pour une durée maximale de trois périodes d’enregistrement entières et consécutives, conformément à l'art. 24bis al. 2 et 4 du Règlement.
31. Enfin, la Chambre a rappelé que l'interdiction susmentionnée sera levée immédiatement, dès le paiement du montant dû, conformément à l'art. 24bis al. 3 du Règlement.
III. DECISION DE LA CHAMBRE DE RESOLUTION DES LITIGES
1. La demande du demandeur 1/défendeur 2, Boubacar Traoré, est partiellement acceptée.
2. La demande du demandeur 2/défendeur 1, l’Athlétique Bizertin est rejetée.
3. L’Athlétique Bizertin doit payer à M. Boubacar Traoré la somme de DT 103,200 plus un intérêt de 5% à partir du 19 mars 2020 jusqu’à la date de paiement effectif.
4. Toute autre demande formulée par M. Boubacar Traoré est rejetée.
5. M. Boubacar Traore s’engage à communiquer immédiatement et directement à l’Athlétique Bizertin, de préférence à l’adresse e-mail indiquée dans la lettre de couverture de la présente décision, les informations bancaires pour permettre à Bizerte de procéder aux paiements mentionnés aux points 3 ci-dessus.
6. L’Athlétique Bizertin s’engage à fournir à la FIFA, la preuve de paiement du/des montant(s) en accord avec le point 3 ci-dessus, à l’adresse e-mail psdfifa@fifa.org, dûment traduit, le cas échéant, dans l’une des langues officielles de la FIFA (anglais, espagnol, français et allemand).
7. Si les montants dus ainsi que les intérêts en accord avec les points 3 ci-dessus ne sont pas payés par l’Athlétique Bizertin dans un délai de 45 jours à compter de la date de notification par M. Boubacar Traoré des informations bancaires permettant à l’Athlétique Bizertin de procéder au paiement, l’Athlétique Bizertin se verra interdit de recruter des nouveaux joueurs, au niveau national ou international, jusqu’à ce que la/les somme(s) due/dues soit/soient payée(s), et pour une durée maximale de trois périodes d’enregistrement entières et consécutives (cf. art. 24bis du Règlement du Statuts et du Transfert des Joueurs).
8. L’interdiction mentionnée au point 7 ci-dessus sera levée dès que les sommes totales dues auront été payées.
9. Si les sommes susmentionnées ainsi que les intérêts ne sont toujours pas payés d’ici la fin de l’interdiction d’enregistrement pour les trois périodes d’enregistrement entières et consécutives, le cas sera soumis, sur demande, à la Commission de Discipline de la FIFA pour considération et décision.
Au nom de la
Chambre de Résolution des Litiges:
Emilio García Silvero
Directeur juridique et conformité
NOTE CONCERNANT LA PROCEDURE D’APPEL:
Conformément à l’article 58 alinéa 1 des Statuts de la FIFA, cette décision est susceptible d’un appel au Tribunal Arbitral du Sport (TAS). L’appel devra être interjeté dans un délai de 21 jours à compter de la notification de la décision et devra comprendre tous les éléments figurant au point 2 des directives émanant du TAS..
NOTE RELATIVE A LA PUBLICATION:
L'administration de la FIFA peut publier les décisions de la Commission du Statut du Joueur ou de la CRL. Lorsque ces décisions contiennent des informations confidentielles, la FIFA peut décider, à la demande d'une partie dans les cinq jours suivant la notification de la décision motivée, de publier une version anonymisée ou une version expurgée (cf. art. 20 du Règlement de la Commission du Statut du Joueur et de la Chambre de Résolution des Litiges).
INFORMATION DE CONTACT:
Fédération Internationale de Football Association
FIFA-Strasse 20 P.O. Box 8044 Zurich Switzerland
www.fifa.com | legal.fifa.com | psdfifa@fifa.org | T: +41 (0)43 222 7777