TAS-CAS – Tribunal Arbitral du Sport/Tribunale Arbitrale dello Sport – Court of Arbitration for Sport/Corte Arbitrale dello Sport (2017-2018) – tas-cas.org – atto non ufficiale – Arbitrage TAS 2016/A/4510 Club Entente Sportive Sétifienne c. Franck-Olivier Madou, sentence du 27 octobre 2017
Tribunal Arbitral du Sport Court of Arbitration for Sport
Arbitrage TAS 2016/A/4510 Club Entente Sportive Sétifienne c. Franck-Olivier Madou, sentence du 27 octobre 2017
Formation: Prof. Petros Mavroidis (Grèce), Président; Me Jean Gay (Suisse); Me Didier Poulmaire (France)
Football
Résiliation du contrat de travail sans juste cause par le club
Droit applicable pour la définition de “juste cause”
Définition de “juste cause”
1. Le RSTP ne définit pas ce qu’il faut entendre par “juste cause”. En application de la très large jurisprudence du TAS en la matière, la formation doit se référer au droit suisse, lequel est applicable pour l’interprétation de la réglementation de la FIFA.
2. La caractéristique première d’un contrat de durée déterminée est que les parties contractantes ne peuvent y mettre fin avant le terme convenu, à moins que celle qui en veut l’extinction prématurée puisse invoquer un juste motif de résiliation immédiate. Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent aussi justifier une résiliation immédiate. Une infraction pénale commise au détriment de l’employeur constitue, en principe, un motif justifiant le licenciement immédiat du travailleur.
I. LES PARTIES
1. Club Entente Sportive Sétifienne est un club de football, dont le siège social est à Sétif, en Algérie (“ESS”). Il est membre de la Fédération Algérienne de Football (“FAF”), laquelle est affiliée à la Fédération Internationale de Football Association (“FIFA”) depuis 1964.
2. M. Franck-Olivier Madou est un joueur de football professionnel, né le 15 septembre 1987 et de nationalité franco-ivoirienne (le “Joueur”).
II. LES FAITS
3. Cette section comprend un résumé des faits pertinents à l’origine du litige, établi sur la base des pièces de procédure écrite déposées par les Parties ainsi que de leurs plaidoiries. D’autres faits et allégations peuvent également y être mentionnés dans la mesure de leur pertinence en vue de la discussion sur le fond dans la présente sentence arbitrale. Si la formation arbitrale a pris en compte l’ensemble des faits de la cause, assertions, arguments de droit et éléments de preuve avancés par les Parties durant la procédure, elle se réfère dans la présente sentence arbitrale aux seuls éléments de fait et de droit qui lui sont nécessaires pour l’exposé de son raisonnement.
II.1 Les divers contrats signés entre les Parties
4. En date du 30 juillet 2013, les Parties ont signé un contrat de travail, valable depuis le jour de la signature jusqu’au 30 juin 2016. Les clauses principales de ce document sont les suivantes:
- Article 2:
“Le présent contrat est conclu conformément aux dispositions impératives:
De La loi n° 90-11 du 21 avril 1990, relative aux relations de travail.
Des règlements généraux de la Fédération Algérienne de Football “FAF”.
Du Cahier des charges du football professionnel.
Du règlement de la [FIFA] portant statut et transfert de joueur”.
- Article 4: Selon cette disposition, le Joueur avait droit à un salaire mensuel de 2,220,000 dinars algériens (DZD), correspondant à l’époque à environ EUR 20,000 ainsi que diverses primes.
5. Le 22 septembre 2013, les Parties auraient passé une convention intitulée “Résiliation de contrat à l’amiable”, dont le texte est le suivant:
CLUB SSPA BLACK EAGLES (ENTENTE SPORTIVE SETIFIENNE)
Résiliation de contrat à l’amiable
Entre les soussignés: le club sportif dénommé: SSPA BLACK EAGLES (ENTENTE SPORTIVE SETIFIENNE)
Adresse: Avenue du 8 mai 45 ex Hôtel de France Sétif
Représenté par son président du conseil d’administration Mr. ARAB AZEDDINE
D’une part
Le joueur:
Nom: MADOU Prénom: FRANCK OLIVIER Né le 15/09/1987 à MARCORY COTE D’IVOIRE
Fils de: ALEXIS MADOU et de DABLE JEANNE BAKOU
Adresse: CHEMIN DU FURET 12 1018 LAUSANNE-SUISSE
D’autre part
Conviennent mutuellement de
Article 01: Le joueur reconnaît avoir perçu le montant de 2 980 000.00 DA (deux millions neuf cent quatre vingt mille dinars algérien
Article 02: le joueur reconnaît avoir perçu toutes ses indemnités de la part de son club employeur ENTENT (ESSETIF) et qu’il n’existe aucun contentieux financier entre les deux parties.
Article 03: le présente résiliation à l’amiable est établie pour servir et valoir ce que de droit
Fait à Sétif le22/09/2013
Le joueur
(Nom, prénom et signature légalisé
[signature, empreinte digitale et paraphe]
Le P.C.A. Arab Azeddine
(signature et cachet du club)
Outre sa signature, le Joueur aurait apposé l’empreinte de son doigt sur ce document. Au bas de ce document se trouvait encore différents tampons, dont celui du club sur lequel était apposée une signature.
6. Tant devant la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA que devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), le Joueur a contesté avoir signé une telle résiliation de contrat de travail et a accusé ESS d’avoir produit un document falsifié.
7. Le 22 octobre 2013, il est publié sur le site internet www.letempsdz.com une déclaration prêtée au directeur général de ESS, M. Hammar Hacene, selon laquelle le Joueur “fait toujours partie de notre effectif. Il n’y jamais été question pour nous de résilier son contrat. (…) le joueur se trouve actuellement chez lui pour renouveler son passeport”. Dans cet article, il est également observé que “Depuis qu’il a rejoint l’ESS, [le Joueur] n’y fait que de rares apparitions durant lesquelles il n’a pas été convaincant, aux yeux de l’entourage du club”.
8. Dans un article paru le 12 novembre 2013 sur le site www.entente-setif.com qui se présente comme le “Site de l’Entente Sportive Sétifienne ESS Champion d’Algérie et Champion Arabe – Football”, il peut être lu ce qui suit:
“[Le Joueur] ne continuera pas l’aventure avec l’ESS. Cela fait maintenant près d’un mois et demi que ce dernier se trouve en France. Il a informé ses dirigeants qu’il devait renouveler son passeport. [Le Joueur] a été invité à se rendre à Sétif dans les plus brefs délais et cela pour étudier les modalités dans lesquelles se fera la rupture de son contrat.
(…) Il est utile de préciser que [le Joueur] est le joueur le mieux payé de l’ESS. Ce dernier a signé un contrat contre une mensualité de 15 000 euros. Il a perçu deux salaires au moment où il a paraphé son engagement. On espère, du côté de la direction de l’ESS, trouver un accord à l’amiable et que [le Joueur] accepte de résilier son contrat contre le paiement d’une autre mensualité, à savoir la somme de 15 000 euros. (…)
[Le Joueur] n’a jamais réussi à enchainer les bonnes prestations. [Son] recrutement est donc un coûteux flop pour les Sétifiens”.
9. Le 26 novembre 2013, le Joueur a initié une procédure à l’encontre de ESS auprès de la FIFA pour rupture du contrat de travail sans juste cause.
10. Le 22 janvier 2014, le Joueur a conclu un contrat de travail avec le club koweitien Al Nasr, valable pour le reste de la saison 2013-2014. Pour ses services, le Joueur a perçu un salaire total de USD 150,000.
11. Pour la saison 2014-2015, le Joueur a été engagé par le club suisse FC Le Mont pour un salaire annuel brut de CHF 54,000, soit CHF 4,500 par mois. Le contrat était conclu pour une durée déterminée, allant du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015.
12. Le 6 janvier 2015, le Joueur a signé un nouveau contrat de travail avec le club français Etoile Football Club Fréjus St-Raphaël, valable pour six mois. Son salaire mensuel brut s’est élevé à EUR 3,505.50 avec un versement complémentaire de EUR 700 en tant que participation à ses frais de loyer.
13. Pour la période allant du 14 septembre 2015 au 30 juin 2016, le Joueur a été engagé par le club français Sainte-Geneviève Sports et a perçu une rémunération brute totale de EUR 20,623.75.
II.2 La procédure devant la FIFA
14. Le 26 novembre 2013, le Joueur a initié une procédure à l’encontre de ESS auprès de la FIFA pour rupture du contrat de travail sans juste cause. Le 9 mars 2015, il a complété ses écritures en réclamant le paiement de a) EUR 48,000 correspondant aux arriérés de salaire à compter du mois d’août 2013 jusqu’au 12 novembre 2013 et b) de EUR 631,333 à titre de compensation pour rupture de contrat, correspondant aux salaires dus entre le 13 novembre 2013 et le 30 juin 2016.
15. Pour sa part, ESS estimait que le contrat de travail avait été résilié à l’amiable par les Parties le 22 septembre 2013 au moyen d’un accord, par lequel le Joueur déclarait avoir reçu tous les montants lui revenant.
16. Dans une décision datée du 13 août 2015, la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA (CRL) a estimé qu’il appartenait à ESS d’établir l’authenticité ainsi que l’existence de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013. A ce sujet, elle a jugé que ESS n’avait pas su se décharger du fardeau de la preuve lui incombant, dès lors qu’un tel accord amiable:
- s’il avait existé, aurait dû être enregistré dans le Système de régulation des transferts (“TMS”), ce qui n’avait pas été le cas;
- était incompatible avec les déclarations postérieures de ESS contenues sur son site officiel et qui “ont démontré incontestablement que [ESS] présumait encore de l’existence d’une relation contractuelle avec le [Joueur] au-delà du mois de septembre 2013”.
17. La CRL en a déduit que ESS avait résilié prématurément le contrat avec le Joueur le 12 novembre 2013.
18. En ce qui concerne les motifs de cette rupture de contrat, la CRL s’est également fondée sur l’article publié sur le site internet attribué à ESS le 12 novembre 2013, qui évoquait notamment le fait que le Joueur “n’a jamais réussi à enchainer les bonnes prestations”. Elle a d’ailleurs observé “qu’il demeurait incontesté par [ESS] que la rupture du contrat avait été fondée sur les soi-disant mauvaises performances sportives du [Joueur]”. Estimant que ce motif ne constituait pas une raison valable pour résilier prématurément la relation contractuelle avec le Joueur, la CRL a conclu que ESS avait mis fin au contrat de travail sans juste cause le 12 novembre 2013 et que, par conséquent, le club devait être tenu responsable de la résiliation anticipée dudit contrat.
19. En ce qui concerne les montants revenant au Joueur et tenant compte des nouveaux contrats de travail passés par le Joueur, de la pratique en la matière et des circonstances exceptionnelles qui entourent l’affaire, la CRL a estimé que ESS devait verser au Joueur DZD 2,200,000 à titre d’arriérés de rémunération ainsi qu’une indemnité de DZD 40,000,000 à titre de compensation pour rupture de contrat sans juste cause.
20. Le 13 août 2015, la CRL a rendu la décision suivante:
“1. La demande du [Joueur] est partiellement acceptée.
2. [ESS] doit payer au [Joueur], dans un délai de 30 jours à compter de la date de notification de la présente décision, la somme de 2 220 000 Dinar algérien (DZD) à titre d’arriérés de rémunération.
3. [ESS] doit payer au [Joueur], dans un délai de 30 jours à compter de la date de notification de la présente décision, la somme de 40 000 000 DZD à titre de compensation pout rupture de contrat.
4. Dans l’hypothèse où les sommes susmentionnées ne sont pas payées dans le délai imparti, un intérêt à hauteur de 5% par année sera appliqué et ce dès l’échéance du délai mentionné précédemment, et le cas sera soumis, sur demande, à la Commission de Discipline de la FIFA pour considération et décision.
5. Toute autre demande formulée par le [Joueur] est rejetée. (…)”.
21. La décision a été notifiée aux Parties en date du 8 mars 2016.
III. RESUME DE LA PROCÉDURE DEVANT LE TAS
a) Les écritures des Parties
22. Le 22 mars 2016, ESS a déposé une déclaration d’appel auprès du TAS contre le Joueur ainsi que contre la FIFA.
23. Le 29 mars 2016, ESS a déposé auprès du TAS un document intitulé “Mesure d’appel complémentaire”, dont le contenu est quasi identique à celui de la déclaration d’appel.
24. Le 30 mars 2016, le Greffe du TAS a accusé réception de ces deux documents et a qualifié le document intitulé “Mesure d’appel complémentaire” de mémoire d’appel au sens de l’article R51 du Code de l’arbitrage en matière de sport (le “Code”). En outre, il a pris note que ESS avait fait le nécessaire pour le paiement du droit de Greffe et que le club nommait Me Jean Gay en qualité d’arbitre.
25. Le 4 avril 2016, la FIFA a informé le Greffe du TAS qu’elle estimait ne pas pouvoir revêtir la qualité de partie dans cette affaire et en donnait les raisons.
26. Le 5 avril 2016 et en complément à ses écritures, ESS a adressé au TAS un certain nombre de documents.
27. Le 6 avril 2016, le Greffe du TAS a imparti à ESS un délai au 13 avril 2016 pour confirmer s’il entendait maintenir la FIFA en tant que partie intimée.
28. Le 11 avril 2016, ESS a confirmé au TAS qu’il n’avait pas été dans son intention de désigner la FIFA en tant que partie intimée dans la présente procédure. Le même jour, le Greffe du TAS a informé ESS que, sans avis contraire dans les 3 jours, la FIFA serait considérée comme n’étant pas une partie à la procédure. ESS n’ayant pas réagi à cette communication, le Greffe du TAS a confirmé aux Parties que l’appel était exclusivement dirigé contre le Joueur.
29. Le 22 avril 2016, le Joueur a fait savoir au Greffe du TAS qu’il s’opposait à la production des pièces remises par ESS le 5 avril 2016 ainsi que de l’annexe n°2 versée à l’appui de la déclaration d’appel et du document intitulé “Mesure d’appel complémentaire”.
30. Le 28 avril 2016, le Joueur a informé le Greffe du TAS qu’il désignait Me Didier Poulmaire en qualité d’arbitre.
31. Le 6 mai 2016, le Joueur a déposé sa réponse dans le délai imparti.
32. Le 10 mai 2016, le Greffe du TAS a invité les Parties à lui confirmer si elles souhaitaient la tenue d’une audience. Le Joueur et ESS ont répondu par la négative à cette interpellation, estimant que le dossier de la cause était complet.
33. Le 9 juin 2016, les Parties ont été informées du fait que la formation arbitrale appelée à se prononcer sur le litige était constituée de la manière suivante: Prof. Petros C. Mavroidis, Président, Me Jean Gay et Me Didier Poulmaire, Arbitres.
34. Le 22 juillet 2016, le Greffe du TAS a demandé à la FIFA de lui remettre une copie de son dossier et de l’exemplaire original de la Résiliation de contrat à l’amiable, ce qu’elle fit au cours du mois suivant.
35. Le 26 juillet 2016, et au nom de la formation arbitrale, le Greffe du TAS a confirmé la recevabilité des pièces remises par ESS le 5 avril 2016 ainsi que de l’annexe n°2 versée à l’appui de la déclaration d’appel. Il a également informé les Parties que la formation arbitrale estimait la tenue d’une audience nécessaire à l’établissement des faits. Dans le même courrier, le Greffe du TAS a invité les Parties à répondre par écrit à un certain nombre de questions et à produire certaines pièces, ce qu’elles firent dans le délai imparti.
36. Le 2 août 2016, les Parties ont été convoquées à une audience de jugement fixée d’entente entre elles au 24 août 2016.
37. Le 10 août 2016, l’ordonnance de procédure a été envoyée aux Parties, qui l’ont retournée, dûment signée et datée du 12 août 2016.
b) L’audience du 24 août 2017
38. En date du 24 août 2016, une audience a été tenue à Lausanne, au siège du TAS, en présence de tous les membres de la formation arbitrale, assistés par Me Pauline Pellaux, conseillère auprès du TAS, et de Me Patrick Grandjean, greffier ad hoc.
39. A l’ouverture de l’audience, les Parties ont expressément confirmé qu’elles n’avaient pas d’objection à formuler quant à la composition de la formation arbitrale.
40. Les personnes suivantes étaient présentes à l’audience:
- ESS était représenté par son directeur général, M. Hammar Hacene, assisté par son conseil, Me Stéphane Riand.
- Le Joueur était représenté par son conseil, Mme Camille Delzant, et a été entendu au cours de l’audience par téléphone.
41. Aucun témoin n’a été cité à comparaître.
42. A la fin de l’audience, les Parties ont reconnu que leur droit d’être entendu avait été respecté par le TAS et qu’elles étaient satisfaites de la manière dont elles avaient été traitées au cours de la présente procédure arbitrale. A cette occasion, le Président de la formation arbitrale a expressément informé les Parties qu’au vu des éléments exposés au cours de l’audience, le TAS se réservait la possibilité de commanditer une expertise visant à établir l’authenticité de la signature apposée sur la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013.
43. Dans ce contexte, les Parties se sont entendues pour demander à la formation arbitrale de suspendre la procédure jusqu’à la fin du mois d’août 2016, afin de tenter une nouvelle conciliation. Il s’est avéré que celle-ci n’a pas abouti.
c) L’expertise
44. Le 9 septembre 2016, faute de nouvelles des Parties quant à une éventuelle résolution de leur litige au moyen d’une conciliation, le Greffe du TAS a interpellé l’institut de police scientifique de l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne (ci-après “l’Institut de police scientifique”), pour l’informer du fait que la formation arbitrale avait décidé de faire appel à ses services pour déterminer si la signature et l’empreinte apposées sur la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” étaient bien celles du Joueur. Dans ce contexte, il a prié l’institut de lui remettre a) un devis, b) la liste des documents ainsi que c) l’indication du temps nécessaires à la réalisation de l’expertise.
45. Le 28 septembre 2016, l’Institut de police scientifique a donné suite à la requête du Greffe du TAS.
46. Le 11 octobre 2016 et sur instructions de la formation arbitrale, le Greffe du TAS a remis aux Parties une copie du devis établi par l’Institut de police scientifique et les a invitées à indiquer “quelle analyse elles préféreraient voir la Formation ordonner”.
47. Le 17 octobre 2017, les deux Parties se sont accordées pour dire qu’elles souhaitaient l’analyse de l’empreinte digitale et de la signature apposées sur la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable”. Le Joueur a précisé qu’il désirait que l’expertise soit réalisée en sa présence.
48. Le 1er novembre 2016, le Greffe du TAS a porté à la connaissance des Parties qu’au vu de leur volonté concordante, la formation arbitrale avait décidé d’ordonner l’expertise de l’empreinte digitale et de la signature apposées à côté du nom du Joueur sur la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable”. Les Parties avaient en outre la possibilité de faire part de leur éventuelle objection quant au choix de l’Institut de police scientifique.
49. Le 23 novembre 2016, le Greffe du TAS a soumis aux Parties un projet de courrier à l’Institut de police scientifique contenant une description des mandats confiés et une copie de la version de la convention qui serait soumise aux experts. Les Parties pouvaient faire part des éventuelles modifications/précisions qu’elles souhaiteraient apporter aux mandats proposés, mais n’ont ni l’une ni l’autre fait usage de cette possibilité.
50. Le 20 décembre 2016, le Greffe du TAS a formellement mandaté l’Institut de police scientifique pour la réalisation de l’expertise graphologique et digitale. A cette occasion, il l’a invité à:
“(…)
- Demander aux collaborateurs de votre institut qui réaliseront chacune de ces expertises de nous retourner le formulaire d’acceptation et d’indépendance que vous trouverez ci-joint;
- Nous adresser la liste détaillée de tous documents nécessaires à la réalisation de ces expertises;
- Nous proposer quelques dates auxquelles M. Franck-Olivier Madou pourrait venir à Lausanne afin (i) d’effectuer en présence d’un conseiller du TAS le nombre de signatures que vous solliciterez et (ii) de faire prendre son empreinte digitale par un collaborateur de votre institut;
- Nous indiquer s’il serait possible que les expertises susmentionnées soient réalisées en présence des parties, l’une d’entre elles ayant demandé à être présente”.
51. Le 16 janvier 2017, l’Institut de police scientifique a répondu au courrier du 20 décembre 2016 du Greffe du TAS, tout en précisant qu’il n’était pas possible de réaliser les expertises requises en présence des Parties.
52. S’en est suivi un échange de correspondances entre le Greffe du TAS, le Joueur ainsi que l’Institut de police scientifique en lien avec les modalités nécessaires à la réalisation de l’expertise. Dans ce contexte, le Joueur s’est rendu en date du 14 février 2017 auprès de l’Institut de police scientifique afin de faire enregistrer les empreintes de référence ainsi que de remettre des échantillons originaux de sa signature.
53. Le 15 février 2017, l’Institut de police scientifique a informé le Greffe du TAS que, lors de son passage dans ses bureaux, le Joueur avait admis avoir “signé un document attestant la perception de son salaire, mais qu’il ne s’agissait pas d’une résiliation de contrat. Il en ressort qu’il serait possible qu’il ait bien signé ce document mais que celui-ci ait été modifié après apposition de sa signature”. Dès lors, l’Institut de police scientifique s’est interrogé sur l’utilité des travaux d’expertise visant à déterminer l’authenticité de la signature apposée sur la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” et a demandé au Greffe du TAS de bien vouloir confirmer le maintien du mandat.
54. Le 2 mars 2017 et après avoir été invité à se prononcer sur les observations de l’Institut de police scientifique, le Joueur a confirmé au Greffe du TAS qu’il n’a jamais contesté avoir signé un document en septembre 2013 pour attester avoir reçu son salaire. Selon lui, “[il] a donc toujours été supposé que l’avenant de résiliation était un grossier montage réalisé à partir de cette attestation de perception de salaire, effectivement signée par [lui]”. Dans ces conditions, il était d’avis qu’il n’y avait pas lieu que l’Institut de police scientifique poursuive ses travaux.
55. Le 10 mars 2017, ESS a réagi à la dernière écriture du Joueur et insisté sur le fait que ce dernier admettait avoir signé le document soumis à l’expertise envisagée. De même, ESS confirmait que “[compte] tenu de la position du joueur, l’expertise ne paraît plus nécessaire”. ESS a encore profité de cette occasion pour souligner l’attitude contradictoire du Joueur qui avait jusqu’alors toujours nié avoir signé la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013. ESS demandait enfin que le Joueur soit invité à produire ses passeports afin de démontrer que s’il avait quitté le territoire algérien après la résiliation du 22 septembre 2013, il n’était jamais revenu. Le Joueur s’étant opposé à cette requête elle a été rejetée par courrier du 11 avril 2017 en application de l’article R56 du Code.
56. Le 25 avril 2017, le Greffe du TAS a notifié aux Parties le fait qu’au vu des récents développements, la formation arbitrale envisageait de demander à l’Institut de police scientifique de procéder à une expertise destinée à établir l’authenticité de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” plutôt que celle de la signature apposée à côté du nom du Joueur. Les Parties étaient alors invitées à faire part de leur position quant au nouvel objet de l’expertise envisagée.
57. Le 28 avril 2017, ESS relevait qu’aucune des deux Parties n’avait formellement renoncé à ce que l’expertise porte sur l’authenticité de la signature et de l’empreinte du Joueur. ESS était d’avis que l’expertise prévue initialement devait être maintenue, tout en étant complétée par une vérification de l’authenticité de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013.
58. Le 2 mai 2017, le Joueur confirmait ne pas être opposé à ce que l’expertise porte sur l’authenticité de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable”.
59. Le 29 mai 2017 et après divers échanges avec les Parties quant à la portée de l’expertise, le Greffe du TAS notifiait à ces dernières ce qui suit:
“(…)
- Les deux parties souhaitent que les expertises de la Résiliation de contrat à l’amiable portent sur la version produite par la FIFA et sur version de l’exemplaire original, selon [ESS], de sa pièce no 2;
- Les deux parties souhaitent que le paiement d’éventuelles avances de frais complémentaires incombent à la partie adverse;
- [ESS] n’avait pas attiré l’attention du Greffe du TAS sur le fait que l’exemplaire original de sa pièce no 2 se serait trouvé parmi les lots de pièces envoyés au TAS;
- Parmi les exemplaires de la pièce no 2 de [ESS] en possession du TAS (Greffe, arbitres et Greffier ad hoc), tous sont en noir en blanc;
Au vu de ce qui précède, du dossier en l’état, de la position de chaque partie et dans un souci de faire toute la lumière nécessaire sans coûts inutiles, la Formation arbitrale a pris les décisions suivantes en application des articles R44.3, R57, R64.2 et R64.3 du Code de l’arbitrage en matière de sport:
- La Formation renonce à la réalisation des expertises graphologique et digitale initialement ordonnées;
- La Formation arbitrale va ordonner la réalisation d’une expertise de l’exemplaire de la Résiliation de contrat à l’amiable produite par la FIFA et déjà aux mains des experts visant à déterminer si la signature apposée à côté du nom de M. Frank-Olivier Madou au bas de la Résiliation de contrat à l’amiable, le titre du document Résiliation de contrat à l’amiable et le texte « Article 03: le présente résiliation à l’amiable est établie pour servir et valoir ce que de droit » étaient à l’origine sur le même document ou s’il s’agit d’un montage et vous trouverez ci-joint copie de mon courrier de ce jour à l’Ecole des Sciences Criminelles de l’Université de Lausanne;
- Le rapport d’expertise sera ensuite transmis aux parties lesquelles auront alors l’opportunité de soumettre des observations et de solliciter la réalisation, à leurs frais, d’une éventuelle expertise complémentaire;
- Il incomberait alors à la Formation de donner suite, ou non, à une telle requête”.
60. Le 29 mai 2017, le Greffe du TAS confirmait à l’Institut de police scientifique les termes ainsi que l’objet du mandat qui lui était confié.
61. Le 7 août 2017, l’Institut de police scientifique rendait son rapport d’expertise (l’Expertise). Il résulte de ce document qu’une partie du texte expertisé a été imprimé avant et après l’apposition de la signature du Joueur. Selon l’Expertise, les résultats des examens “soutiennent très fortement l’hypothèse selon laquelle le document [expertisé] a fait l’objet de modifications, plutôt que l’hypothèse selon laquelle le Joueur a signé le document [expertisé] tel qu’il se présente”. En effet, l’Expertise met en évidence ce qui suit:
- En cas de superposition de la version originale produite par la FIFA et de la version produite par ESS (pièce no 2 à l’appui de son appel), leurs textes respectifs s’alignent parfaitement, à l’exception des lignes suivantes: a) “Résiliation de contrat à l’amiable”, b) “Conviennent mutuellement de:”, c) “Article 02: le joueur reconnaît avoir perçu toutes ses indemnités de la part de son club employeur ENTENT (ESSETIF) et qu’il n’existe aucun contentieux financier entre les deux parties” et d) “Article 03: le présente résiliation à l’amiable est établie pour servir et valoir ce que de droit”.
- Le nom de ESS est orthographié “ENTENTE” dans le corps du texte parfaitement superposé, alors qu’il est orthographié “ENTENT” dans le texte de l’article 2.
- Une phrase comporte des tailles de police différentes au sein de l’article 2, lequel fait partie des passages qui ne se superposent pas parfaitement.
- Lorsque les microparticules de toner sont localisées sous le dépôt de l’encre utilisée pour la signature, elles ont une morphologie ronde, écrasée et irisée. Lorsqu’elles sont, au contraire, situées sur le dépôt d’encre, elles ont généralement une apparence tridimensionnelle sphérique et non irisée. “Ces observations indiquent qu’une partie du texte du document [expertisé] a été imprimé avant l’apposition de la signature au nom de M. Franck-Olivier MADOU, et une partie après l’apposition de cette signature”.
- L’expertise déduit de ce qui précède que “[l]es résultats des examens soutiennent très fortement l’hypothèse selon laquelle le document original Résiliation de contrat à l’amiable est un document modifié”. Selon l’expertise, le texte “Résiliation de contrat à l’amiable”, “Convient mutuellement de” et le texte compris dans les articles 2 et 3 ont été imprimés après l’apposition de la signature du Joueur sur le document.
62. Le 11 août 2017, le Greffe du TAS remettait une copie de l’Expertise aux Parties, à qui il était demandé de faire part de leurs éventuelles observations dans les 10 jours.
63. Le 16 août 2017, le Joueur relevait avec satisfaction le fait que l’Expertise confirmait ce qu’il avait affirmé depuis toujours, à savoir qu’il n’avait jamais signé la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013, du moins pas dans la version présentée à l’appui de l’appel déposé devant le TAS.
64. Le 21 août 2017, ESS demandait une prolongation du délai imparti pour se déterminer sur l’Expertise. En l’absence d’objection de la part du Joueur interpellé à ce sujet, il a été fait suite à la requête du club.
65. Le 1er septembre 2017, ESS informait le Greffe du TAS qu’il contestait la validité de l’Expertise, établie selon une méthode “dépourvue de la moindre logique”, puisqu’elle était principalement fondée sur la superposition de deux documents distincts, imprimés et signés séparément. Selon le club, “Dès l’instant où l’on écarte la méthode de la superposition, qui n’a aucun sens et ne devrait même pas avoir lieu entre deux documents imprimés séparément l’un de l’autre, toute conclusion émise par l’expert est frappée ab ovo de nullité”. En ce qui concerne les résultats découlant de l’analyse des microparticules, ESS semble suggérer que, selon l’Expertise, il existe une probabilité que le texte signé par le Joueur n’ait pas été modifié.
66. Dès lors, dans son courrier du 1er septembre 2017, ESS rejetait catégoriquement les déterminations de l’Expertise et concluait ainsi: “Si le Tribunal avait quelque doute sur la démonstration apportée dans cette écriture, libre à lui de prendre langue avec l’expert pour que celui-ci explique les raisons pour lesquelles il a superposé deux documents absolument non identiques, puisque deux documents originaux avaient été signés par les deux parties”.
67. Le 5 septembre 2017, tenant compte du fait que a) ESS laissait la formation arbitrale libre d’interpeller l’auteur de l’Expertise et b) qu’aucune contre-expertise n’était demandée, le Greffe du TAS notifiait aux Parties que la formation arbitrale se considérait suffisamment informée pour statuer sur le cas d’espèce.
IV. LES POSITIONS DES PARTIES
a) La position de ESS
68. Dans sa déclaration d’appel du 22 mars 2016 ainsi que dans son mémoire complémentaire du 29 mars 2016, ESS a pris les conclusions suivantes:
“1. L’appel formé par le Club Entente Sportive Sétifienne à l’encontre de la décision de la Chambre de Résolution des Litiges rendue le 13 août 2015, déclaré recevable, est admis.
2. Par conséquent, la décision de la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA rendue le 13 août 2015 à Zürich est purement et simplement annulée.
3. Toutes les prétentions formées par Franck-Olivier MADOU à l’encontre de l’Entente Sportive Sétifienne sont, dans la mesure de leur recevabilité, purement et simplement rejetées.
4. Tous les frais de procédure et de jugement, y compris une juste et équitable indemnité pour dépens, sont mis à la charge de Franck-Olivier MADOU”.
69. En substance, les arguments de ESS peuvent être résumés de la manière suivante:
- La convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013 a effectivement été signée par le Joueur, qui en a accepté les termes.
- En signant cette convention, le Joueur et ESS ont convenu amiablement de mettre un terme à leurs rapports de travail avec effet au 22 septembre 2013.
- Comme cela ressort de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013, la somme de DZD 2’980’000 a été payée au Joueur pour solde de tout compte.
- Le 22 Septembre 2013, le Joueur a quitté le club et le territoire algérien de manière définitive.
- Le seul site internet officiel de ESS est www.ententedesetif.com. Le club ne saurait être lié par des propos prêtés à ses représentants par des sites qu’il ne reconnaît pas et qui ne sauraient l’engager.
- Le site internet dont se prévaut le joueur n’est pas le site officiel de ESS. D’ailleurs, il est rédigé en français alors que la langue officielle du club est l’arabe.
b) La Position du Joueur
70. Dans sa réponse déposée le 6 mai 2016, le Joueur a pris les conclusions suivantes:
“La décision rendue par la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA sera confirmée, en ce qu’elle retient la rupture sans juste cause du contrat de travail de Monsieur MADOU en date du 12 novembre 2013, et en ce qu’elle lui octroie un droit à compensation.
L’appel interjeté par l’Entente Sportive Sétifienne sera rejeté.
Tous les frais de procédure et de jugement seront mis à la charge de !’Entente Sportive Sétifienne”.
71. En substance, les arguments du Joueur peuvent être résumés comme suit:
- Le Joueur n’a jamais signé la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013, qui ne peut pas lui être opposée. Il a bien signé un document, mais il s’agissait d’un reçu lié au salaire qui lui a été versé en liquide.
- La somme en liquide qui lui a été versée ne constituait en aucun cas une indemnité consécutive à la rupture du contrat de travail. D’une part, la somme versée était bien trop modeste pour compenser le dommage causé par une telle rupture. D’autre part, le Joueur n’a jamais exprimé le souhait de quitter le club.
- Le Joueur était valablement lié à ESS par un contrat de travail. En qualité d’employé de ESS, il a participé aux entrainements organisés par le club et a disputé plusieurs rencontres officielles, dont certaines ont eu lieu postérieurement au 22 septembre 2013.
- Sur l’insistance de ESS et vers la fin du mois de septembre 2013, le Joueur est retourné en France pour renouveler son passeport, lequel était – selon son club – trop ancien. Il s’agissait en réalité d’un prétexte, visant à le faire partir du territoire algérien. ESS a empêché le Joueur de revenir auprès de son club en lui refusant son aide pour l’obtention du visa nécessaire pour ce faire.
- Dès le mois d’octobre 2013, ESS va se plaindre des performances insuffisantes du Joueur et “c’est finalement par l’intermédiaire du site internet du club, par un article en date du 12 novembre 2013, que [le Joueur] va être informé de la résiliation de son contrat de travail”.
- En date du 12 novembre 2013, ESS a rompu le contrat de travail le liant au Joueur de manière unilatérale, prématurée et sans juste cause. En effet, cette résiliation était uniquement motivée par les résultats sportifs décevants du Joueur. “Or, le manque de performances sportives ne constituent pas une juste cause permettant la rupture d’un contrat”.
V. RECEVABILITÉ
72. La déclaration d’appel a été adressée au TAS dans le délai de 21 jours prévu à l’article 67 alinéa 1 des Statuts de la FIFA (Edition avril 2015). En outre, elle répond aux conditions fixées par l’article R48 du Code.
73. Partant, l’appel est recevable, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté.
VI. COMPETENCE DU TAS
74. La compétence du TAS résulte des articles 67 et suivants des Statuts de la FIFA (Edition avril 2015) ainsi que de l’article R47 al. 1 du Code qui stipule ce qui suit:
“Un appel contre une décision d’une fédération, association ou autre organisme sportif peut être déposé au TAS si les statuts ou règlements dudit organisme sportif le prévoient ou si les parties ont conclu une convention d’arbitrage particulière et dans la mesure aussi où la partie appelante a épuisé les voies de droit préalables à l’appel dont il dispose en vertu des statuts ou règlements dudit organisme sportif”.
75. Il convient d’ajouter que les Parties ont expressément reconnu la compétence du TAS dans leurs écritures ainsi que par la signature de l’ordonnance de procédure.
76. La formation arbitrale déclare en conséquence que le TAS est compétent pour décider du présent litige.
VII. DROIT APPLICABLE
77. L’article R58 du Code prévoit ce qui suit:
“La Formation statue selon les règlements applicables et, subsidiairement, selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit que la Formation estime appropriées. Dans ce dernier cas, la décision de la Formation doit être motivée”.
78. Le siège du TAS se trouvant en Suisse et le litige revêtant un caractère international, les dispositions du chapitre 12 relatif à l’arbitrage international de la Loi fédérale sur le droit international privé (“LDIP”) sont applicables en vertu de son article 176 alinéa 1 LDIP.
79. Au chapitre 12 de la LDIP, le droit applicable au fond est régi par l’article 187 alinéa 1 LDIP qui prévoit que le “tribunal arbitral statue selon les règles de droit choisies par les parties ou, à défaut de choix, selon les règles de droit avec lesquelles la cause présente les liens les plus étroits”.
80. Une élection de droit tacite et indirecte par renvoi au règlement d’une institution d’arbitrage est admise (KARRER, in Basler Kommentar zum Internationalen Privatrecht, Bâle 1996, N 92 et 96 ad art. 187 LDIP; POUDRET/BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, Zurich 2002, N 683 p. 613 et les références citées; CAS 2004/A/574; TAS 2016/A/4468, consid. 54).
81. En outre, au sens de l’article 187 alinéa 1 LDIP, peuvent être choisies par les parties non seulement une loi nationale, mais encore des “règles de droit” affranchies de toute loi étatique (LALIVE/POUDRET/REYMOND, Le droit de l’arbitrage interne et international en Suisse, Lausanne 1989, pp. 399-400; TAS 2016/A/4468, consid. 55), comme les règles et règlements des fédérations internationales sportives.
82. En l’espèce, le litige opposant les Parties porte sur la question d’une indemnité liée à une rupture de contrat sans juste cause. La réglementation de la FIFA applicable à un tel cas est celle contenue dans le Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs.
83. La formation arbitrale relève par ailleurs qu’à teneur de l’article 66 alinéa 2 des Statuts de la FIFA (Edition avril 2015), “[l]e TAS applique en premier lieu les divers règlements de la FIFA ainsi que le droit suisse à titre supplétif”.
84. Par conséquent, la formation arbitrale appliquera en premier lieu les règlements, directives et circulaires de la FIFA ainsi que le droit suisse à titre supplétif.
85. La FIFA a été saisie par la présente affaire en date du 26 novembre 2013. Dès lors, sont applicables les éditions 2012 a) du Règlement de la Commission du Statut du Joueur et de la Chambre de Résolution des Litiges (article 21) et b) du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (article 26) (RSTP).
VIII. LE FOND
86. Les questions fondamentales que la formation arbitrale est appelée à trancher sont les suivantes:
- Le contrat de travail liant les Parties a-t-il été résilié au moyen de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013?
- ESS a-t-il rompu de manière unilatérale et sans juste motif le contrat de travail le liant au Joueur ? Et, dans l’affirmative, quel est le montant de l’indemnité due ?
a) Le contrat de travail liant les Parties a-t-il été résilié au moyen de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” du 22 septembre 2013?
87. En date du 30 juillet 2013, les Parties ont signé un contrat de travail, valable depuis le jour de la signature jusqu’au 30 juin 2016.
88. ESS avance que les Parties ont mutuellement mis fin audit contrat au moyen de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” signée le 22 septembre 2013. Le Joueur conteste avoir accepté de terminer prématurément son contrat de travail. Il admet tout au plus avoir signé un reçu attestant du paiement en liquide de l’un de ses salaires mensuels.
89. Devant les positions antagonistes des Parties quant à l’authenticité de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable”, la formation arbitrale a commandité une expertise qui a conclu qu’une partie du texte en question a été imprimée après l’apposition de la signature du Joueur sur le document. Selon l’Expertise, les résultats des examens “soutiennent très fortement l’hypothèse selon laquelle le document [expertisé] a fait l’objet de modifications, plutôt que l’hypothèse selon laquelle le Joueur a signé le document [expertisé] tel qu’il se présente”.
90. ESS s’est borné à contester la validité de la méthode retenue par l’Expertise sans pour autant proposer (ou requérir) une contre-expertise ni même offrir un moyen de preuve pouvant contrebalancer les conclusions de l’Institut de police scientifique. Le club a estimé qu’il était absurde d’inférer une quelconque manipulation de document à partir de la superposition des deux versions de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable”. Selon ESS, il s’agit de deux textes distincts, signés séparément, qui, dans ces circonstances, ne pouvaient – en toute logique – pas être parfaitement alignés en cas de superposition.
91. La formation arbitrale observe que ESS n’a pas tenté d’expliquer pourquoi, en cas de superposition des deux versions de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable”, la partie du texte non litigieuse était parfaitement alignée alors qu’il existe un décalage en ce qui concerne la partie du texte qui est litigieuse (et que l’Expertise présente comme ayant été ajoutée post scriptum).
92. En outre, ESS reste très vague quant aux résultats de l’Expertise liés à l’analyse des microparticules de toner, qui permettent de conclure qu’une partie du texte a été imprimée après l’apposition de la signature du Joueur:
- Le club relève que “L’examen de microscopie numérique ou la présence de microparticules au-dessus du tracé de la signature soulève d’abord de nombreuses hypothèses selon lesquelles le document 1-1 n’est pas aussi une version original”.
ESS ne précise pas quelles sont les hypothèses auxquelles il fait allusion, ni ce qu’il faut en déduire. Dans un tel contexte, la formation arbitrale ne saurait donner quelque poids à un tel argument.
- ESS se réfère au chiffre 16 de l’Expertise (“Dans l’hypothèse où M. Franck-Olivier MADOU a signé le document I-1 tel qu’il se présente, alors les désalignements observés entre les deux documents et la présence de microparticules au-dessus de la signature sur le document I-1 sont très peu probables”) et en déduit que “comme l’indique le paragraphe 16 la présence de ces microparticules est peu probable, c’est-à-dire qu’il existe des probabilités de leur présence”. La formation arbitrale suppose qu’avec cette affirmation, le club soutient qu’il existe une probabilité a) que les microparticules présentes au-dessus du tracé de la signature proviennent d’une autre source que d’un ajout de texte sur le document original et/ou b) que le texte signé par le Joueur n’a pas été modifié.
La formation arbitrale ne peut pas suivre ESS. En effet, il résulte de l’Expertise que l’examen de la morphologie des microparticules de toner permet d’affirmer sans aucune réserve qu’une partie du texte de la convention de “résiliation de contrat à l’amiable” a été imprimée avant l’apposition de la signature du Joueur et une partie après l’apposition de cette signature. Tout au plus, l’auteur de l’Expertise admet que l’observation des microparticules de toner ne permet pas de déterminer quelles parties du texte expertisé ont été imprimées avant ou après l’apposition de la signature du Joueur. C’est l’application conjuguée de la méthode de l’apposition des deux versions et de l’analyse des microparticules de toner qui a conduit l’Institut à conclure d’une part que le texte de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” a été modifié et, d’autre part, à identifier les passages ajoutés.
93. Le fait que l’Expertise identifie les passages altérés du document en superposant la version originale produite par la FIFA et la version produite par ESS (pièce no 2 à l’appui de son appel) n’est certainement pas une méthode absolue. Toutefois, la formation arbitrale retient de l’Expertise qu’il est avéré que la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” est un texte qui a été modifié après avoir été signé par le Joueur. Une telle manipulation du document post scriptum ne peut être imputée qu’à ESS dès lors qu’on ne voit pas qui d’autre aurait pu (ou eu un intérêt à) modifier le texte original. Dans tous les cas, le club ne propose pas d’autres hypothèses. En partant du postulat que ESS a imprimé un nouveau texte sur le document original et en appliquant la méthode de la superposition des documents originaux, il est légitime de penser que les nouveaux passages sont ceux qui se distinguent en n’étant pas parfaitement alignés.
94. La formation arbitrale est d’autant plus convaincue de la pertinence des conclusions de l’Expertise que la manipulation par ESS de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” est parfaitement cohérente avec la chronologie des événements:
- En date du 30 juillet 2013, le contrat de travail déploie ses effets.
- Le 22 septembre 2013, le Joueur signe un reçu lié au salaire qui lui a été versé en liquide.
- Le 22 octobre 2013, il est publié sur le site internet www.letempsdz.com une déclaration prêtée au directeur général de ESS, M. Hammar Hacene, selon laquelle le Joueur “fait toujours partie de notre effectif. Il n’y jamais été question pour nous de résilier son contrat. (…) le joueur se trouve actuellement chez lui pour renouveler son passeport”.
- Dans un article paru le 12 novembre 2013 sur le site www.entente-setif.com qui se présente comme le “Site de l’Entente Sportive Sétifienne ESS Champion d’Algérie et Champion Arabe – Football”, il peut être lu que “[Le Joueur] ne continuera pas l’aventure avec l’ESS. Cela fait maintenant près d’un mois et demi que ce dernier se trouve en France. Il a informé ses dirigeants qu’il devait renouveler son passeport. [Le Joueur] a été invité à se rendre à Sétif dans les plus brefs délais et cela pour étudier les modalités dans lesquelles se fera la rupture de son contrat”.
95. Le contenu des articles parus le 22 octobre et le 12 novembre 2013 n’aurait aucun sens si les Parties avaient effectivement signé la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” en date du 22 septembre 2013. ESS a tenté de critiquer la légitimité de ces articles en suggérant qu’ils avaient été publiés sur des sites sans lien avec lui. Une telle affirmation ne remet pas en question l’exactitude du contenu de ces articles, en particulier de celui paru sur le site www.letempsdz.com qui appartient au quotidien algérien “Le Temps d’Algérie”.
96. Enfin, ESS n’a pas donné la moindre explication quant aux motifs qui auraient poussé le Joueur a) à accepter de mettre prématurément fin à son contrat de travail, moins de deux mois après l’avoir signé et b) pour la somme de DZD 2,980,000, soit un montant proche de son salaire mensuel.
97. En vertu de l’article 12 alinéa 3 du Règlement de la Commission du Statut du Joueur et de la Chambre de Résolution des Litiges, “La charge de la preuve incombe à la partie qui invoque un droit découlant d’un fait qu’elle allègue”. En l’occurrence, ESS n’a pas su satisfaire au fardeau de la preuve qui lui incombait pour démontrer le bien-fondé de ses arguments.
98. Au vu de ce qui précède, la formation arbitrale arrive à la conclusion que le contrat de travail liant les Parties n’a pas été résilié au moyen du document signé le 22 septembre 2013.
99. L’attestation officielle de la commune de Sétif en date du 3 août 2016 produite par ESS le 8 août 2016 ne permet pas d’accréditer la version des évènements d’ESS. En effet, ce document établi près de 3 ans après la “résiliation à l’amiable” du 22 septembre 2013 indique uniquement qu’un officiel de la ville de Sétif “atteste que la signature de monsieur: Madou…. a été vue et approuvée auprès des services de l’état-civil”. Ce document ne précise donc pas qu’un officiel a vu Monsieur Madou signer le document litigieux; c’est seulement sa signature qui a été vue.
b) ESS a-t-il rompu de manière unilatérale et sans juste motif le contrat de travail le liant au Joueur ? Et, dans l’affirmative, quel est le montant de l’indemnité due ?
100. Les Parties étaient liées par un contrat de travail de durée déterminée, valable du 30 juillet 2013 au 30 juin 2016.
101. L’article 13 RSTP protège le respect des contrats en stipulant qu’un “contrat entre un joueur professionnel et un club peut prendre fin uniquement à son échéance ou d’un commun accord”.
102. Mais le respect du contrat n’est toutefois pas un principe absolu, ce qui est confirmé par l’article 14 RSTP, qui prévoit qu’en “présence d’un cas de juste cause, un contrat peut être résilié par l’une ou l’autre des parties sans entraîner de conséquences (ni paiement d’indemnités, ni sanctions sportives)”. Cette disposition a la même teneur que celle de l’article 14 RSTP, édition 2005.
103. A cet égard, l’édition 2005 RSTP a fait l’objet d’un commentaire édité par la FIFA qui précise ce qui suit en relation avec l’article 14 (ad art. 14, page 39):
“1 Le respect du contrat n’est toutefois pas un principe absolu. En fait, aussi bien le joueur que le club peuvent mettre fin à un contrat pour juste cause, autrement dit pour une raison valable.
2 Il convient de définir au cas par cas ce qu’est la juste cause et si les conditions de la juste cause sont réunies. Une infraction au contrat de travail ne constitue pas en elle-même un motif suffisant de résiliation pour juste cause. Cependant, si le comportement transgressif persiste ou si plusieurs infractions se suivent au cours d’une certaine période, le non-respect du contrat est très probablement de nature à justifier la résiliation unilatérale de celui-ci par la partie lésée (…).
5 Si la juste cause est établie par l’organe compétent, la partie qui résilie le contrat avec une raison valable n’est pas tenue de verser une indemnité ni passible de sanctions sportives.
6 Par ailleurs, l’autre partie, responsable de la rupture du contrat, est tenue de verser une indemnité pour le préjudice occasionné par la rupture prématurée du contrat et s’expose à des sanctions sportives”.
104. Le RSTP ne définit pas ce qu’il faut entendre par “juste cause”. En application de la très large jurisprudence du TAS en la matière, la formation doit se référer au droit suisse, lequel est applicable pour l’interprétation de la réglementation de la FIFA (HAAS U., Applicable law in football-related disputes - The relationship between the CAS Code, the FIFA Statutes and the agreement of the parties on the application of national law, Bulletin TAS 2015/2; pages 7 et seq. et références).
105. La caractéristique première d’un contrat de durée déterminée est que les parties contractantes ne peuvent y mettre fin avant le terme convenu, à moins que celle qui en veut l’extinction prématurée puisse invoquer un juste motif de résiliation immédiate (Arrêt du Tribunal Fédéral suisse du 24 mai 2006, 4C.61/2006, consid. 3.1 et références citées).
106. Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive (ATF 130 III 28, consid. 4.1; ATF 127 III 351 consid. 4a et les références cités). D’après la jurisprudence, les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement (ATF 129 III 380 consid. 2.1). Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d’une obligation découlant du contrat de travail (ATF 127 III 351 consid. 4a p. 354 et les arrêts cités), mais d’autres incidents peuvent aussi justifier une résiliation immédiate (cf. ATF 129 III 380 consid. 2.2). Une infraction pénale commise au détriment de l’employeur constitue, en principe, un motif justifiant le licenciement immédiat du travailleur (ATF 117 II 560 consid. 3b p. 562; ATF 130 III 28, consid. 4.1).
107. En l’espèce, ESS ne s’est pas prévalu d’un motif extraordinaire pouvant justifier la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail le liant au Joueur. Il s’est borné à dire que les parties au contrat y avaient mis fin d’un commun accord, en se prévalant de la convention de “Résiliation de contrat à l’amiable” en date du 22 septembre 2013. Dès lors que le club n’a pas su démontrer l’authenticité de ce document, il n’a pas su satisfaire au fardeau de la preuve lui incombant pour démontrer le bienfondé de son affirmation.
108. Dans ces circonstances, considérant que le contrat de travail liant les Parties était de durée déterminée, que ESS n’a pas apporté la preuve a) que le Joueur avait accepté de mettre prématurément fin à son rapport de travail avec le club et/ou b) qu’il existait un juste motif de résiliation immédiate, la formation arbitrale arrive à la conclusion que ESS a rompu, le 12 novembre 2013, de manière unilatérale et sans juste motif le contrat de travail le liant au Joueur.
109. Il résulte de ce qui précède que la formation arbitrale arrive à la même conclusion que la CRL, laquelle a jugé que le Joueur était en droit d’obtenir non seulement les arriérés de salaires mais également une indemnité fondée sur la base de l’article 17 RSTP. La CRL a donné une explication détaillée pour justifier le calcul des sommes ainsi allouées au Joueur.
110. ESS n’a pas contesté le calcul effectué par la CRL et n’a pas avancé un seul motif permettant à la formation arbitrale de revoir à la baisse le montant de la compensation fixé par la CRL.
111. Dans ce contexte, la formation arbitrale se réfère à la décision de la CRL, dont elle valide le raisonnement, lequel est en phase avec les critères fixés par la règlementation de la FIFA en général et le RSTP en particulier. En d’autres termes, la décision de la CRL doit être confirmé sans autre modification.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal Arbitral du Sport prononce:
1. L’appel déposé le 22 mars 2016 par le Club Entente Sportive Sétifienne à l’encontre de la décision du 13 août 2015 de la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA est rejeté.
2. La décision du 13 août 2015 de la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA est confirmée.
3. (…).
4. (…).
5. Toutes les autres conclusions des parties sont rejetées.
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