F.I.F.A. – Dispute Resolution Chamber / Camera di Risoluzione delle Controversie – labour disputes / controversie di lavoro (2018-2019) – fifa.com – atto non ufficiale – Decision 4 octobre 2018
Décision de la Chambre de Résolution des Litiges
ayant siégé, le 4 octobre 2018 à Zurich, en Suisse,
composée comme suit:
Geoff Thompson (Angleterre), Président
Abu Nayeem Shohag (Bangladesh), membre
Stijn Boeykens (Belgique), membre
dans l’affaire opposant le joueur,
Joueur A, Pays B
ci-après, le demandeur
au club,
Club C, Pays D
ci-après, le défendeur
concernant un litige contractuel survenu entre les parties
I. Faits
1. Le 1er juillet 2016, le Joueur du Pays B, Joueur A, (ci-après: demandeur ou joueur) et le Club du Pays D, Club C, (ci-après: défendeur ou club) ont signé un contrat de travail (ci-après: contrat) valable à compter de sa date de signature jusqu'au 31 mai 2018.
2. Aux termes de l’article 4.1 du contrat, le demandeur était en droit de percevoir, inter alia, un salaire mensuel brut de 2 515 000.
3. En outre, l’article 8 dudit contrat stipule que « les litiges ou les contestations pouvant survenir à l’occasion de l’exécution du présent contrat seront résolus à l’amiable entre les deux parties. A défaut, le différend est soumis par l’une ou l’autre partie à la chambre des résolutions des litiges auprès de la Fédération de Football du Pays D » (ci-après : CRL du Pays D).
4. Selon le demandeur, le défendeur a cessé d’honorer ses obligations financières à compter de novembre 2016 et il a été informé qu'il devait s’entrainer avec l'équipe réserve à compter du 30 décembre 2016.
5. Par deux correspondances datées des 25 et 31 janvier 2017, le demandeur a mis le défendeur en demeure de lui payer ses salaires des mois de novembre 2016 à janvier 2017 inclus, ainsi que ses frais d'hébergement. Dans sa lettre du 31 janvier 2017, le demandeur a averti le défendeur qu'il entamerait des poursuites devant la CRL du Pays D si le défendeur ne payait pas avant le 1er février 2017.
6. Le 2 février 2017, le demandeur a déposé une requête devant la CRL du Pays D contre le défendeur, lui demandant d'attribuer les montants suivants:
• 4 500 000 correspondant à trois salaires mensuels nets à titre d’arriérés de rémunération (novembre 2016, décembre 2016 et janvier 2017);
• 1 000 000 à titre des dommages causés par le retard pris par le club à s’acquitter de ses obligations contractuelles.
7. Parallèlement, selon le demandeur, le défendeur a également déposé une requête devant la CRL du Pays D.
8. Le 29 février 2017, la CRL du Pays D, ayant décidé de joindre les deux requêtes du demandeur et du défendeur, a rendu sa décision en prononçant la résiliation du contrat par la faute du club et en ordonnant au défendeur de verser au demandeur une indemnisation de 1 500 000 ainsi que la somme de 1 000 000 à titre de dommages et intérêts.
9. Le 8 mars 2017, le demandeur a interjeté appel de cette décision de la CRL du Pays D devant le Tribunal arbitral du sport du Pays D et ladite demande aurait été rejetée le 10 avril 2017 sur la base de l'art. 99 du Règlement de la Fédération de Football du Pays D (ci-après : Fédération de Football du Pays D) sur les championnats de football professionnel pour la saison 2016-17.
10. Selon le demandeur, le 14 mars 2017, il a déposé une nouvelle requête devant la CRL du Pays D contre le défendeur aux fins de se voir attribuer son salaire de février 2017, ainsi qu'une indemnisation correspondant à la totalité de ses salaires jusqu'au 31 mai 2018, dans la mesure où la CRL du Pays D avait prononcé la résiliation du contrat sans aucune demande de sa part.
11. Par décision du 29 mars 2017, la CRL du Pays D a ordonné au défendeur de verser au demandeur la somme de 1 500 000 correspondant à son salaire de février 2017, mais a rejeté la demande d'indemnisation du joueur, estimant qu'elle avait déjà été décidée dans sa décision antérieure du 29 février 2017.
12. Le 4 juillet 2017, le demandeur a déposé une requête devant la FIFA contre le défendeur pour rupture de contrat, en réclamant le montant total de 28 500 000, composé comme suit:
• 6 000 000 à titre d’arriérés de rémunération correspondant à ses salaires de novembre 2016 à février 2017 ;
• 22 500 000 à titre d’indemnisation pour rupture de contrat correspondant à ses salaires de mars 2017 à mai 2018 ;
• De plus, le demandeur demande que la résiliation du contrat décidée par la CRL du Pays D soit considérée comme une résiliation sans juste cause par le club ;
• Subsidiairement, dans l'hypothèse où la FIFA considérerait la décision de la CRL du Pays D comme applicable, le joueur a limité sa réclamation aux conséquences de la résiliation du contrat, à savoir une indemnité de 22 500 000.
13. Par courrier en date du 14 septembre 2017, la FIFA a informé le demandeur que, conformément au principe général de res iudicata, elle n'était pas en mesure d'intervenir dans la présente affaire, le litige ayant déjà été réglé quant au fond au niveau national.
14. Par la suite, le 5 octobre 2017, le joueur a interjeté appel de la lettre de la FIFA datée du 14 septembre 2017 devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) contre la FIFA, le club et la Fédération de Football du Pays D.
15. Le TAS a informé les parties qu'il avait suspendu sa décision jusqu'à ce qu'une décision soit rendue par la FIFA, comme convenu avec cette dernière.
16. En date du 22 décembre 2017, modifiée le 10 avril 2018, le demandeur a déposé une nouvelle réclamation formelle devant la FIFA contre le défendeur, demandant ce qui suit:
• La FIFA doit être compétente pour connaître du présent litige compte tenu du fait que la CRL du Pays D ne respecte pas les principes énoncés par la FIFA ;
• Ordonner au club de lui verser des arriérés de rémunération d'un montant de 6 000 000 correspondant à quatre salaires mensuels nets de 1 500 000 chacun de novembre 2016 à février 2017 ;
• Ordonner au club de lui verser une indemnisation de 22 500 000 pour rupture de contrat sans juste cause ;
• Subsidiairement, dans l'hypothèse où la FIFA considérerait la décision de la CRL du Pays D comme applicable, le joueur limite sa réclamation aux conséquences de cette résiliation, à savoir une indemnité de 22 500 000.
17. Dans sa réclamation, quant à la compétence, le demandeur a d'abord affirmé que la FIFA reconnaissait sa compétence dans la présente affaire, puisqu’elle a accepté de prendre une décision formelle par le biais de sa correspondance adressée au TAS le 6 novembre 2017.
18. Le demandeur a souligné que la CRL du Pays D ne se conformait pas aux exigences de la FIFA concernant la mise en place d'une chambre nationale de règlement des litiges, puisqu’elle ne prévoyait pas une représentation égale des clubs et des joueurs, ni une possibilité de recours.
19. À cet égard, le joueur a soumis les circulaires de la FIFA no. 1010 et 1129, ainsi que le règlement standard « CRL nationale » publié par la FIFA. Il a en outre présenté une déclaration écrite de M. Stéphane Burchkalter, en sa qualité de secrétaire général de la division Afrique de la FIFPro, datée du 1er juin 2017, dans laquelle ce dernier certifie qu'aucune association de joueurs n'est reconnue par la FIFPro en Pays D et que, par conséquent, la CRL du Pays D ne se conforme pas aux exigences de la FIFA concernant les représentants des joueurs.
De plus, le demandeur a soumis un extrait du règlement de la Fédération de Football du Pays D sur les championnats de football professionnel de la saison 2016-2017 et de la saison 2015-2016, ainsi que les statuts de la Fédération de Football du Pays D publiés en juillet 2011. À cet égard, le demandeur affirme que les représentants des joueurs visés à l'art. 66.2 desdits statuts de la Fédération de Football du Pays D n'existent donc pas et que, selon l'art. 99 dudit Règlement de la Fédération de Football du Pays D pour la saison 2016-17, qui traite du Tribunal arbitral du sport du Pays D, aucun recours contre les décisions de la CRL du Pays D n'est possible.
20. De plus, le demandeur a estimé que le système judiciaire sportif du Pays D ne pouvait lui garantir une procédure équitable, ce qui constitue une violation flagrante de l'article 6 par. 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
21. D’autre part, le joueur a estimé qu'il était ainsi obligé de s'adresser à une prétendue chambre de résolution des litiges afin de faire valoir ses droits, alors que cette dernière ne respectait pas les critères définis par la FIFA.
22. Sur le fond, le demandeur a estimé qu'il était indéniable, en fait, que le club avait résilié le contrat sans juste cause le 28 février 2017 en ne payant pas ses salaires à compter du mois de novembre 2016 et qu'il avait donc droit à des arriérés de rémunération ainsi qu’une indemnisation pour rupture de contrat.
23. En outre, le demandeur a déclaré à titre subsidiaire que, dans l'hypothèse où la FIFA considérerait la décision de la CRL du Pays D comme applicable, la FIFA devrait se prononcer uniquement sur les conséquences de la résiliation.
24. À cet égard, le joueur a demandé à la FIFA de suivre la position de la jurisprudence « Mutu » dans laquelle elle évaluait exclusivement les conséquences de la résiliation en vue d’accorder une indemnité pour rupture de contrat.
25. Dans sa réponse à la demande du joueur, le défendeur a souligné que la CRL du Pays D avait prononcé la résiliation du contrat sur la base de l'art. 8 du dudit contrat de travail.
26. En outre, le défendeur a souligné que, conformément aux deux décisions de la CRL du Pays D, le demandeur s’est vu attribuer le paiement d'arriérés de rémunération ainsi que des dommages et intérêts. Le défendeur a déclaré avoir payé au joueur la somme de 2 500 000 en deux versements, le premier en date du 23 mars 2017 liée à la décision de la CRL du Pays D du 29 février 2017 et le second le 18 octobre 2017 dans le cadre de la décision de la CRL du Pays D du 29 mars 2017.
27. Enfin, le défendeur a souligné que le demandeur a signé un nouveau contrat de travail avec le Club du Pays D, Club E, valable à compter de la saison sportive 2017/2018.
28. Sur demande, le joueur a informé la FIFA qu'il n'avait pas signé de nouveau contrat de travail, mais a précisé qu'à partir du 1er août 2017 et jusqu'au 30 avril 2018, il jouait pour le club, Club E, en tant qu'amateur en Pays D.
II. Considérants de la Chambre de Résolution des Litiges
1. En premier lieu, la Chambre de Résolution des Litiges (ci-après : Chambre ou CRL) a analysé si sa compétence à traiter le présent litige était acquise. À cet égard, la Chambre a pris note que la présente demande a été soumise à la FIFA le 4 juillet 2017. Par conséquent, la Chambre a conclu que l’édition 2017 du Règlement de la Commission du Statut du Joueur et de la Chambre de Résolution des Litiges (ci-après: Règles de procédure) était applicable au présent litige (cf. art. 21 des Règles de procédure).
2. Par la suite, la Chambre s’est référée à l’art. 3 al. 1 des Règles de procédure et a confirmé qu’en application de l’art. 24 al. 1 et al. 2 et de l’art. 22 let. b) du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (édition 2018 ; ci-après: Règlement), elle serait, en principe, l’organe décisionnel compétent pour connaître d’un litige contractuel relatif au travail de dimension internationale entre un Joueur du Pays B et un Club du Pays D.
3. À cet égard, la Chambre a tenu à souligner que, contrairement aux informations contenues dans la lettre de la FIFA datée du 27 septembre 2018, par laquelle les parties ont été informées de la composition de la Chambre, les membres Philippe Diallo et Alexandra Gómez se sont abstenus de participer aux présentes délibérations, en raison du fait que le membre Philippe Diallo a la même nationalité que le demandeur et que, pour se conformer à la condition de représentation égale des représentants des clubs et des joueurs, la membre Alexandra Gómez s'est également abstenue de participer.
4. Ensuite, compte tenu des circonstances spécifiques dans cette affaire, la Chambre a procédé à une analyse des arguments avancés et des documents versés au dossier par les parties afin de déterminer si sa compétence à juger cette affaire quant au fond était donnée.
5. En effet, la Chambre a pris note du fait que le demandeur avait déposé, le 2 février 2017, une plainte à l’encontre du défendeur devant la CRL du Pays D, réclamant le paiement des arriérés de salaire pour les mois de novembre 2016 à janvier 2017 ainsi qu’un montant à titre de dommages et intérêts causés par le retard du défendeur dans l’exécution de ses obligations contractuelles.
6. La Chambre a également pris note de ce que, le 31 janvier 2017, le défendeur avait déposé une requête contre le demandeur devant la CRL du Pays D demandant la résiliation du contrat ainsi qu’une compensation et que cette dernière, ayant décidé de joindre les deux requêtes du demandeur et du défendeur, a prononcé la résiliation du contrat aux torts du défendeur par une décision en date du 29 février 2017 en accordant au demandeur le montant de 1 500 000 à titre d’arriérés de salaires ainsi que la somme de 1 000 000 à titre de
« réparation civile pour le préjudice subi ». Les membres de la Chambre ont pris note que, le 8 mars 2017, le demandeur a interjeté appel de cette décision de la CRL du Pays D devant le Tribunal arbitral du sport du Pays D et que ce dernier, selon le joueur, a rejeté sa demande le 10 avril 2017. Les membres de la Chambre ont relevé qu’aucune copie d’une telle décision du Tribunal arbitral du sport du Pays D n’a été versée au dossier.
7. Par ailleurs, la CRL a également pris en compte que le demandeur a déposé, en date du 14 mars 2017, une nouvelle réclamation devant la CRL du Pays D aux fins de réclamer le paiement de son salaire de février 2017 ainsi qu’une indemnité de rupture de contrat correspondante à ses salaires restant dus jusqu’au terme initial du contrat, à savoir le 31 mai 2018. Dans ce contexte, la Chambre a relevé que, dans sa décision du 29 mars 2017, la CRL du Pays D a accordé au demandeur son salaire de février 2017 et a rejeté sa demande d’indemnisation estimant que cette dernière avait déjà été décidée dans sa décision antérieure du 29 février 2017.
8. Subséquemment, le demandeur a déposé sa demande à l’encontre du défendeur devant la FIFA.
9. Au vu de ces éléments, la Chambre a relevé que, à deux reprises, le demandeur a déposé une plainte à l’encontre du défendeur devant la CRL du Pays D, la première demande étant relative notamment au paiement des arriérés de salaire et la deuxième demande étant relative au paiement d’un salaire mensuel supplémentaire ainsi que d’une indemnité pour rupture de contrat. De plus, la CRL du Pays D a rendu une décision formelle dans chacune de ces affaires et les décisions de la CRL du Pays D sont devenues définitives.
10. A ce stade, la Chambre a rappelé le contenu de l’art. 22 du Règlement qui prévoit que « Sans préjudice du droit de tout joueur ou club à demander réparation devant un tribunal civil pour des litiges relatifs au travail, la compétence de la FIFA s’étend : … b) aux litiges de dimension internationale entre un club et un joueur relatifs au travail ; les parties susmentionnées peuvent cependant opter, de manière explicite et par écrit, pour que de tels litiges soient tranchés par un tribunal arbitral indépendant établi au niveau national dans le cadre de l’association et/ou d’une convention collective ; toute clause d’arbitrage doit être incluse directement dans le contrat ou dans un convention collective applicable aux parties. Le tribunal arbitral national indépendant doit garantir une procédure équitable et respecter le principe de représentation paritaire des joueurs et des clubs ; … »
11. De plus, la Chambre a souhaité rappeler les termes de l’article 8 du contrat, qui stipule que « les litiges ou les contestations pouvant survenir à l’occasion de l’exécution du présent contrat seront résolus à l’amiable entre les deux parties.
A défaut, le différend est soumis par l’une ou l’autre partie à la chambre des résolutions des litiges auprès de la Fédération de Football du Pays D ».
12. Selon le demandeur, la CRL du Pays D ne se conformerait pas aux exigences de la FIFA concernant la mise en place d'une chambre nationale de règlement des litiges, puisqu’elle ne prévoirait pas une représentation paritaire des clubs et des joueurs, ni une possibilité de voie de recours.
13. La Chambre a considéré que malgré son allégation que la CRL du Pays D ne respecterait pas les critères définis par la FIFA, le joueur a fait le choix de s’adresser à la CRL du Pays D à deux reprises dans le contexte du litige contractuel l’opposant au défendeur. De ce fait, les membres de la Chambre ont estimé qu’en déposant ces deux requêtes devant la CRL du Pays D, le demandeur avait explicitement reconnu la compétence de cette dernière. De plus, la Chambre a souhaité souligner que le demandeur ne s’est adressé à la FIFA qu’après avoir obtenu deux décisions au niveau national, qui, même si en faveur du demandeur, n’ont pas été complètement conformes à ses demandes.
14. Au vu de ce qui précède, la Chambre a tout d’abord tenu à rappeler que, compte tenu du principe général de res iudicata, un organe décisionnaire ne serait pas en position de se prononcer sur une affaire dont le fond aurait été précédemment tranché par une autre juridiction et dans laquelle une décision définitive aurait déjà été prononcée. En effet, une décision finale et contraignante, antérieurement prononcée, lie les parties au litige ainsi que l’organe décisionnaire, c’est-à-dire qu’il serait interdit de tenir un nouveau procès exactement identique au précédent, opposant les mêmes parties, portant sur le même objet et ayant la même cause, suivant ainsi le principe de la triple identité.
15. En ce qui concerne l’identité des parties, la Chambre a remarqué que les litiges portés devant la CRL du Pays D ainsi que devant la FIFA opposent les mêmes parties, c’est-à-dire d’un côté, le Joueur du Pays B, Joueur A, en tant que demandeur, et de l’autre côté, le Club du Pays D, Club C, en tant que défendeur. Au vu de ce qui précède, la CRL a conclu que l’identité des parties est donnée dans la présente affaire.
16. Ensuite, la Chambre s’est intéressée à l’analyse de l’identité d’objet, c’est-à-dire ce que réclament les parties, en particulier le demandeur, à l’organe décisionnaire. À cet égard, la CRL a observé que le joueur avait demandé devant la CRL du Pays D le paiement de ses arriérés de salaire pour les mois de novembre 2016 jusqu’à février 2017 ainsi qu’une indemnité pour rupture de contrat correspondante aux 15 salaires mensuels nets restant dus jusqu’au 31 mai 2018, terme initial du contrat. De la même manière, les membres de la Chambre ont pris note de ce que le demandeur a réclamé devant la FIFA le paiement d’arriérés de rémunération pour les mois de novembre 2016 à février 2017 ainsi qu’une indemnité pour rupture du contrat sans juste cause correspondante à ses salaires restant dus jusqu’au terme initial du contrat, à savoir le 31 mai 2018.
17. Ainsi, la Chambre en a déduit que les deux affaires susmentionnées avaient des objets identiques, dès lors que le paiement des arriérés de salaires et de l’indemnité de rupture avait été requis tant devant la CRL du Pays D que devant la FIFA.
18. En dernier lieu, la Chambre s’est concentrée sur l’analyse de l’identité de cause entre les deux affaires susmentionnées, constituée par les faits et actes juridiquement invoqués afin d’établir le droit par lequel se traduit juridiquement la prétention soumise au juge ou, autrement dit, les éléments générateurs du droit en question. Tenant compte de cela, la Chambre a observé que, tant devant la CRL du Pays D que devant la FIFA, le joueur fondait sa prétention juridique sur le non-respect par le club de ses obligations contractuelles relatives au paiement des salaires de novembre 2016 à février 2017. Ainsi, la CRL a estimé que l’identité de cause identique se configure pleinement dans le cas présent.
19. Au vu des considérants précédents, la Chambre a conclu à l’autorité de la chose jugée en ce qui concerne le prétendu non-paiement des salaires du joueur de novembre 2016 à février 2017 ainsi que la demande d’indemnité de rupture de contrat, eu égard aux décisions prises par la CRL du Pays D le 29 février 2017 et le 29 mars 2017.
20. D’autre part, la Chambre a jugé utile de souligner que, parallèlement à la question de l’autorité de la chose jugée, quelques considérations sur la notion de « forum shopping » étaient également nécessaires. À cet égard, les membres de la Chambre ont tout d'abord évoqué le principe de cohérence de procédure, selon lequel un organe décisionnel est censé statuer sur tous les points controversés établis au cours de la procédure.
21. Cela étant dit, la Chambre a noté que, suite à la requête déposée par le défendeur, la CRL du Pays D avait prononcé la résiliation du contrat par sa décision en date du 29 février 2017 alors que le demandeur avait réclamé ses arriérés de salaires ainsi que des dommages et intérêts au titre du préjudice subi pour non-respect du contrat par le défendeur. Les membres de la Chambre ont également souligné que le demandeur, suite à la première décision de la CRL du Pays D ayant prononcé la résiliation, avait déposé une nouvelle demande devant cette même Chambre du Pays D aux fins d’obtenir une indemnité pour rupture de contrat.
22. A cet égard, les membres de la Chambre ont estimé qu'il appartenait ainsi à la dite CRL du Pays D de se prononcer sur tous les points controversés établis dans les requêtes de chaque partie, à savoir la résiliation anticipée du contrat ainsi que les conséquences de cette résiliation. La Chambre a en outre souligné que, par sa première décision du 29 février 2017, la CRL du Pays D avait bien statué sur les conséquences d'un telle rupture en accordant au joueur la somme de 1 000 000, et que par sa deuxième décision datée du 29 mars 2017, cette dernière a précisé avoir déjà statué sur l’indemnité de rupture.
23. Dans ce contexte, les membres de la Chambre ont mis l'accent sur la situation qui découlerait d’un système dans lequel la CRL n’aurait d’autre rôle, comme le laisserait penser l'argument du demandeur, que de décider sur les conséquences d'un certain fait juridique sans avoir la possibilité de statuer sur les causes spécifiques dont découlent ces conséquences. Il a semblé aux membres de la Chambre que, dans une telle situation, les mêmes circonstances factuelles pourraient aboutir à des décisions différentes devant la CRL, uniquement en fonction du degré auquel certaines conditions doivent être remplies au niveau national pour obtenir une décision donnée (par exemple, comme dans le cas d'espèce, sur une rupture de contrat sans juste cause). La Chambre a noté qu’un tel système remettrait en cause la cohérence de la jurisprudence de la CRL.
24. Par conséquent, la Chambre ne pouvait souscrire à l'argument du demandeur selon lequel la CRL devait se prononcer uniquement sur les conséquences de la résiliation du contrat sans avoir préalablement analysé et statué sur les faits mêmes qui ont vraisemblablement conduit à cette rupture.
25. Dans de telles circonstances, la Chambre a jugé important de souligner que la démarche du demandeur devant la FIFA pouvait s’analyser en une volonté de faire entendre sa cause par un autre organe décisionnel dans un but apparent d'obtenir le jugement le plus favorable, notamment en ce qui concerne le dédommagement pour la rupture du contrat sans juste cause, et que cette pratique appelée « forum shopping », ne pouvait être confirmée par la Chambre.
26. D’autre part, la CRL a souhaité préciser que pour toutes les raisons évoquées ci-avant, il n’était pas nécessaire d’analyser si la CRL du Pays D remplissait les conditions énoncées à l'art. 22 b) du Règlement et dans la circulaire de la FIFA no. 1010 relatives aux standards minimums de procédure applicables aux tribunaux arbitraux indépendants.
27. Enfin, la Chambre a souligné qu’elle n’était pas une instance d’appel auprès de laquelle un cas qui a déjà été traité par une autre instance au fond, comme dans le cas présent, pouvait être soumis pour réévaluation.
28. Au vu de tout ce qui précède, la Chambre a conclu que la demande du demandeur n’est pas recevable.
III. Décision de la Chambre de Résolution des Litiges
La demande du demandeur, Joueur A, n’est pas recevable.
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Note concernant la décision motivée (Voie de droit) :
Conformément à l’article 58 alinéa 1 des Statuts de la FIFA, cette décision est susceptible d’un appel au Tribunal Arbitral du Sport (TAS). L’appel devra être interjeté dans un délai de 21 jours à compter de la notification de la décision et devra comprendre tous les éléments figurant au point 2 des directives émanant du TAS, dont copie est jointe à la présente. L’appelant dispose de 10 jours supplémentaires à compter de l’expiration du délai de recours pour déposer son mémoire d’appel contenant une description des faits et des arguments légaux fondant le recours (cf. point 4 des directives annexées).
L'adresse complète du Tribunal Arbitral du Sport est la suivante :
Avenue de Beaumont 2, 1012 Lausanne, Suisse
Tél : +41 21 613 50 00
e-mail : info@tas-cas.org
Au nom de la
Chambre de Résolution des Litiges :
Emilio García Silvero
Directeur Juridique
Annexe : Directives du TAS