F.I.F.A. – Dispute Resolution Chamber / Camera di Risoluzione delle Controversie – labour disputes / controversie di lavoro (2019-2020) – fifa.com – atto non ufficiale – Decision 10 février 2020
Décision
du juge de la
Chambre de Résolution des Litiges
(
rendue le 10 février 2020 à Zurich,
par
Daan de Jong (Pays-Bas),
concernant une plainte déposée par le joueur
Issaka Abudu, Ghana
représenté par M. Ali Abbes
ci-après, « le demandeur »
à l’encontre du club
Stade Gabésien, Tunisie
ci-après, « le défendeur »
concernant un litige contractuel entre les parties
I. Faits
1. Le joueur ghanéen, Issaka Abudu (ci-après : le demandeur ou le joueur) et le club tunisien Stade Gabésien (ci-après : le défendeur ou le club) (ci-après conjointement : les parties) ont conclu un contrat de travail, valable du 15 juillet 2017 au 30 juin 2019 (ci-après : le contrat).
2. En vertu de l’art. 3 du contrat, le demandeur était en droit de recevoir, pour la saison 2017/2018, un salaire mensuel de 4,500 Dinar Tunisien (DT), ainsi qu’une « prime de rendement » d’un montant de DT 70,000, dont DT 35,000 payable à la signature du contrat. Pour la saison 2018/2019, le club s’était engagé à verser au joueur un salaire mensuel de DT 5,000 et une prime de rendement de DT 80,000, dont DT 40,000 payable lors de la signature.
3. En date du 9 juillet 2019, le demandeur a mis le défendeur en défaut de payer le montant total de DT 147,000 dans un délai de 10 jours.
4. Le 29 juillet 2019, le demandeur a porté plainte contre le défendeur devant la FIFA pour arriérés de paiements, réclamant le montant total de DT 147,000, se décomposant comme suit :
DT 47,000 correspondant aux salaires de janvier à juin 2018 et de mars à juin 2019 ;
DT 100,000 correspondant à « la deuxième tranche de la prime forfaitaire de la saison 2017/2018 » (DT 35,000) et à « la deuxième tranche de la prime forfaitaire de la saison 2018/2019 » (DT 65,000).
5. Le demandeur a par ailleurs demandé des intérêts à hauteur de 5% par année sur le paiement des arriérés de rémunération, applicable à partir des différentes échéances de paiement respectives. Enfin, le demandeur a réclamé l’imposition de sanctions sportives à l’encontre du défendeur.
6. Dans sa plainte, le demandeur a soutenu que le défendeur a manqué à ses obligations financières en ne lui payant pas le montant total de DT 147,000, et ce malgré la mise en demeure adressée au défendeur en date du 9 juillet 2019.
7. Dans sa réponse à la plainte, le défendeur a estimé, pour sa part, que des paiements avaient été effectués en faveur du demandeur. Ainsi, le défendeur a affirmé que le demandeur avait reçu tous les paiements dus pour la saison 2017/2018. A cet effet, le défendeur a soumis un accusé de réception prétendument signé par le demandeur.
8. Par ailleurs, le défendeur s’est référé à la Règlementation du Football Professionnel Tunisien, et plus particulièrement à son art. 95 qui dispose que toute requête doit être déposée dans un délai maximum de 6 mois suivant la saison pendant laquelle le fait a eu lieu, sous peine d’irrecevabilité. Dans ce contexte, le défendeur a fait valoir que dans tous les cas, les montants relatifs à la saison 2017/2018 ne pourraient plus être réclamés par le demandeur.
9. En outre, le défendeur a affirmé que, pour la saison 2018-2019, le salaire du mois de mars 2019 avait été payé, ainsi qu’un montant de DT 4,000 en tant qu’avance de salaire pour le mois d’avril 2019. Le défendeur a soumis un accusé de réception prétendument signé par le demandeur.
10. Le défendeur a également fait valoir qu’une déduction automatique de 5% a dû être opérée sur les salaires du joueur en vertu de l’art. 57 de la Règlementation du Football Professionnel Tunisien. Ainsi, le défendeur a considéré que le demandeur était en droit de recevoir la somme de DT 5,525 en tant qu’arriérés de rémunération pour la saison 2018/2019.
11. Enfin, s’agissant de la prime de rendement, le défendeur a expliqué que celle-ci devait être calculée en fonction du nombre de matchs joués par le club et le nombre de matchs joués par le joueur. Sur cette base, le défendeur a estimé que le demandeur aurait droit à un montant de DT 15,000 comme prime de rendement.
12. Au vu de ce qui précède, le défendeur a rejeté la requête du demandeur et a conclu que ce dernier était en droit de recevoir un montant total de DT 38,333.
13. Dans sa réplique, le demandeur a contesté avoir reçu quelconque paiement de la part du défendeur et a nié avoir signé les accusés de réception relatifs aux paiements, tels que présentés par le défendeur.
14. Par ailleurs, le demandeur a considéré que le paiement de la prime de rendement, telle que prévu dans le contrat, n’était pas conditionnel aux nombres de matchs joués. Ainsi, le paiement de la prime de rendement était dû dans sa totalité.
15. Pour le surplus, le demandeur a réitéré ses arguments, tels que présentés dans sa requête.
16. En dépit de la demande effectuée par la FIFA, le défendeur n’a pas soumis les originaux des accusés de réception prétendument signés par le demandeur. Par ailleurs, le défendeur n’a pas soumis de duplique en réponse à la réplique du demandeur.
II. Considérants du juge de la Chambre de Résolution des Litiges
1. En premier lieu, le juge de la Chambre de Résolution des Litiges (ci-après : le juge ou le juge de la CRL) a analysé s’il était compétent pour traiter le présent litige. A cet égard, il a pris note que la présente demande a été soumise à la FIFA le 29 juillet 2019. Par conséquent, le juge a conclu que l’édition 2018 du Règlement de la Commission du Statut du Joueur et de la Chambre de Résolution des Litiges (ci-après : les Règles de procédure) était applicable au présent litige (cf. art. 21 des Règles de procédure).
2. Par la suite, le juge s’est référé à l’art. 3 al. 1 des Règles de procédure et a confirmé qu’en application de l’art. 24 al. 1 et 2 et de l’art. 22 let. b) du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (édition 2020), il constitue l’organe décisionnel compétent pour connaître des litiges contractuels entre un joueur ghanéen et un club tunisien comportant une dimension internationale.
3. En outre, le juge a analysé quelle édition du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (ci-après : le Règlement) est applicable quant au droit matériel. A cet égard, le juge s’est référé, d’une part, à l’art. 26 al. 1 et 2 du Règlement (édition 2020) et, d’autre part, au fait que la plainte ait été déposée auprès de la FIFA le 29 juillet 2019. Au vu de ce qui précède, le juge de la CRL a conclu que l’édition de juin 2019 du Règlement est applicable au présent litige quant au droit matériel.
4. Une fois sa compétence et la réglementation applicable établies, le juge a statué sur le fond du litige. Ce faisant, il a tout d’abord rappelé les faits mentionnés ci-dessus et étudié la documentation apportée au dossier. Toutefois, le juge a souligné que dans les considérants qui suivent, il ne se référera qu’aux faits, arguments et à la documentation pertinents pour l’analyse de la présente affaire.
5. Prenant en compte les considérations mentionnées précédemment, le juge a noté que les parties au litige ont signé un contrat de travail valable du 15 juillet 2017 au 30 juin 2019, en vertu duquel le demandeur était, inter alia, en droit de recevoir du défendeur un salaire mensuel de DT 4,500, ainsi qu’une prime de rendement de DT 70,000 pour la saison 2017/2018, et un salaire mensuel de DT 5,000 et une prime de rendement de DT 80,000 pour la saison 2018/2019.
6. Le juge a observé que le demandeur a mis le défendeur en défaut de paiement, pour le montant total de DT 147,000, en date du 9 juillet 2019. Par ailleurs, le juge a noté que le demandeur a porté plainte contre le défendeur, réclamant le même montant, correspondant aux salaires de janvier à juin 2018 et de mars à juin 2019, ainsi qu’à la deuxième tranche de la prime de rendement pour les saisons 2017/2018 et 2018/2019.
7. A ce stade, le juge a souhaité rappeler aux parties le principe de la charge de la preuve, tel qu’établi par l’art. 12 al. 3 des Règles de procédure, selon lequel la charge de la preuve incombe à la partie qui invoque un droit découlant d’un fait qu’elle allègue. En application de ce principe, le juge a tenu à préciser qu’en l’espèce, la charge de la preuve incombe au défendeur, à qui il appartient dès lors d’établir qu’il disposait d’une raison valable de nature à justifier le non-paiement des montants précités.
8. A cet égard, le juge a noté les arguments invoqués par le défendeur, en particulier le fait que la requête relative aux montants dus pour la saison 2017/2018 était irrecevable en vertu de la Règlementation du Football Professionnel Tunisien, et que nonobstant, lesdits montants avaient été versés au demandeur. Par ailleurs, le juge a observé la position du défendeur selon laquelle des déductions automatiques de 5% avaient été effectuées sur les salaires versés au demandeur en vertu de la Règlementation du Football Professionnel Tunisien, et que le montant à payer au titre de la prime de rendement devait être calculé selon le nombre de matchs joués par le club et le joueur. Dès lors, le juge a pris note de la conclusion du défendeur, selon laquelle la requête du demandeur devrait se limiter à DT 38,333.
9. Ayant établi ce qui précède, le juge a tout d’abord considéré que le défendeur ne pouvait valablement se prévaloir de la Règlementation du Football Professionnel Tunisien, pour justifier des absences de paiement ou des déductions opérées sur les salaires. En effet, le juge a noté que le contrat ne comporte aucune référence à la Règlementation du Football Professionnel Tunisien, cette dernière ne pouvant dès lors pas être applicable et contraignante à la relation contractuelle.
10. Ainsi, le juge a considéré que le défendeur ne pouvait se fonder sur la Règlementation du Football Professionnel Tunisien pour justifier l’irrecevabilité de la requête du demandeur ou l’application de déduction sur son salaire.
11. En outre, le juge a tenu à souligner que le défendeur, malgré la demande qui lui avait été faite, n’a pas soumis les originaux des accusés de réception prétendument signés par le demandeur. Dans ce contexte, le juge a observé que le demandeur a nié avoir reçu quelconque paiement et a contesté avoir signé ces accusés de réception.
12. A cet égard, le juge a précisé que le fait de ne pas avoir reçu, à titre de preuves, les originaux des accusés de réception des paiements prétendument effectués en faveur du demandeur, laissait susciter des doutes quant à la véracité des propos du défendeur et à sa bonne foi.
13. Enfin, le juge a observé que le contrat dispose que la prime de rendement est un montant fixe de DT 70,000 pour la saison 2017/2018 et de DT 80,000 pour la saison 2018/2019. Dans ces circonstances, le juge a estimé que lesdits montants étaient fixes et que le montant à verser ne pouvait dès lors pas dépendre du nombre de matchs joués par le club et par le joueur.
14. Au vu de ce qui précède, le juge a considéré que le défendeur n’avait pas fourni de raisons valables pouvant justifier le non-paiement des salaires et de la prime de rendement en faveur du demandeur.
15. Ainsi, le juge de la CRL a considéré que le défendeur avait manqué à ses obligations financières. Dès lors et conformément au principe pacta sunt servanda, le juge a conclu que les salaires du demandeur pour les mois de janvier à juin 2018 et de mars à juin 2019, ainsi que la deuxième tranche de la prime de rendement de la saison 2017/2018 et la deuxième tranche de la prime de rendement pour la saison 2018/2019, étaient dus à titre d’arriérés de rémunération, soit un montant total de DT 147,000.
16. Compte tenu de la demande du demandeur, le juge a décidé que le défendeur devait verser au demandeur des intérêts de 5 % par année sur le montant de DT 147,000 à compter des différentes échéances jusqu'à la date effective de paiement.
17. En outre, le juge a fait référence à l'art. 24bis al. 1 et 2 du Règlement, qui stipule que, dans sa décision, l'organe de décision compétent de la FIFA statue également sur les conséquences découlant du défaut de paiement dans les délais impartis, par la partie concernée, des montants de la rémunération et/ou de l'indemnité due.
18. À cet égard, le juge a souligné que, à l'encontre des clubs, la conséquence du défaut de paiement des montants dus dans les délais impartis, consiste en l'interdiction de recruter des nouveaux joueurs, que ce soit au niveau national ou international, jusqu'au paiement des montants dus et pour la durée maximale de trois périodes d'enregistrement complètes et consécutives.
19. Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, le juge de la CRL a décidé que, dans le cas où le défendeur ne paie pas les montants dus au demandeur dans un délai de 45 jours à compter de la date de notification par le demandeur des informations bancaires permettant au défendeur de procéder au paiement, le défendeur se verra interdit de recruter des nouveaux joueurs, au niveau national ou international, jusqu’à ce que les sommes dues soient payées, et pour une durée maximale de trois périodes d’enregistrement entières et consécutives, conformément à l'art. 24bis al. 2 et 4 du Règlement.
20. Enfin, le juge a rappelé que l'interdiction susmentionnée sera levée immédiatement, dès le paiement du montant dû, conformément à l'art. 24bis al. 3 du Règlement.
III. Décision du juge de la Chambre de Résolution des Litiges
1. La demande du demandeur, Issaka Abudu, est acceptée.
2. Le défendeur, Stade Gabésien, doit payer au demandeur le montant arriéré de DT 147,000 plus intérêt à hauteur de 5% par année jusqu’à la date de paiement effectif comme suit :
a. 5% p.a. à compter du 1er février 2018 sur la somme de DT 4,500 ;
b. 5% p.a. à compter du 1er mars 2018 sur la somme de DT 4,500 ;
c. 5% p.a. à compter du 1er avril 2018 sur la somme de DT 4,500 ;
d. 5% p.a. à compter du 1er mai 2018 sur la somme de DT 4,500 ;
e. 5% p.a. à compter du 1er juin 2018 sur la somme de DT 4,500 ;
f. 5% p.a. à compter du 30 juin 2018 sur la somme de DT 35,000 ;
g. 5% p.a. à compter du 1er juillet 2018 sur la somme de DT 4,500 ;
h. 5% p.a. à compter du 1er avril 2019 sur la somme de DT 5,000 ;
i. 5% p.a. à compter du 1er mai 2019 sur la somme de DT 5,000 ;
j. 5% p.a. à compter du 1er juin 2019 sur la somme de DT 5,000 ;
k. 5% p.a. à compter du 30 juin 2019 sur la somme de DT 65,000 ; et
l. 5% p.a. à compter du 1er juillet 2019 sur la somme de EUR 5,000.
3. Le demandeur s’engage à communiquer immédiatement et directement au défendeur, de préférence à l’adresse e-mail indiquée dans la lettre de couverture de la présente décision, les informations bancaires pour permettre au défendeur de procéder au paiement mentionné au point 3 ci-dessus.
4. Le défendeur s’engage à fournir à la FIFA, la preuve de paiement du montant plus intérêt en accord avec le point 2 ci-dessus, à l’adresse e-mail psdfifa@fifa.org, dûment traduit, le cas échéant, dans l’une des langues officielles de la FIFA (anglais, espagnol, français et allemand).
5. Si le montant dû plus intérêt en accord avec le point 2 ci-dessus n’est pas payé par le défendeur dans un délai de 45 jours à compter de la date de notification par le demandeur des informations bancaires permettant au défendeur de procéder au paiement, le défendeur se verra interdit de recruter des nouveaux joueurs, au niveau national ou international, jusqu’à ce que la somme due soit payée, et pour une durée maximale de trois périodes d’enregistrement entières et consécutives (cf. art. 24bis du Règlement du Statuts et du Transfert des Joueurs).
6. L’interdiction mentionnée au point 5 ci-dessus sera levée dès que la somme totale due aura été payée.
7. Si la somme susmentionnée n’est toujours pas payée d’ici la fin de l’interdiction d’enregistrement pour les trois périodes d’enregistrement entières et consécutives, le cas sera soumis, sur demande, à la Commission de Discipline de la FIFA pour considération et décision.
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Note relative à la publication :
L'administration de la FIFA peut publier les décisions de la Commission du Statut du Joueur ou de la CRL. Lorsque ces décisions contiennent des informations confidentielles, la FIFA peut décider, à la demande d'une partie dans les cinq jours suivant la notification de la décision motivée, de publier une version anonymisée ou une version expurgée (cf. art. 20 du Règlement de la Commission du Statut du Joueur et de la Chambre de Résolution des Litiges).
Note concernant la procédure d’appel :
Conformément à l’article 58 alinéa 1 des Statuts de la FIFA, cette décision est susceptible d’un appel au Tribunal Arbitral du Sport (TAS). L’appel devra être interjeté dans un délai de 21 jours à compter de la notification de la décision et devra comprendre tous les éléments figurant au point 2 des directives émanant du TAS. L’appelant dispose de 10 jours supplémentaires à compter de l’expiration du délai de recours pour déposer son mémoire d’appel contenant une description des faits et des arguments légaux fondant le recours.
L'adresse complète du Tribunal Arbitral du Sport est la suivante :
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Au nom du juge de la CRL :
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Emilio García Silvero
Directeur Juridique et Conformité