TAS-CAS – Tribunal Arbitral du Sport/Tribunale Arbitrale dello Sport – Court of Arbitration for Sport/Corte Arbitrale dello Sport (2017-2018) – tas-cas.org – atto non ufficiale – Arbitrage TAS 2018/A/5501 Christian Constantin & Olympique des Alpes SA (OLA) c. Swiss Football League (SFL), sentence du 31 mai 2018 (dispositif du 23 février 2018)

Tribunal Arbitral du Sport Court of Arbitration for Sport
Arbitrage TAS 2018/A/5501 Christian Constantin & Olympique des Alpes SA (OLA) c. Swiss Football League (SFL), sentence du 31 mai 2018 (dispositif du 23 février 2018)
Formation: Me Olivier Carrard (Suisse), Arbitre unique
Football
Interdiction de terrain et amende imposés à un président de club pour voies de fait
Légalité d’une sanction pour une infraction commise à la fin d’un match
Interprétation de la notion d’ “interdiction de terrain” pour un officiel
Proportionnalité d’une sanction
1. L’article 5 al. 2 du Règlement disciplinaire (RD) de l’Association Suisse de Football (ASF) permet de sanctionner les infractions au RD commises “avant, pendant ou après le match”. Il n’existe donc aucune raison de ne pas sanctionner des voies de fait commises à l’issue d’un match.
2. En droit suisse, les statuts d’une association doivent être interprétés selon le sens du texte, tel qu’il peut et doit être compris, en fonction de l’ensemble des circonstances. Cette interprétation est qualifiée d’objective. Tel doit en aller de même s’agissant de l’interprétation des règlements émanant d’une association. En vertu d’une telle interprétation objective, il sied d’observer qu’une interdiction de terrain limitée à l’aire de jeu ne revêtirait de fonction punitive que pour une personne participant au jeu. Par définition, les officiels ne sont pas censés pénétrer sur le terrain de jeu lors des matches. Pour cette catégorie de personnes une interdiction de terrain n’a donc de sens que si la zone d’interdiction dépasse l’aire de jeu. Ainsi, dans les ligues inférieures, une interdiction de terrain doit pouvoir permettre d’interdire l’accès aux abords immédiats du terrain. En ce qui concerne les matches se déroulant dans des stades munis de tribunes, l’interdiction de terrain doit être interprétée, de manière objective, comme permettant d’interdire l’accès aux tribunes du stade.
3. Selon le droit suisse, les associations et en particulier les associations sportives ont le pouvoir (i) d’adopter des règles de conduite qui s’imposent à leurs membres directs et indirects et (ii) d’appliquer des sanctions disciplinaires aux membres qui ne respectent pas ces règles, pour autant que certains principes généraux du droit – tels que le droit d’être entendu et le principe de proportionnalité – soient respectés. Le principe de proportionnalité constitue par conséquent un principe cardinal devant guider les associations sportives lorsqu’elles entendent appliquer des sanctions disciplinaires à des personnes soumises à leur autorité.
1. LES PARTIES
1. Monsieur Christian Constantin (ci-après: “Christian Constantin”) est l’administrateur unique de la société Olympique des Alpes SA (ci-après: “l’OLA”) et Président du FC Sion.
2. L’OLA est un club de football professionnel, membre de l’Association suisse de football (ci-après: “l’ASF”) et de la Swiss Football League (ci-après: “SFL” ou “l’Intimée”), participant au championnat suisse de première division sous la dénomination “FC Sion”.
3. Selon ses statuts, la SFL est une association de droit suisse au sens des articles 60 ss CC, dont le siège est à Muri, près de Berne. Elle est affiliée à l’ASF, dont elle constitue une section. Elle a notamment pour but de “promouvoir le football en Suisse, gérer le football non-amateur en Suisse, sauvegarder les intérêts communs de ses clubs et organiser les compétitions pour ses clubs” (art. 3 des Statuts de la SFL).
2. LES FAITS ESSENTIELS
2.1. L’altercation du 21 septembre 2017
4. Le 21 septembre 2017, s’est déroulée la rencontre de championnat de la Raiffeisen Super League opposant le FC Lugano au FC Sion.
5. A l’issue du match, dans les abords immédiats du terrain de jeu, Christian Constantin s’en est pris physiquement à Rolf Fringer, consultant pour la chaîne de télévision Teleclub.
6. Le 21 septembre 2017, la SFL a publié un communiqué de presse dont la teneur était la suivante:
“Après le match de la 8ème journée de Raiffeisen Super League entre le FC Lugano et le FC Sion, une sévère altercation a éclaté entre le président sédunois Christian Constantin et le consultant de Teleclub Rolf Fringer. La SFL prend position et ordonnera une enquête. Comme les images TV le démontrent, Christian Constantin s’en est pris physiquement au consultant de Teleclub Rolf Fringer après le match entre le FC Lugano et le FC Sion de ce jeudi soir. Lors d’une interview télévisée, le président du FC Sion a confirmé les faits. La Swiss Football League condamne avec véhémence un tel comportement, qui viole les règles de conduite de l’Association Suisse de Football, et va charger la Commission de discipline de la SFL d’effectuer une enquête sur les faits. Aucune information supplémentaire ne peut être communiquée en ce moment”.
2.2. La décision de la Commission de discipline de la SFL
7. Le 22 septembre 2017, la Commission de discipline de la SFL a informé Christian Constantin de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre.
8. Le 12 octobre 2017, la Commission de discipline de la SFL a rendu une décision comportant le dispositif suivant:
“1. Une amende de CHF 100’000.- au sens de l’art. 24 al. 1 lettre b RD ASF et une interdiction de terrain de 14 mois dès l’entrée en force de la présente décision au sens de l’art. 24 al. 1 lettre e RD ASF, sont prononcées à l’encontre de Christian Constantin. L’interdiction de terrain comprend l’interdiction d’entrer, les jours de match, dans le stade, pour les compétitions de la Super League, Challenge League, Coupe Suisse ASF et les matches de l’équipe nationale A masculine. L’interdiction signifie en outre que Christian Constantin ne peut aller dans l’enceinte du stade, ni sur le terrain, ni dans la zone technique, ni dans la mixed-zone, ni dans les vestiaires, ni prendre place en tribune ou dans un quelconque secteur du stade le jour du match.
2. L’effet suspensif à un éventuel recours contre la présente décision est retiré en ce qui concerne l’interdiction de terrain.
3. L’interdiction de terrain prononcée prend effet immédiatement.
4. L’amende de CHF 100’000.- et un émolument de procédure de CHF 3’000.- (trois mille francs suisses), mis à la charge de Christian Constantin, seront débités du compte de l’Olympique des Alpes SA, débitrice solidaire, auprès de la SFL”.
9. Dans ses considérants, la Commission de discipline de la SFL a notamment retenu ce qui suit au sujet du comportement de Christian Constantin:
“De l’avis de la Commission de céans, le comportement violent de Christian Constantin constitue à l’évidence une violation des règles de comportement que doit observer toute personne exerçant des fonctions au sein d’un club de football. Christian Constantin a eu une attitude contraire à celle que l’on pouvait attendre de lui, de manière répréhensible. Le comportement qu’il a adopté est totalement inacceptable, a fortiori lorsqu’il est le fait d’un président de club dont l’attitude doit être absolument exemplaire et respectueuse de tout individu exerçant une activité quelle qu’elle soit, dans le cadre d’un match de football. Christian Constantin a bafoué les règles les plus élémentaires du fair-play. La Commission de céans considère que la faute commise par Christian Constantin est très grave. L’utilisation de la violence doit être condamnée de manière claire. Il est inadmissible qu’un président de club règle des problèmes relationnels par la violence, d’autant plus devant des caméras de télévision et sur un terrain de football. Le message ainsi communiqué va totalement à l’encontre des valeurs dont l’ASF assure la promotion et dont elle est garante, en particulier vis-à-vis des jeunes joueurs”.
2.3. La décision du Tribunal de recours de la SFL
10. Le 17 octobre 2017, les Appelants ont déposé un recours auprès du Tribunal de recours de la SFL concluant, notamment, à la suspension du caractère exécutoire de la décision entreprise.
11. Le 20 octobre 2017, le Tribunal de recours de la SFL a rendu une ordonnance rejetant la demande de suspension du caractère exécutoire de la décision de la Commission de discipline de la SFL.
12. Le 19 décembre 2017, le Tribunal de recours de la SFL a rendu une décision admettant partiellement le recours, en ce sens que l’amende était réduite à CHF 30’000.- et l’interdiction de terrain prononcée ramenée à neuf mois dès le 12 octobre 2017 (ci-après: “la décision attaquée”).
13. A l’instar de la Commission de discipline de la SFL, le Tribunal de recours de la SFL a retenu que Christian Constantin avait commis une violation “évidente et flagrante” des règles disciplinaires applicables.
14. Toutefois, contrairement à l’autorité précédente, le Tribunal de recours de la SFL est parvenu à la conclusion que le comportement de Christian Constantin n’était pas prémédité, mais découlait d’une réaction “immédiate et émotionnelle” faisant suite à une altercation survenue entre son fils, Barthélémy Constantin, et Rolf Fringer.
15. Le Tribunal de recours de la SFL estimait ainsi, après avoir procédé à une comparaison avec des sanctions prononcées dans des circonstances similaires ou proches, que la Commission de discipline s’était montrée “arbitrairement sévère”.
Le Tribunal de recours de la SFL n’a toutefois pas étayé cette affirmation par de la casuistique ou de la jurisprudence.
2.4. La réconciliation entre Christian Constantin et Rolf Fringer
16. A l’initiative du journal “SonntagsBlick”, une rencontre a été organisée au mois de janvier 2018 entre Christian Constantin et Rolf Fringer.
17. A cette occasion, ces derniers ont mis publiquement un terme à leur différend et ont décidé de n’engager aucune procédure civile l’un contre l’autre.
3. LA PROCÉDURE DEVANT LE TAS
18. Le 29 décembre 2017, les Appelants ont adressé une déclaration d’appel au Tribunal arbitral du Sport (ci-après: “TAS”) à l’encontre de la décision attaquée.
19. Le 5 janvier 2018, le Greffe du TAS a initié la procédure arbitrale TAS 2018/A/5501 Christian Constantin & Olympique des Alpes SA c. Swiss Football League et a notamment invité les Appelants à produire un mémoire d’appel conformément à l’article R51 du Code de l’arbitrage en matière de sport (ci-après: “Code TAS”).
20. Le 9 janvier 2018, le Greffe du TAS a, sur demande des Appelants, prolongé le délai imparti pour le dépôt du mémoire d’appel au 12 janvier 2018.
21. Le 12 janvier 2018, les Appelants ont déposés leur mémoire d’appel comprenant, notamment, une demande de suspension de l’effet exécutoire de la décision attaquée, et les conclusions suivantes:
“A la forme
1. Déclarer l’appel recevable.
Préalablement
2. Suspendre la décision du Tribunal des recours de la SFL du 19 décembre 2017 jusqu’à droit connu définitivement sur le présent appel.
Au fond
Principalement
3. Annuler la décision du Tribunal de recours de la SFL du 19 décembre 2017.
Subsidiairement
4. Donner acte aux appelants de leurs réserves de plaider la nullité absolue de la décision entreprise.
Sur les frais et dépens
Principalement
5. Condamner la SFL aux frais et à payer aux appelants des dépens correspondant au montant exact des honoraires et frais de leurs conseils devant les instances disciplinaires de la SFL et devant le TAS, montant qui sera prouvé en cours d’instance, plus intérêts à 5% l’an.
Subsidiairement, si les appelants plaident la nullité de la SFL
[…]”.
22. En substance, les Appelants faisaient valoir les moyens suivants:
 la décision attaquée est nulle faute d’existence de l’Intimée.
 la décision attaquée sanctionne un comportement qui n’est pas prohibé par le règlement disciplinaire de l’ASF;
 la sanction prononcée viole le principe de proportionnalité.
23. Le 16 janvier 2018, le Greffe du TAS a invité l’Intimée à produire un mémoire de réponse dans un délai de vingt jours et de se déterminer sur la requête d’effet suspensif dans un délai d’une semaine.
24. Le 23 janvier 2018, l’Intimée a conclu au rejet de la requête d’effet suspensif en se référant aux décisions contenues dans le dossier instruit par le Tribunal de recours de la SFL.
25. Le 25 janvier 2017, après avoir pris note de l’accord intervenu entre les parties quant au choix d’un arbitre unique en la personne de Me Olivier Carrard, avocat à Genève, Suisse, la Présidente de la Chambre arbitrale d’appel du TAS a confirmé cette désignation et le Greffe du TAS a informé les Parties que la Formation arbitrale était donc ainsi constituée.
26. Le 29 janvier 2018, le Greffe du TAS a invité l’Intimée à bien vouloir lui communiquer les décisions auxquelles elle se référait dans son courrier du 23 janvier 2018.
27. Le 30 janvier 2018, l’Intimée a adressé au Secrétariat du TAS la décision de la Commission de discipline de la SFL du 12 octobre 2017 et l’Ordonnance du Tribunal de recours de la SFL du 20 octobre 2017.
28. Le 2 février 2018, le Greffe du TAS a communiqué aux Parties un dispositif aux termes duquel la requête d’effet suspensif des Appelants était rejetée. Les Parties ont par ailleurs été informées qu’une audience aurait lieu le 13 février 2018.
29. Le 5 février 2018 et avec l’accord des Appelants, le TAS a prolongé au 12 février 2018 à midi le délai pour le dépôt du mémoire de réponse.
30. Le 12 février 2018, l’Intimée a déposé une réponse contenant la conclusion suivante:
“Fondée sur ce qui précède, l’intimée a l’honneur de conclure, avec suites de frais et dépens, à ce qu’il plaise au Tribunal Arbitral du Sport de rejeter l’appel interjeté par Christian Constantin et Olympique des Alpes SA et confirmer la sanction (double) infligée à ces derniers par le Tribunal de recours de la SFL par décision du 19 décembre 2017”.
31. Le même jour, les motifs de l’ordonnance sur requête d’effet suspensif ont été communiqués aux Parties.
32. Le 13 février 2018, les Parties ont chacune signé l’ordonnance de procédure émise par le Greffe du TAS le 8 février 2018.
33. Le même jour, une audience s’est tenue à Lausanne en présence des personnes suivantes, Me Olivier Carrard, Arbitre unique, Me Pierre Ducret, Greffier ad hoc, Me Pauline Pellaux, Conseillère auprès du TAS et:
 Pour les Appelants: M. Christian Constantin, assisté de ses Conseils, Me Cédric Aguet et Me Alexandre Zen-Ruffinen
 Pour l’Intimée: Me Marc Juillerat, Head Legal and Licensing, au sein de la SFL ainsi que Me Olivier Rodondi et Me Michael Stauffacher, Conseils.
34. Au début de l’audience, les Appelants ont informé l’Arbitre unique que Rolf Fringer n’était pas disponible et qu’il était dès lors renoncé à son audition. Les Appelants ont par ailleurs requis la production par l’Intimée d’un document, en l’occurrence une décision de la SFL concernant Christian Constantin, dont il était question dans les écritures de l’Intimée. Cette dernière ne s’est pas opposée à la demande des Appelants.
35. Sur demande des Appelants, le Directeur sportif du FC Sion, M. Marco Degennaro, a été entendu en qualité de témoin. En substance, il a déclaré ce qui suit:
 Le jour du match contre le FC Lugano, il se trouvait dans les tribunes en compagnie de Christian Constantin.
 A l’issue de la rencontre, Christian Constantin et lui sont descendus dans les vestiaires pour saluer les joueurs. Christian Constantin était tranquille et serein. Le FC Sion avait remporté le match.
 Alors qu’ils se trouvaient dans le vestiaire du FC Sion, le fils de Christian Constantin, Barthélémy Constantin, est arrivé, blême et visiblement perturbé. Il a alors affirmé. “Rolf Fringer a touché à notre famille – c’est incroyable”.
 L’attitude de Christian Constantin a alors changé et il a quitté le vestiaire.
 Après cinq minutes, le responsable du matériel l’a informé que quelque chose de grave s’était passé à l’extérieur.
 Il est certain du lien entre l’arrivée de Barthélémy Constantin dans les vestiaires et l’altercation entre Christian Constantin et Rolf Fringer.
 L’absence de Christian Constantin aux côtés de l’équipe lors de matches impacte négativement les résultats sportifs du FC Sion compte tenu de la personnalité de son président.
36. Christian Constantin a quant à lui déclaré ce qui suit:
 Dans ses interventions télévisées, Rolf Fringer critiquait systématiquement le FC Sion. C’était notamment le cas la veille du match.
 Le jour du match, une altercation a eu lieu entre le consultant et son fils. Son fils était très touché. Il a alors décidé d’aller s’expliquer avec Rolf Fringer. Arrivé à sa hauteur, il lui a dit: “Ça suffit”. Il lui a ensuite adressé une “baffe”. La suite a été filmée par les caméras de télévision.
 Une plainte pénale a été déposée au Tessin en raison des propos attentatoires à son honneur proférés par Rolf Fringer. Cette plainte pénale a par la suite été retirée. De son côté, Rolf Fringer n’a déposé aucune plainte pénale.
 Une rencontre avec ce dernier a été organisée par le quotidien “Blick”. Chacune des parties s’est excusée.
37. Lors des plaidoiries, l’un des conseils des Appelants a déclaré que le moyen tiré de l’inexistence alléguée de la SFL était formellement retiré.
38. A l’issue des plaidoiries finales, l’un des conseils des Appelants a indiqué qu’il adresserait deux pièces complémentaires à l’Intimée en relation avec la procédure disciplinaire dont Christian Constantin avait fait l’objet quelques années auparavant.
39. Les Parties ont enfin confirmé que leur droit d’être entendu avait été respecté par l’Arbitre unique.
40. Le même jour, le Greffe du TAS a communiqué aux Parties une Ordonnance sur effet suspensif motivée.
41. Conformément à ce qui avait été convenu lors de l’audience, les Appelants ont adressé au Greffe du TAS deux pièces complémentaires démontrant, selon eux, que la sanction prononcée contre Christian Constantin dans l’affaire dite de Kriens avait été négociée et ne constituait pas véritablement une sanction.
42. Le 15 février 2018, l’Intimée a pris position sur les pièces complémentaires produites par les Appelants et contesté l’interprétation de ces derniers en produisant à son tour deux pièces complémentaires, soit, en l’occurrence, une décision de la Commission pénale et de contrôle de l’ASF du 4 juillet 2006 prononçant un boycott de trente mois à l’endroit de Christian Constantin et une décision du Tribunal sportif de l’ASF du 24 septembre 2008 réduisant la sanction à une interdiction de terrain de quatre mois.
43. Il résulte du dispositif de cette dernière décision que la sanction prononcée contre Christian Constantin l’empêchait de se rendre le terrain, mais qu’il pouvait en revanche se rendre dans les vestiaires du FC Sion et prendre place en tribune.
44. Il ressort en outre des décisions produites par l’Intimée que Christian Constantin avait été sanctionné pour avoir, à l’issue d’un match ayant opposé, le 5 décembre 2004, le FC Sion au SC Kriens, fait intentionnellement chuter l’arbitre du match en lui adressant un croche-pied.
45. Lors de l’audience, les Appelants avaient formulé une nouvelle demande d’effet suspensif. Le dispositif de la présente sentence ayant été notifié aux parties le 23 février 2018, cette demande est devenue sans objet.
4. RÉSUMÉ DES ARGUMENTS DES PARTIES
4.1. Arguments des Appelants
46. Compte tenu du retrait du moyen tiré de l’inexistence alléguée de la SFL, les Appelants ne font valoir que deux seuls moyens à l’appui de leur appel, à savoir la violation du principe de la légalité et la violation du principe de proportionnalité.
47. En ce qui concerne le premier grief, ils exposent que les articles 13 et suivants du Règlement disciplinaire de l’ASF (ci-après: “RD”) ne permettent pas de punir les voies de fait que si elles sont commises lors d’un match. Ils ajoutent que les voies de fait ne correspondent pas aux lésions corporelles simples visées par l’article 13 al. 2 let. k RD. Pour ce qui est de la sanction, les Appelants ont plaidés, lors de l’audience du 13 février 2018, que l’interdiction prononcée à l’encontre de Christian Constantin correspondait, en réalité, à une interdiction de stade. Or, une telle sanction n’est pas prévue dans le catalogue des sanctions prévue dans le RD. L’article 24 al. 1 let. e RD se réfère en effet à une interdiction de terrain et non à une interdiction de stade et il y a lieu de distinguer ces deux notions.
48. En ce qui concerne la violation du principe de proportionnalité, les Appelants se réfèrent à plusieurs affaires disciplinaires concernant des joueurs et un entraîneur de football ayant été sanctionnés à la suite de voies de fait et/ou de lésions corporelles. Ils considèrent ensuite que les éléments suivants doivent être pris en considération par le TAS:
“- les circonstances que le Tribunal de recours de la SFL a retenues, soit la réaction épidermique d’un père et l’absence de préméditation,
- les provocations incessantes de Rolf Fringer,
- le fait que ce dernier n’ait subi aucun préjudice,
- que cette affaire ait pris des proportions délirantes dont la presse de boulevard est largement responsable,
- que cet incident ait déjà provoqué des ennuis considérables à un président qui est empêché depuis trois mois d’exercer sa fonction outre qu’il doit se défendre tous azimuts, ce dont l’appelante subit elle aussi les conséquences,
- le fait que l’appelant se soit publiquement excusé et
- celui qu’il en est allé de même de Rolf Fringer”.
4.2. Arguments de la SFL
49. De son côté, l’Intimée expose que contrairement à ce qu’affirment les Appelants, il n’est pas question à l’article 13 al. 2 let. k RD de lésions corporelles, mais d’atteinte à l’intégrité corporelle, ce qui est différent. Elle ajoute que le fait pour un président d’un club de football de s’en prendre physiquement à un journaliste sportif constitue indéniablement une atteinte à l’intégrité corporelle devant être sanctionnée par la disposition précitée. En ce qui concerne de la légalité de la sanction, l’Intimée a précisé, lors des plaidoiries, que le RD s’appliquait à toutes les catégories de jeu, de la première division à la cinquième ligue. De plus, dans sa version allemande, l’article 24 RD se réfère à un “Platzverbot”. Cette disposition revêt donc une portée plus large que celle plaidée par les Appelants et permet d’interdire à un individu d’accéder au stade.
50. En ce qui concerne la violation alléguée du principe de proportionnalité, l’Intimée considère que la sanction prononcée par le Tribunal de recours est tout à fait justifiée. A cet égard, elle fait notamment valoir le devoir d’exemplarité qui incombe à un dirigeant de club. Dans le cas présent, elle souligne que le comportement de Christian Constantin “est bien plus préjudiciable à l’esprit sportif, et aux valeurs éducationnelles qui en découlent notamment, que celui du joueur qui, dans le cours du jeu et dans le feu de l’action, fait preuve d’une rudesse excessive à l’endroit d’un autre joueur ou même de l’arbitre”. Enfin, l’Intimée se réfère aux antécédents de Christian Constantin qui, dans l’affaire Kriens, avait fait l’objet d’une sanction de quatre mois d’interdiction de terrain.
5. EN DROIT
5.1. Compétence du TAS
51. Selon l’article R47 al. 1 du Code TAS:
“Un appel contre une décision d’une fédération, association ou autre organisme sportif peut être déposé au TAS si les statuts ou règlements dudit organisme sportif le prévoient ou si les parties ont conclu une convention d’arbitrage particulière et dans la mesure aussi où la partie appelante a épuisé les voies de droit préalables à l’appel dont il dispose en vertu des statuts ou règlements dudit organisme sportif”.
52. Selon l’article 59 al. 1 des Statuts de la SFL:
“Le TAS est exclusivement compétent pour les appels dirigés contre des décisions de la SFL”.
53. En l’espèce, la décision attaquée émane de la SLF. De plus, les Parties ont expressément reconnu la compétence du TAS par la signature de l’ordonnance de procédure du 8 février 2018. Partant, le TAS est compétent.
5.2. Recevabilité
54. Selon l’article 59 al. 3 des Statuts de la SFL, “le délai d’appel est de dix jours à compter de la notification des considérants écrits de la décision devant faire l’objet de l’appel”.
55. En l’espèce, la décision attaquée a été communiquée aux Appelants le 19 décembre 2017. Le 29 décembre 2017, les Appelants ont adressé, par télécopie et pli recommandé une déclaration d’appel remplissant les conditions formelles de l’article R48 du Code TAS. L’appel est donc recevable.
5.3. Droit applicable
56. Selon l’article R58 du Code TAS:
“La Formation statue selon les règlements applicables et, subsidiairement, selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit que la Formation estime appropriée. Dans ce dernier cas, la décision de la Formation doit être motivée”.
57. Les Statuts de la SLF ne contiennent aucune disposition relative au droit applicable devant le TAS. L’article 60 al. 1 des Statuts de la SFL se contente d’un renvoi général en précisant que la procédure devant le TAS est tranchée exclusivement selon le Code TAS.
58. En l’espèce, les parties n’ont pas expressément choisi de règles de droit. Dès lors, les statuts et les règlements de la SFL et de l’ASF s’appliquent en premier lieu. A titre supplétif, le droit suisse est applicable.
59. Dans le cas présent, l’affaire concerne une procédure disciplinaire. C’est donc le RD, dans son édition de juillet 2017, qui doit être pris en considération.
5.4. Examen des moyens de droit
5.4.1. La légalité de la sanction
60. Selon l’article 5 al. 2 RD:
“Les mesures disciplinaires prévues statutairement peuvent être infligées aux clubs ainsi qu’aux personnes physiques soumises au Règlement disciplinaire pour des infractions commises avant, pendant ou après le match ainsi que pour des infractions commises en dehors d’une compétition, dans la mesure où il existe un lien suffisant avec le but poursuivi par l’ASF”.
61. Selon l’article 13 al. 1 RD:
“Les personnes physiques et morales soumises au présent Règlement disciplinaire doivent se comporter dans le respect des principes de loyauté, d’intégrité et d’esprit sportif”.
62. Selon l’article 13 al. 2 RD:
“Enfreint ces principes celui qui, notamment (let. c) discrédite le football et plus particulièrement l’ASF par son comportement; (let. i) se comporte de manière insultante ou contrevient d’une autre manière aux règles élémentaires de la bienséance; (let. k) porte intentionnellement atteinte à l’intégrité corporelle d’une autre personne, cause des dégâts matériels ou se comporte d’une autre façon de manière sportive”.
63. En l’espèce, il ne fait aucun doute que Christian Constantin a bafoué les principes de loyauté, d’intégrité de d’esprit sportif consacrés à l’article 13 al. 1 RD en s’en prenant physiquement à Rolf Fringer à l’issue du match du 21 septembre 2017.
64. Le comportement de Christian Constantin tombe par ailleurs manifestement sous le coup de l’article 13 al. 2 lettres c, i et k RD.
65. Contrairement à ce que soutiennent les Appelants, il n’existe aucune raison de ne pas sanctionner des voies de fait commises à l’issue d’un match. L’article 5 al. 2 RD permet en effet de sanctionner les infractions au RD commises “avant, pendant ou après le match”.
66. En ce qui concerne la question du périmètre visé par l’interdiction de terrain au sens de l’article 24 al. 1 let. d RD, l’Arbitre unique rappelle, en guise de préambule, qu’en droit suisse, les statuts d’une association doivent être interprétés selon le sens du texte, tel qu’il peut et doit être compris, en fonction de l’ensemble des circonstances. Cette interprétation est qualifiée d’objective (PERRIN/CHAPPUIS, Droit de l’association, 3ème éd., Genève 2008, ad art. 63 CC, pp. 38-39, en référence à l’arrêt du Tribunal fédéral du 27 juin 2002, 5C.328/2001). Tel doit en aller de même s’agissant de l’interprétation des règlements émanant d’une association (RIEMER H. M., Berner Kommentar, Das Personenrecht, 3ème éd., Berne 1990, N 349 ad Systematischer Teil, p. 147; ZEN-RUFFINEN P., Droit du sport, Zurich, Bâle, Genève 2002, N 170, p. 63).
67. En l’espèce, la version française de l’article 24 al. 1 let. e RD se réfère uniquement à une interdiction de terrain, sans référence à une quelconque interdiction de stade.
68. La question se pose donc de savoir si la notion d’interdiction de terrain permet d’interdire à un individu de pénétrer dans un stade. A rigueur de texte, tel ne semble pas être le cas, puisque la disposition topique se réfère uniquement à une interdiction de terrain, ce qui paraît limiter le périmètre d’interdiction au seul terrain, soit l’aire de jeu.
69. En revanche, la version allemande de l’article 24 al. 1 let. e RD, laquelle fait foi en vertu de l’article 88 RD, ne semble pas limiter le périmètre de l’interdiction au seul terrain puisqu’il est fait état d’un “Platzverbot”, qui se rapporte plus largement à une interdiction “d’enceinte sportive”.
70. Conformément aux principes rappelés ci-dessus, il sied toutefois d’interpréter l’article 24 al. 1 let. e RD de manière objective. Il convient donc de prendre en considération l’ensemble des circonstances sans se limiter à une interprétation littérale du texte français. Dans ce contexte, il sied d’observer qu’une interdiction de terrain limitée à l’aire de jeu ne revêtirait de fonction punitive que pour une personne participant au jeu. Par définition, les officiels ne sont pas censés pénétrer sur le terrain de jeu lors des matches. Ce périmètre est réservé aux seuls joueurs (et à l’arbitre de la rencontre). Or, l’article 24 al. 1 let. c RD prévoit que les joueurs peuvent faire l’objet d’une sanction sous la forme d’une suspension “pour un certain nombre de matchs, pour une durée déterminée ou indéterminée”. Ainsi, l’article 24 al. 1 let. e RD est applicables aux autres acteurs du football. Pour cette catégorie de personnes – dont les joueurs sont exclus – une interdiction de terrain n’a de sens que si la zone d’interdiction dépasse l’aire de jeu. L’intention du législateur ne peut donc avoir été d’ériger une interdiction de terrain dont le périmètre serait limité à la seule aire de jeu.
71. Ainsi, dans les ligues inférieures, une interdiction de terrain doit pouvoir permettre d’interdire l’accès aux abords immédiats du terrain. En ce qui concerne les matches se déroulant dans des stades munis de tribunes, l’interdiction de terrain doit être interprétée, de manière objective, comme permettant d’interdire l’accès aux tribunes du stade. Une harmonisation des versions française et allemande du RD serait toutefois souhaitable pour éviter ce type de confusion.
72. Compte tenu des développements qui précèdent, l’Arbitre unique considère que le moyen tiré de la violation du principe de la légalité doit être rejeté.
5.4.2. La proportionnalité de la sanction
73. A titre préliminaire, l’Arbitre unique rappelle que selon le droit suisse, les associations et en particulier les associations sportives ont le pouvoir (i) d’adopter des règles de conduite qui s’imposent à leurs membres directs et indirects et (ii) d’appliquer des sanctions disciplinaires aux membres qui ne respectent pas ces règles, pour autant que certains principes généraux du droit – tels que le droit d’être entendu et le principe de proportionnalité – soient respectés (cf. TAS 2011/A/2433, § 20 et les références citées). Le principe de proportionnalité constitue par conséquent un principe cardinal devant guider les associations sportives lorsqu’elles entendent appliquer des sanctions disciplinaires à des personnes soumises à leur autorité.
74. Dans le cas présent, l’article 25 al. 1 RD prévoit ce qui suit:
“L’instance disciplinaire détermine le type et l’étendue des mesures disciplinaires en vertu des éléments objectifs et subjectifs constitutifs de l’infraction. Elle peut combiner plusieurs mesures disciplinaires entre elles. Elle tient compte d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes. Sous réserve de dispositions contraires du présent Règlement disciplinaire, seules des infractions commisses de manière fautive, à savoir de manière intentionnelle ou par négligence, peuvent faire l’objet d’une mesure disciplinaire”.
75. En l’espèce, l’Arbitre unique considère que la faute de Christian Constantin est grave. En bousculant et en frappant au visage Rolf Fringer, Christian Constantin a commis un acte intolérable appelant une condamnation sévère.
76. Le comportement de Christian Constantin est d’autant plus regrettable au vu des fonctions qu’il occupe. Un président de club est en effet tenu par un devoir d’exemplarité. A cela s’ajoutent ses antécédents en matière disciplinaire. De surcroît, il est indéniable qu’en recourant à la violence sous l’oeil des caméras pour régler un problème de nature privée, Christian Constantin a porté atteinte à l’image du football suisse dans son ensemble.
77. Quant aux critiques dont il a fait l’objet de la part de Rolf Fringer, elles ne sauraient en aucun cas constituer des circonstances atténuantes. En effet, il ressort du dossier, en particulier du témoignage du directeur sportif du FC Sion, que Christian Constantin était parfaitement serein à l’issue de match. Son comportement est ainsi à mettre en relation avec l’altercation verbale qui s’était déroulée quelques instants auparavant entre son fils et Rolf Fringer.
78. Toutefois, l’Arbitre unique considère qu’il existe dans le cas présent des circonstances militant en faveur d’une réduction de la sanction infligée à Christian Constantin. En effet, il sied de tenir compte du fait qu’une réconciliation publique a eu lieu entre Christian Constantin et Rolf Fringer. Cette réconciliation – qui est intervenue après la décision attaquée – a fait l’objet d’une large publicité dans les médias, ce qui a nécessairement eu un impact positif sur l’image du football suisse. A cette occasion, Christian Constantin a donc fait amende honorable en reconnaissant ses torts dans un climat d’apaisement.
79. Au demeurant, quand bien même il indiquait dans sa décision avoir procédé à une comparaison avec des sanctions prononcées lors des circonstances similaires ou proches, le Tribunal de recours n’a étayé cette affirmation par aucune référence à de la jurisprudence ou des décisions antérieures.
80. Interrogée à ce propos lors de l’audience, la Swiss Football League n’a pas non plus été en mesure d’indiquer quels seraient les cas similaires auxquels le Tribunal de recours faisait référence dans sa décision du 19 décembre 2017.
81. Il y a ainsi lieu de se référer également aux divers exemples cités par les Appelants dans leurs écritures.
82. Quand bien même les décisions citées touchent en règle générale à des joueurs ou des entraîneurs et portent principalement sur des faits de jeux ou proches du terrain et du jeu, il y a lieu de souligner que, pour des faits d’une certaine gravité, lesdites décisions ont entraîné des sanctions calculées en nombre de matchs de suspensions ou en mois de suspension allant de trois à six mois.
83. Dans ces conditions, l’Arbitre unique considère qu’il y a lieu de réduire la quotité de la sanction infligée à Christian Constantin. Une interdiction de terrain de cinq mois sera donc prononcée. L’amende de CHF 30’000 sera quant à elle maintenue.
POUR CES MOTIFS
Le Tribunal arbitral du Sport:
1. Admet partiellement l’appel déposé le 29 décembre 2017 par Christian Constantin et l’Olympique des Alpes SA contre la décision du 19 décembre 2017 rendue par le Tribunal de recours de la Swiss Football League.
2. Réforme le chiffre 2 de la décision du 19 décembre 2017 rendue par le Tribunal de recours de la Swiss Football League comme suit:
Une amende de CHF 30’000 (trente mille francs) et une interdiction de terrain de 5 (cinq) mois dès le 12 octobre 2017 sont prononcées à l’encontre de Christian Constantin. Cette interdiction de terrain prendra fin le dimanche 11 mars 2018 à minuit. L’interdiction de terrain comprend l’interdiction d’entrer, les jours de match, dans le stade, pour les compétitions de la Super League, Challenge League, Coupe de Suisse ASF et les matches de l’équipe nationale A masculine. L’interdiction signifie que Christian Constantin ne peut pas aller dans l’enceinte du stade, ni sur le terrain, ni dans la zone technique, ni dans la mixed-zone, ni dans les vestiaires, ni prendre place en tribune ou dans un quelconque secteur du stade le jour du match.
3. Le dispositif de la décision du 19 décembre 2017 rendue par le Tribunal de recours de la Swiss Football League est maintenu pour le surplus.
4. (…).
5. (…).
6. Rejette toutes autres ou plus amples conclusions.
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