TAS-CAS – Tribunale Arbitrale dello Sport – Corte arbitrale dello Sport (2005-2006)———-Tribunal Arbitral du Sport – Court of Arbitration for Sport (2005-2006) – official version by www.tas-cas.org Arbitrage TAS 2004/A/791 Le Havre AC c. Fédération Internationale de Football Association (FIFA), Newcastle United & Charles N’Zogbia, sentence partielle du 27 octobre 2005

TAS-CAS - Tribunale Arbitrale dello Sport - Corte arbitrale dello Sport (2005-2006)----------Tribunal Arbitral du Sport - Court of Arbitration for Sport (2005-2006) - official version by www.tas-cas.org Arbitrage TAS 2004/A/791 Le Havre AC c. Fédération Internationale de Football Association (FIFA), Newcastle United & Charles N’Zogbia, sentence partielle du 27 octobre 2005 Formation: M. Gérard Rasquin (Luxembourg), Président; Me François Klein (France); Prof. Gérald Simon (France) Football Rupture unilatérale du contrat de travail entre un joueur et son club Portée des articles 42 et 43 du Règlement FIFA sur le Statut et le Transfert des Joueurs Dispositif français de formation des footballeurs Violation par un joueur de ses obligations contractuelles Distinction entre indemnité de formation et indemnité due en raison de la violation des dispositions relatives au maintien de la stabilité contractuelle 1. Rien ne permet, aux termes des articles 42 et 43 du Règlement FIFA sur le Statut et le Transfert des Joueurs, de considérer que la Chambre de Résolution des Litiges est incompétente pour apprécier si un joueur peut être considéré comme un joueur libre de toute obligation à l’égard de son ancien club à compter de la date de l’expiration normale de son contrat de Joueur Aspirant au regard de la Convention de formation liant les parties. Chargée, selon l’article 42, de statuer sur “les faits générateurs du litige”, la CRL se doit d’examiner les effets d’une rupture de ladite Convention sur l’ensemble des obligations contractées par le club et le joueur. 2. En France, la formation d’un footballeur est susceptible d’être l’objet de deux contrats, parallèles et simultanés, la convention de formation et le contrat de joueur en formation. Bien que ces deux types de contrats soient distincts par leur nature et par leur objet, leur coexistence, lorsqu’elle est donnée, les fait dépendre étroitement l’un de l’autre. 3. En rompant unilatéralement la convention de formation, sans respect des conditions de forme et de fond requises, et en refusant la signature d’un nouveau contrat de joueur en formation avec son ancien club pour s’engager, en tant que joueur professionnel, avec un nouveau club, un joueur français manque à ses obligations contractuelles. 4. Sur cette base, et conformément à l’article 42 du Règlement FIFA applicable, il appartient à l’organe compétent de la FIFA de se prononcer sur les conséquences de ce manquement, notamment sous l’angle des dispositions du Règlement FIFA en matière de stabilité contractuelle. 5. Dans le contexte français, il est de principe que la violation d’une obligation contractuelle ne saurait se résoudre en une obligation de faire (réintégrer le joueur au sein de son club formateur, le contraindre à signer un nouveau contrat de joueur avec ce club), mais en l’allocation d’une indemnité correspondant aux fautes contractuelles établies. Cette indemnité se distingue de l’indemnité de formation et doit être octroyée en plus de cette dernière. Monsieur Charles N’Zogbia est un footballeur de nationalité française, né le 28 mai 1986. Il évolue actuellement, en tant que joueur professionnel, sous les couleurs du club de Newcastle dans le championnat anglais de Première Ligue. Alors âgé de 17 ans, il a signé le 29 mars 2003 avec le club français du Havre deux contrats: - le premier, dénommé “convention de formation” (la “Convention”), a été conclu pour la période du 1er juillet 2003 au 30 juin 2006 conformément aux dispositions de l’article 15- 4 de la loi française du 16 juillet 1984 qui fait obligation aux clubs disposant d’un centre de formation agréé de conclure de telles conventions avec les joueurs qui y sont intégrés; - le second, dénommé “contrat de joueur Aspirant”, conclu pour une saison sportive, entrant en vigueur à compter du 1er juillet 2003 et allant jusqu’au 30 juin 2004. Le 29 mars toujours, Le Havre et M. N’ZOGBIA ont signé un document intitulé “dispositions particulières”, visant à fixer les relations contractuelles et financières entre parties, le club s’engageant notamment à proposer au joueur en avril 2004 un “contrat de joueur Stagiaire”, conformément aux dispositions de la Charte française du football professionnel puis en avril 2006, si les résultats sportifs du joueur le justifiaient, une proposition de joueur professionnel d’une durée de trois ans, en application de la même Charte. Le contrat de “joueur Aspirant” de M. N’Zogbia est venu à son terme le 30 juin 2004, à l’échéance du délai contractuel d’une saison qui était expressément prévu. Préalablement, le 1er mars 2004 (soit dans le délai prévu à cet effet par la Charte), Le Havre avait proposé à M. N’Zogbia la signature d’un nouveau contrat de “joueur Stagiaire” et la prolongation pour deux années supplémentaires de la durée de validité de la Convention de formation. Cette proposition du club, renouvelée plusieurs fois, est restée sans effet et n’a jamais été acceptée par M. N’Zogbia. A la fin du mois de juin 2004, Le Havre a appris que M. N’Zogbia accomplissait un test en vue d’un éventuel engagement avec le club de Newcastle. Le 12 juillet, Le Havre a écrit à Newcastle pour aviser ce dernier que le joueur n’était pas libre. M. N’Zogbia ne s’est pas présenté, le 15 juillet 2004, à la reprise des entraînements du groupe Elite du centre de formation du Havre. Le 3 août 2004, Newcastle a confirmé au Havre sa volonté de proposer un contrat à M. N’Zogbia et a offert au Havre de lui verser une indemnité de 50’000 Euros. Le 5 août 2004, la fédération anglaise de football (“FA”), agissant sans nul doute à la demande de Newcastle, a requis de la FFF des informations relatives au statut du joueur N’Zogbia. Newcastle et M. N’Zogbia ont conclu un contrat de travail de joueur de football professionnel à cette même période. Le 11 août 2004, Newcastle a requis de la FA que celle-ci entreprenne, auprès de la FFF voire de la FIFA, les démarches nécessaires à l’obtention d’un certificat international de transfert pour M. N’Zogbia. Le 16 août 2004, la FFF a refusé d’émettre un tel certificat. La FIFA a été saisie du dossier et les parties ont eu l’occasion de s’exprimer dans le cadre de l’instruction menée par la commission compétente. Le 2 septembre 2004, un responsable de la commission du statut du joueur, agissant au nom de la Chambre de Règlement des Litiges de la FIFA (“CRL”), a décidé d’autoriser à titre provisoire l’enregistrement du joueur N’Zogbia auprès de la FA, en tant que joueur de Newcastle. Le 9 novembre 2004, la CRL de la FIFA a décidé d’ajourner sa décision finale sur le fond du dossier jusqu’à sa réunion du 26 novembre, et invité Le Havre et M. N’Zogbia à entrer en négociation afin de trouver un accord amiable. Aucun accord n’étant alors intervenu, la CRL de la FIFA a rendu, le 26 novembre 2004, une décision aux termes de laquelle il fut constaté que le joueur n’avait pas de lien contractuel relevant du droit du travail avec Le Havre au 1er juillet 2004, que M. N’Zogbia n’avait pas d’obligation de réintégrer le club du Havre ou de signer un nouveau contrat avec celui-ci, et que le joueur pouvait être enregistré pour Newcastle auprès de la FA. Dans cette même décision, la CRL a retenu que Newcastle devait verser au Havre une indemnité de formation, calculée selon le barème fixé par le règlement de la FIFA, de 300’000 Euros. Cette décision fut notifiée aux parties le 16 décembre 2004. Cette décision de la CRL précisait qu’elle pouvait faire l’objet d’une déclaration d’appel auprès du Tribunal Arbitral du Sport (“TAS”) dans un délai de 10 jours dès sa notification. Le 17 décembre 2004, Le Havre a interjeté appel devant le TAS de la décision du 26 novembre 2004 de la CRL et a requis sa suspension à titre de mesure provisoire. Dans le cadre de la procédure au principal, Le Havre a déposé un mémoire d’appel en date du 4 janvier 2005. Dans sa déclaration d’appel et son mémoire complémentaire, Le Havre conclut à ce que la TAS - infirme la décision de la CRL de la FIFA du 26 novembre 2004; - constate l’existence du lien contractuel entre Le Havre et M. N’Zogbia; - confirme que M. N’Zogbia est tenu de signer un nouveau contrat de joueur avec Le Havre, - ordonne la réintégration du joueur au Havre et - ordonne les sanctions sportives et financières applicables. Lors de l’Audience, l’Appelante a confirmé les conclusions prises dans ses écritures; elle n’a pas formulé de conclusions chiffrées en relation avec d’éventuelles prétentions pécuniaires, à titre subsidiaire. En substance, les principaux arguments soulevés par la partie Appelante sont les suivants: - Dans sa décision du 26 novembre 2004, la CRL de la FIFA aurait omis de tenir compte de manière adéquate de l’article 43 du Règlement sur le Statut et le Transfert des Joueurs de la FIFA (dans sa version de 2001 applicable en l’espèce); - Cette disposition prévoit que, lors du règlement des litiges relatifs au statut ou transfert d’un joueur, la FIFA doit tenir compte de tous les arrangements, lois et/ou conventions collectives d’ordre national, de même que des spécificités du sport; - En l’espèce, par le jeu de l’article 43 du Règlement FIFA, la question de savoir si le joueur N’Zogbia était libre de s’engager avec Newcastle à compter du 1er juillet 2004 aurait dû être examinée notamment à la lumière de la Convention de formation liant les parties et des dispositions auxquelles elle fait référence, notamment l’article 261 de la Charte; - Or, selon ces dispositions applicables, Le Havre pouvait “exiger” la signature d’un contrat de stagiaire par le joueur, ce qui impliquerait que celui-ci avait une obligation contractuelle qu’il aurait violée en refusant de s’engager avec Le Havre et en signant avec le club anglais de Newcastle; - Tout autre conclusion reviendrait à remettre en cause le système de formation “à la française” destiné à protéger les jeunes joueurs et les clubs formateurs. Chacune des trois parties Intimées a déposé pour sa part un mémoire de réponse, la FIFA le 15 février 2005, Newcastle et M. N’Zogbia le 21 février 2005. Dans leurs écritures de réponse respectives et lors de l’Audience, la FIFA, Newcastle et M. N’Zogbia ont conclu en substance - au rejet de l’appel; - à la confirmation de la décision de la CRL du 26 novembre 2004; et - à la condamnation du Havre aux frais et dépens de la présente procédure. Les principaux arguments soulevés à l’appui de leur défense sont les suivants: - L’article 43 du Règlement FIFA est une clause générale qu’il faut appliquer avec prudence et discernement; - Une convention de formation (telle que la Convention en l’espèce) ne relèverait pas de la compétence de la FIFA (comme celle-ci l’a constaté dans sa décision du 26 novembre 2004) et ne devrait pas être prise en compte dès lors qu’elle ne relève pas du droit du travail; - En l’espèce, même si l’article 43 du Règlement FIFA impliquait de se référer par ailleurs aux lois françaises et à la Charte, en particulier, il conviendrait de retenir que ces dispositions d’ordre national ne s’appliquent qu’aux clubs et joueurs affiliés à la FFF et n’ont pas de portée internationale; - La portée strictement territoriale des règles françaises serait confirmée par le texte même de l’article 261 de la Charte, qui stipule qu’en cas de refus du joueur de signer un contrat qui lui est proposé, celui-ci s’expose à des conséquences sur le plan interne français seulement; - Par ailleurs, le fait même que l’article 261 de la Charte mentionne la possibilité pour le joueur de “refuser” le nouveau contrat qui lui est proposé par le club formateur démontrerait que le joueur n’a pas d’obligation absolue à cet égard; - Toute autre interprétation de cette disposition serait d’ailleurs contraire aux principes généraux de la liberté contractuelle et de libre circulation des travailleurs. Par ordonnance du 23 mai 2005, statuant par voie de mesure provisionnelle, le TAS a débouté Le Havre de sa requête d’effet suspensif de la décision de la CRL du 26 novembre 2004. L’audience de jugement s’est tenue à Lausanne le 27 juin 2005. DROIT Questions préalables A. Compétence du TAS et recevabilité 1. L’article R27 al. 1 du Code de l’Arbitrage en matière de Sport dispose que “le présent Règlement de procédure s’applique lorsque les parties sont convenues de soumettre au TAS un litige relatif au sport. Un tel litige peut résulter d’une clause arbitrale insérée dans un contrat ou un règlement ou d’une convention d’arbitrage ultérieure (procédure d’arbitrage ordinaire) ou avoir trait à l’appel d’une décision rendue par une fédération, une association ou un autre organisme sportif lorsque les statuts ou règlements de cet organisme ou une convention particulière prévoient l’appel au TAS (procédure arbitrale d’appel)”. 2. Selon l’article R47 du Code de l’Arbitrage en matière de Sport, “[u]n appel contre une décision d’une fédération, association ou autre organisme sportif peut être déposé au TAS si les statuts ou règlements dudit organisme sportif le prévoient ou si les parties ont conclu une convention d’arbitrage particulière et dans la mesure aussi où l’appelant a épuisé les voies de droit préalables à l’appel dont il dispose en vertu des statuts ou règlements dudit organisme sportif”. 3. A teneur de l’article 59 alinéa 1 des statuts de la FIFA, le TAS est compétent pour juger de tout différend opposant la FIFA, les confédérations, les membres, les ligues, les clubs, les joueurs, les officiels, les agents de matches et les agents de joueurs licenciés. 4. L’article 60 al. 1 des statuts de la FIFA dispose que “le TAS est seul compétent pour traiter des recours interjetés contre toute décision ou sanction disciplinaire prise en dernier ressort par toute autorité juridictionnelle de la FIFA”. 5. Les parties à la présente procédure ont signé l’ordonnance de procédure du 27 mai 2005 et admis sans réserve la compétence du TAS pour juger de la présente affaire. Au vu de ce qui précède, cette compétence est avérée. 6. S’agissant d’un arbitrage international avec siège en Suisse, les dispositions du chapitre 12 de la loi fédérale sur le droit international privé (“LDIP”) s’appliquent en outre, notamment son article 177 alinéa 1, selon lequel l’arbitrabilité d’un litige dépend de sa nature patrimoniale. 7. Cette condition d’arbitrabilité découlant de la LDIP est remplie in casu, les conséquences patrimoniales du différend pour chacune des parties impliquées étant indubitables. 8. Pour le reste, l’appel formé par Le Havre est recevable, ayant notamment été produit en temps utile et dans les formes prescrites devant l’autorité compétente. B. Règles applicables 9. En matière procédurale, les règles applicables sont celles contenues dans le Code de l’arbitrage en matière de Sport, par renvoi de l’article 59 alinéa 2, première phrase des statuts de la FIFA. 10. S’agissant de la résolution du litige sur le fond, l’article 59 alinéa 2, seconde phrase des statuts de la FIFA prévoit que “le TAS applique les diverses règles émises par la FIFA ou, le cas échéant, par les confédérations, les membres, les ligues, les clubs et, à titre supplétif, le droit suisse”. 11. L’article R58 du Code de l’arbitrage en matière de Sport prévoit que “la Formation statue selon les règlements applicables et selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit dont la Formation estime l’application appropriée. Dans ce dernier cas, la décision de la Formation doit être motivée”. 12. En l’espèce, les parties ont toutes directement ou indirectement accepté les statuts de la FIFA. Les règles applicables sur le fond pour juger de la présente affaire sont donc celles prévues par l’article 59 des statuts de la FIFA, dont le Règlement FIFA. 13. L’article 43 du Règlement FIFA précise que “le système de règlement des litiges et le système arbitral tiendront compte de tous les arrangements, lois et/ou conventions collectives d’ordre national, de même que des spécificités du sport”. En application de cette disposition, il appartient à la Formation de déterminer, au cas par cas, dans quelle mesure le droit local doit être pris en compte. Au fond A. La Décision du 26 novembre 2004 14. Dans sa décision du 26 novembre 2004, la CRL de la FIFA a estimé en premier lieu que la Convention de formation entre Le Havre et M. N’Zogbia ne constituait pas un contrat de travail. 15. La CRL a déduit de cette première constatation qu’elle était incompétente pour juger des conséquences d’une éventuelle violation de cette Convention Règlement de la FIFA sur le Transfert et le Statut du Joueur limitant, selon elle, sa compétence aux ruptures de contrats relevant juridiquement du droit du travail. 16. La CRL s’est ensuite penchée sur la question de savoir si le joueur N’Zogbia avait commis une violation d’une obligation relevant du droit du travail. A cet égard, la CRL a constaté que le contrat de Joueur Aspirant signé par Le Havre et M. N’Zogbia avait expiré le 30 juin 2004. La CRL a toutefois relevé qu’il fallait encore déterminer si, compte tenu des termes de ce contrat, le joueur avait une obligation de signer avec Le Havre un nouveau contrat de travail. 17. La CRL a considéré qu’elle devait, par application de l’article 43 du Règlement FIFA sur le Transfert et le Statut du Joueur, prendre en compte la Charte et, notamment son article 261 afin de déterminer les droits et obligations du joueur. 18. Ce faisant, la CRL a constaté que le joueur N’Zogbia n’avait pas respecté ses engagements envers Le Havre, en refusant la proposition de nouveau contrat de stagiaire que Le Havre lui avait soumise dans les formes et délais prévus par l’article 261 de la Charte. 19. La CRL a toutefois rappelé que la Charte contient des sanctions précises imposables au joueur n’ayant pas accepté un contrat conformément à l’article 261 de la Charte. Or, ces sanctions seraient de nature strictement interne à l’ordre national français et il n’y aurait aucune raison d’étendre ces sanctions sur le plan international ou d’en appliquer de différentes. 20. Ainsi, et après avoir souligné que l’obligation faite au joueur selon la Charte de signer un contrat de travail avec son club formateur ne saurait être absolue, la CRL a retenu qu’il n’existait plus de lien contractuel (relevant du droit du travail) entre Le Havre et M. N’Zogbia et que celui-ci pouvait être enregistré comme joueur d’un autre club auprès de toute association nationale autre que la FFF. 21. Enfin, la CRL a conclu qu’aucune sanction ne pouvait être imposée au joueur ou à Newcastle dans le cas présent, tout en accordant au Havre une indemnité de formation fondée sur le Règlement FIFA d’un montant de 300’000 Euros payable par Newcastle. B. Portée des articles 42 et 43 du Règlement sur le Statut et le Transfert des Joueurs 22. L’article 42 b (i) du Règlement FIFA prévoit qu’entrent dans le champ de compétence de la FIFA, “Les faits générateurs du litige (par exemple, le fait de savoir si un contrat a été rompu, avec ou sans juste cause, ou juste cause sportive) (…)”. Ces faits “seront tranchés par la Chambre de règlement des litiges de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA (…)”. 23. L’article 43 du Règlement FIFA précise que “le système de règlement des litiges et le système arbitral tiendront compte de tous les arrangements, lois et/ou conventions collectives d’ordre national, de même que des spécificités du sport”. 24. La question dont la CRL était saisie en l’espèce consistait notamment à déterminer si M. N’Zogbia pouvait être considéré comme un joueur libre de toute obligation à l’égard de l’appelant à compter du 1er juillet 2004, date de l’expiration normale de son contrat de Joueur Aspirant. 25. C’est à tort, selon la Formation, que la CRL a décidé d’apprécier cette question en ne tenant pas compte, notamment, de la Convention de formation liant les parties. En effet, rien ne permet, aux termes des articles 42 et 43 du Règlement FIFA précité, de considérer que la CRL était incompétente pour apprécier la situation au regard de cette Convention également chargée, selon l’article 42, de statuer sur “les faits générateurs du litige”, la CRL se devant d’examiner les effets d’une rupture de ladite Convention sur l’ensemble des obligations contractées par le club et le joueur. 26. Il résulte des considérations qui précèdent que, dans sa décision du 26 novembre 2004, la CRL de la FIFA a fait une fausse appréciation de sa propre compétence et aurait dû apprécier les obligations du joueur envers Le Havre en prenant en compte tous les accords entre les parties, y compris la Convention de formation. Cette conclusion est encore appuyée par le fait que, comme exposé ci-après, le système de formation français, même s’il inclut des accords distincts et de nature différente, doit être appréhendé comme un tout. C. Le dispositif français de formation des footballeurs 27. Pour apprécier les faits générateurs du litige, il est important d’examiner les particularités du système de formation mis en place en France, dont l’application est à la source du litige. 28. En premier lieu, pour les joueurs intégrant un centre de formation relevant d’un club sportif professionnel et agréé par le ministre des sports, une convention de formation doit être obligatoirement signée entre le bénéficiaire de la formation et le groupement sportif dont dépend le centre. 29. En effet, aux termes de l’article 15-4 de la loi française n° 84-610 du 16 juillet 1984 modifiée, l’accès à une formation dispensée par un centre est subordonné “à la conclusion d’une convention entre le bénéficiaire de la formation et son représentant légal et l’association ou la société. La convention détermine la durée, le niveau et les modalités de la formation. Elle prévoit qu’à l’issue de la formation, et s’il entend exercer à titre professionnel la discipline à laquelle il a été formé, le bénéficiaire peut être dans l’obligation de conclure, avec l’association ou la société dont relève le centre, un contrat de travail défini au 3° de l’article L.122-1-1 du Code du travail, dont la durée ne peut excéder trois ans. Si l’association ou la société ne lui propose pas de contrat de travail, elle est tenue d’apporter à l’intéressé une aide à l’insertion scolaire ou professionnelle, dans les conditions prévues par la Convention”. 30. Le décret n° 2001-831 du 6 septembre 2001, pris pour l’application de l’article 15-4 a prévu que “pour chaque discipline sportive, une convention type est établie par la fédération sportive délégataire et approuvée par arrêté du ministre chargé des sports”. 31. S’agissant du football, la convention type a été établie par la FFF et approuvée par un arrêté du ministre des sports en date du 14 novembre 2002. Cette convention type énonce en particulier que “pendant la durée de la convention, le bénéficiaire s’engage à signer une licence en faveur de l’association, affiliée à la FFF, du club dont relève le centre de formation (article 4). L’article 9 prévoit également que “si le bénéficiaire perçoit une rémunération en contrepartie de son activité de joueur de football, les conditions de cette rémunération sont précisées dans le contrat de travail y afférent prévu dans le statut du joueur en formation de la Charte du football professionnel, distinct de la présente convention et conclu avec l’association ou la société du club”. La convention fait en outre obligation au bénéficiaire qui entend exercer à titre professionnel l’activité de joueur de football de conclure avec le club, à l’issue de la formation, un contrat de travail de joueur professionnel d’une durée de trois ans. En cas de refus du bénéficiaire, celui-ci est tenu de verser au club les indemnités de formation s’il a conclu, au cours du délai de trois ans, un contrat de joueur professionnel avec un autre groupement sportif (article 12). 32. L’article 10.1 de la convention type offre la faculté pour le bénéficiaire de résilier la convention de formation avant son terme par LR/AR. Le même article précise que “si le bénéficiaire résilie unilatéralement la convention pour un motif autre que ceux prévus à l’article 11 (c.à.d. manquement d’une partie à ses obligations contractuelles ou retrait ou non renouvellement de l’agrément du centre de formation), et s’il signe une autre convention de formation ou un contrat de joueur professionnel de football en faveur d’un autre groupement sportif professionnel, pendant une période de trois ans, le bénéficiaire devra verser au club dont relève le centre de formation les indemnités de formation calculées selon les modalités prévues dans la Charte du football professionnel”. 33. En second lieu, comme l’énonce l’article 9 de la convention type, un joueur lié au club par une convention de formation peut parallèlement conclure avec le club un des contrats de travail dits de “joueur en formation”; édictés par la Charte (contrat du joueur apprenti, aspirant, stagiaire, etc.). 34. La Charte, qui a valeur de convention collective, contient notamment, dans sa version en vigueur au moment des faits, un article 261 dont le contenu mérite d’être reproduit: “… A l’expiration normale des contrats apprenti et aspirant, le club est en droit d’exiger de l’autre partie la signature d’un nouveau contrat de joueur en formation ou de joueur élite correspondant à l’âge du joueur”. A l’expiration du contrat stagiaire, le club est en droit d’exiger de l’autre partie la signature d’un contrat professionnel. Le club aura dû, le 30 avril au plus tard, prévenir le joueur de ses intentions par lettre recommandée avec accusé de réception, dont une copie sera adressée à la LFP. 1. A défaut pour le club d’avoir usé de cette faculté, le joueur pourra régler sa situation dans les conditions suivantes: a) signature d’un contrat de joueur en formation, de joueur élite ou professionnel dans le club de son choix sans qu’il soit dû aucune indemnité au club quitté; b) reclassement dans les rangs amateurs: - soit pour le club quitté lors de son passage dans les rangs de joueur en formation avec licence amateur, sans cachet “Mutation” - soit pour le club autorisé auquel il était lié par un contrat de joueur en formation, avec licence amateur, sans cachet “Mutation”, ou; - soit pour un autre club amateur que celui d’origine, avec cachet “Mutation”. 2. Si le joueur refuse de signer un contrat de joueur en formation, de joueur élite ou de joueur professionnel il ne pourra pas, pendant un délai de trois ans, signer dans un autre club de la LFP, sous quelque statut que ce soit, sans l’accord écrit du dernier club où il a été en formation et sa situation sera réglée de la façon suivante: Reclassement dans les rangs amateurs (…)”. 35. Il ressort de l’ensemble de ce dispositif, dont il n’appartient pas à la Formation d’apprécier la validité, notamment au regard du droit communautaire, qu’en France la formation d’un footballeur est susceptible d’être l’objet de deux contrats, parallèles et simultanés, et distincts par leur nature et par leur objet: - La convention de formation, dont la conclusion est obligatoire pour intégrer un centre de formation agréé, a pour objet de fixer les droits et obligations réciproques des signataires dans le cadre de la formation sportive et scolaire dispensée au sein du centre. Cette convention, qui n’implique par elle-même aucune relation de travail salarié, ne saurait être regardée, en tout état de cause, comme un contrat de travail. - Les contrats de joueur en formation (Aspirant ou Stagiaire), qui peuvent être conclus successivement durant la période de formation du joueur ont pour objet, quant à eux, de déterminer les conditions d’emploi des jeunes footballeurs contre rémunération versée par le club, lequel agit ici comme employeur. De tels contrats sont, indubitablement, des contrats de travail. 36. Cependant, bien que ces deux types de contrats soient distincts par leur nature et par leur objet, leur coexistence, lorsqu’elle est donnée, les fait dépendre étroitement l’un de l’autre. 37. Il résulte en effet du dispositif que si la signature d’une convention de formation n’oblige pas la conclusion d’un contrat de joueur en formation (puisqu’un joueur peut intégrer un centre de formation sans contrat de travail), en revanche la signature d’un contrat de joueur en formation impose que le joueur soit intégré, par l’effet de la convention de formation, au centre agréé. Ainsi, la conclusion d’un contrat de joueur en formation oblige à la conclusion simultanée d’une convention de formation. 38. En résumé, s’il peut exister des conventions de formation sans contrat de joueur en formation, il ne peut être légalement conclu de contrat de joueur en formation sans convention de formation, sinon préalable, du moins simultanée. 39. Par voie de conséquence, la rupture de la convention doit logiquement entraîner la rupture du contrat de joueur en formation, celui-ci ne pouvant être maintenu indépendamment de la convention. 40. Il convient de relever en outre que la convention de formation vise aussi à protéger le club formateur, puisque le joueur à qui est proposé, à l’issue de sa formation, un premier contrat professionnel est obligé de le conclure sous peine de sanctions (voir article 12 de la convention type précitée). 41. La Formation est ainsi d’avis que la situation contractuelle d’un joueur en formation doit être appréciée en tenant compte de l’ensemble des obligations qu’il a souscrites lors de la conclusion de ses différents contrats. C’est donc à tort que la CRL a estimé “qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur les effets d’une possible rupture d’un contrat de formation et/ou du non respect des formalités requises en cas de rupture anticipée dudit contrat”. D. Les engagements contractuels du joueur envers le Havre au 30 juin 2004, leur violation et la conséquence de ces violations 41. De manière générale, il est “de la responsabilité de la FIFA, dans chaque cas de transfert international et en tenant compte, le cas échéant, des “arrangements” d’ordre national par le jeu de l’article 43 du Règlement FIFA, d’examiner les engagements pris par toutes les parties impliquées et d’en tirer alors les conclusions pertinentes, dans un souci de garantie de la sécurité juridique des intervenants notamment” (Sentence rendue dans l’affaire TAS 2003/O/530). 42. Dans ce cadre et pour les motifs explicités ci-dessus, la situation entre Le Havre et M. N’Zogbia au 30 juin 2004 devait - et doit - en l’espèce, être appréciée dans son ensemble, y compris en tenant compte de la Convention, voire des dispositions particulières signées en marge du contrat de travail à proprement parler. 43. Ce constat s’impose aussi au vu du contenu des articles 42 et 43 du Règlement FIFA évoqués ci-dessus. 44. Il ressort de l’ensemble des documents contractuels signés entre M. N’Zogbia et le club du Havre que les parties, dès le 29 mars 2003, avaient entendu s’engager sur une période d’au moins trois saisons sportives, jusqu’au 30 juin 2006. Outre en effet la Convention de formation, les “dispositions particulières” annexées et signées le même jour prévoyaient qu’à l’expiration du contrat d’aspirant du joueur, conclu pour une saison, “une proposition d’un contrat stagiaire de deux saisons sera faite à Charles, en avril 2004”. Le club du Havre s’était ainsi clairement engagé pour trois saisons vis-à-vis du joueur et faisait coïncider la durée de la Convention de formation et celle des contrats de joueur en formation, d’abord en tant qu’aspirant puis en tant que stagiaire. 45. M. N’Zogbia peut d’autant moins prétendre ignorer la durée et la nature des engagements qu’il avait ainsi souscrits que la Charte, dont les termes sont rappelés dans le contrat d’aspirant, fait obligation de conclure un nouveau contrat de stagiaire lorsque celui-ci lui est proposé par le club. 46. Il apparaît donc qu’en rompant unilatéralement la convention de formation, sans respect des conditions de forme et de fond requises, et en refusant la signature d’un contrat de stagiaire avec Le Havre pour s’engager, en tant que joueur professionnel, dans le club de Newcastle, M. N’Zogbia a manqué à ses obligations contractuelles. 47. Sur cette base, et conformément à l’article 42 du Règlement de la FIFA applicable, il appartenait à l’organe compétent de la FIFA d’apprécier les conséquences de cette violation, ce sous l’angle notamment des dispositions du Règlement FIFA en matière de stabilité contractuelle. 48. À cet égard, la Formation réitère ici que tant les règles contenues dans la Convention (et le cadre légal dans lequel celle-ci s’inscrit) que les règles de la Charte sont de portée nationale et ne sauraient prétendre déployer directement leurs effets dans un autre Etat. 49. La CRL se devait toutefois d’examiner les conséquences des manquements de M. N’Zogbia au regard des “arrangements” nationaux français et de tous les contrats ou accords liant le club et le joueur, et non d’un seul d’entre eux, étant précisé encore une fois que ces accords s’inscrivent dans un système contractuel global de formation. 50. En omettant de procéder à un tel examen, la CRL de la FIFA a méconnu des principes de droit importants, notamment le principe général pacta sunt servanda et celui de la sécurité du droit. 51. La Formation est ainsi d’avis qu’en se déclarant incompétente pour apprécier les conséquences de la rupture unilatérale de la Convention de formation par M. N’Zogbia et en ordonnant à Newcastle le paiement d’une somme de 300’000 Euros au Havre à titre d’indemnité de formation, la CRL de la FIFA a fait une appréciation partielle et incomplète du cas d’espèce, voire a entretenu une confusion regrettable quant au fondement des indemnités payables au Havre. 52. Cela étant dit, compte tenu des conclusions prises par les parties devant le TAS et même si la CRL n’a pas opéré un examen complet du dossier de manière appropriée, la Formation ne s’estime pas habilitée à revoir ou lui substituer son jugement quant à l’indemnité de formation allouée au Havre par la CRL. La décision de cette dernière sera donc confirmée sur ce point. 53. De même, la Formation ne peut que prendre acte du fait que le contrat conclu entre Newcastle et M. N’Zogbia n’a pas été invalidé, pour autant même qu’il eût pu l’être. Elle ne reviendra donc pas non plus sur l’autorisation conférée à Newcastle d’inscrire M. N’Zogbia en qualité de joueur. 54. Sur la base de cette autorisation décernée par la FIFA, le joueur a intégré l’effectif de Newcastle dès début septembre 2004 et a ainsi participé à une saison presque complète avec son nouveau club. 55. Ainsi, il ne saurait être question, comme le réclame Le Havre, d’ordonner la réintégration de M. N’Zogbia au sein de son club formateur. Dans la mesure où la FIFA a délivré le certificat international de transfert (CIT), du point de vue sportif déjà, il paraît difficile de revenir, plus d’un an plus tard, sur un choix de carrière opéré et mis en œuvre par le joueur qui a participé à différentes compétitions avec son nouveau club qui l’a déjà ainsi intégré. La Formation reprend ici la jurisprudence déjà exprimée par le TAS (Sentence rendue dans l’affaire TAS 2003/O/530). 56. Sur le plan juridique également, il est de principe dans le contexte français que la violation d’une obligation contractuelle ne saurait se résoudre en une obligation de faire mais en l’allocation d’une indemnité correspondant aux fautes contractuelles établies. En particulier, s’agissant d’un contrat de travail, la réintégration ne pourrait être ordonnée qu’à la demande du salarié mais non de l’employeur. 57. Dès lors, M. N’Zogbia ne saurait être contraint de signer avec son club formateur un nouveau contrat de stagiaire. Il n’y a donc pas lieu de prononcer l’annulation de la décision du 26 novembre 2004 en tant qu’elle parvenait à des conclusions identiques. 61. En revanche, la prise en compte appropriée des “arrangements” d’ordre national existant dans le cas d’espèce et du système de formation français pris dans son ensemble, notamment de la Convention de formation rompue unilatéralement par le joueur, pourra justifier de tirer d’autres conséquences en termes de dommages-intérêts en faveur du Havre, en plus de l’indemnité de formation déjà reconnue par la CRL de la FIFA. 62. En particulier, la Formation estime qu’il y a lieu d’examiner, compte tenu de la prise en compte de la Convention rompue unilatéralement par le joueur et du contrat signé dans de telles conditions avec Newcastle, si les sanctions spécifiques prévues dans la Convention et/ou les sanctions applicables en matière de maintien de la stabilité contractuelle dans le football, au sens du Règlement FIFA applicable, doivent être appliquées et dans quelle mesure. 63. Dans ce cadre, la décision de la CRL de la FIFA du 26 novembre 2004 sera partiellement annulée, et les parties seront invitées à faire valoir formellement leurs arguments et conclusions devant la Formation au sujet des conséquences pécuniaires éventuelles qu’il y a lieu de déduire des faits de la cause, au vu des considérations qui précèdent. Le Tribunal Arbitral du Sport: 1 Déclare recevable l’appel formé par Le Havre le 17 décembre 2004. 2 Admet partiellement l’appel et annule la décision de la FIFA du 26 novembre 2004, dans la mesure où celle-ci s’est estimée incompétente pour juger des droits et obligations respectifs de M. N’Zogbia et du Havre au titre de la Convention de formation. 3 Constate la violation par M. N’Zogbia de ses obligations contractuelles envers Le Havre. 4 Dit que les parties seront prochainement invitées par le secrétariat du TAS à se déterminer par écrit sur la question des éventuelles indemnités supplémentaires dues au Havre, dans le sens des attendus de la présente sentence. 5 Confirme la décision de la FIFA pour le surplus, notamment les points 2, 3 et 4 de son dispositif. 6 Rejette toutes autres conclusions des parties. 7 Renvoie à la sentence finale sa décision relative à la prise en charge des dépens et des frais de l’arbitrage.
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