TAS-CAS – Tribunal Arbitral du Sport/Tribunale Arbitrale dello Sport – Court of Arbitration for Sport/Corte Arbitrale dello Sport (2020-2021) – tas-cas.org – atto non ufficiale – TAS 2020/A/7444 Munir El Haddadi & FRMF v. FIFA & RFEFDate du dispositif de la sentence arbitrale : le 6 novembre 2020 Date de la décision motivée : le 18 janvier 2021

TAS 2020/A/7444 Munir El Haddadi & FRMF v. FIFA & RFEF
SENTENCE ARBITRALE
rendue par le
TRIBUNAL ARBITRAL DU SPORT
siégeant dans la composition suivante :
Président : Me Benoît Pasquier, avocat à Zurich, Suisse
Arbitres : M. Jacques Radoux, Référendaire à la Cour de Justice de l’Union européenne, Luxembourg
Me Patrick Lafranchi, avocat à Berne, Suisse
dans la procédure arbitrale d’appel opposant
1/ Munir El Haddadi, Espagne / Maroc
2/ Fédération Royale Marocaine de Football, Maroc
Représentés par Me Jorge Ibarrola et Me Monia Karmass, avocats à Lausanne, Suisse
- Appelants -
contre
Fédération Internationale de Football Association (FIFA), Suisse
Représentée par M. Miguel Liétard et M. Jaime Cambreleng, Département des Litiges
- Première Intimée -
et
Real Federación Española de Fútbol, Espagne
Représentée par Mme Leticia de Bergia Sada, Conseillère juridique
- Seconde Intimée -
I. LES PARTIES
1. M. Munir El Haddadi est un joueur professionnel de football de nationalités marocaine et espagnole, né le 1er septembre 1995, qui joue actuellement au FC Séville (ci-après, le «Joueur»).
2. La Fédération Royale Marocaine de Football (ci-après, la «FRMF») est l'instance dirigeante du football au Royaume du Maroc ; elle a son siège à Rabat au Maroc. La FRMF est membre de la Confédération Africaine de Football ainsi que de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). La FRMF et le Joueur sont conjointement désignés ci-après comme les «Appelants».
3. La Fédération Internationale de Football Association (ci-après, la «FIFA») est une association de droit suisse, ayant son siège à Zurich, Suisse. La FIFA est l’instance dirigeante du football mondial. Elle exerce notamment des fonctions de régulation et de surveillance sur les associations nationales, les clubs, les officiels et les joueurs, dans le monde entier.
4. La Real Federación Española de Fútbol (ci-après, la «RFEF») est l'instance dirigeante du football en Espagne ; elle a son siège à Madrid en Espagne. La RFEF est membre de l'Union des Associations Européennes de Football (ci-après, l’«UEFA») ainsi que de la FIFA. La FIFA et la RFEF sont conjointement désignées ci-après comme les «Intimées».
5. Les Appelants et les Intimées sont conjointement désignés ci-après comme «les parties».
II. LES FAITS A L’ORIGINE DU LITIGE
6. Cette partie de la sentence contient un bref rappel des faits principaux, établis sur la base des moyens et preuves que les parties ont présentés par écrit au cours de la présente procédure. Des éléments de faits supplémentaires peuvent être compris dans d’autres chapitres de la sentence, selon l’appréciation du Tribunal arbitral.
7. Le Joueur est en Espagne de parents de nationalité marocaine. Il bénéficie des nationalités marocaine et espagnole. Le joueur a effectué toute sa carrière jusqu’à présent dans des clubs espagnols, à savoir aux :
- CD. Galapagar (saison 2007/2008);
- D.A.V. Santa Ana (saisons 2008/2009 – 2009/2010) ;
- Rayo Majadahonda (saison 2010/2011) ;
- FC Barcelone (saison 2011/2012 jusqu’à janvier 2019) ;
- Valence CF (saison 2016/2017 en prêt) ;
- Deportivo Alavés (saison 2017/2018 en prêt) ;
- Séville FC (depuis Janvier 2019).
8. Depuis 2014, le Joueur a été sélectionné à maintes reprises pour jouer avec les équipes nationales U19 et U21 de la RFEF.
9. Le 8 septembre 2014, le Joueur a été sélectionné pour jouer avec l'équipe nationale A de la RFEF lors du match entre l'Espagne et la Macédoine. Ce match s’est déroulé dans le cadre d'une compétition officielle de l’UEFA valant qualification à l'EURO 2016. Le Joueur est entré en jeu à la 77ème minute de la rencontre. Depuis ce match, le Joueur n'a plus été sélectionné pour l'équipe nationale A de la RFEF, que ce soit en compétition officielle ou amicale. Par contre, il a été sélectionné 16 fois pour jouer des matchs avec l’équipe nationale des U21 de la RFEF. À l’occasion de trois de ces matchs, à savoir ceux du 1er septembre 2016, du 11 et du 15 novembre 2016, le Joueur avait déjà 21 ans révolus.
A. La première demande de changement d’association
10. Le 19 juillet 2017, suite à des pourparlers entre le Joueur et la FRMF, la FRMF a officiellement transmis à la FIFA une requête de changement d'association au nom et pour le compte du Joueur.
11. Le 10 août 2017, la FIFA a adressé un courrier à la FRMF, avec une copie à la RFEF, exposant qu'en raison du fait que le Joueur avait déjà joué en équipe nationale A de la RFEF, il apparaissait, en vertu des articles 5 et 8 du Règlement d'application des Statuts de la FIFA (ci-après, le« RASF ») en vigueur, que le Joueur n'était pas éligible pour jouer pour la FRMF.
12. Le 31 août 2017, le courrier susmentionné a fait l'objet d'un appel devant le Tribunal Arbitral du Sport (ci-après, le « TAS »). Cette déclaration d’appel a été enregistrée sous la référence TAS 2017/A/5303. Les Appelants ont finalement retiré leur appel le 25 septembre 2017 suite à la position de la FIFA et la procédure y relative a été clôturée.
13. Le 30 janvier 2018, le Joueur a soumis à la FIFA une nouvelle requête de changement d’association auprès de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA.
14. Le 13 mars 2018, le Bureau de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA a rejeté ladite requête du fait que le joueur avait déjà évolué avec l’équipe nationale A de la RFEF et qu’il n’était donc pas éligible pour jouer avec la FRMF.
15. Le 27 mars 2018, le Joueur et la FRMF ont déposé une déclaration appel auprès du TAS contre la décision rendu par le Bureau de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA du 13 mars 2018. Celle-ci a été enregistrée sous la référence TAS 2018/A/5634.
16. Le 14 mai 2018, le TAS dans l’affaire TAS 2018/A/5634 a décidé de rejeter l’appel du Joueur et de la FRMF, et a confirmé la décision rendue par le Bureau de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA selon laquelle le Joueur n’était pas éligible pour jouer pour la FRMF.
B. La seconde demande de changement d’association
17. Le 18 septembre 2020, le Congrès de la FIFA a accepté les changements proposés au RASF, notamment les règles applicables aux joueurs voulant changer d’association. Lesdits changements du RASF sont entrés en vigueur le jour-même, soit après la clôture du Congrès de la FIFA.
18. Le 21 septembre 2020, la FRMF a déposé une requête pour le compte du Joueur auprès de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA sur la base du nouveau RASF, en particulier l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF.
19. Le 23 septembre 2020, le Juge unique de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA (ci-après, le «Juge unique») a rejeté la requête de la FRMF et notifié le dispositif suivant : « La demande de la Fédération Royale Marocaine de Football relative au changement d’association du joueur, Munir El Haddadi, est rejetée ».
20. Le 5 octobre 2020, sur requête de la FRMF, le Juge unique a communiqué les motifs de sa décision. A l’appui de sa décision, le Juge unique a notamment fait mention des éléments suivants :
- La FRMF invoquait la dérogation prévue à l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF, selon laquelle une demande de changement d’association peut être accordée si le joueur :
i. a joué pour son association actuelle lors d’un match de compétition officielle au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit ;
ii. détenait la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter au moment où il a joué pour son association actuelle son premier match d’une compétition officielle (de quelque niveau que ce soit), dans quelque discipline de football que ce soit ;
iii. n’avait pas encore 21 ans au moment où il a joué pour son association actuelle son dernier match de compétition officielle, dans quelque discipline de football que ce soit ;
iv. n’a pas joué plus de trois fois au niveau international « A » pour son association actuelle, dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition officielle ou non officielle ;
v. trois années au moins se sont écoulées depuis la dernière fois où il a joué pour son association actuelle au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition officielle ou non officielle ; et
vi. n’a jamais participé à un match au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition finale d’une Coupe du Monde de la FIFA ou d’une compétition organisée par une confédération.
- Cette disposition contient une énumération claire et explicite des conditions objectives et obligatoires qui doivent être nécessairement remplies par un joueur souhaitant exercer son droit de changer d’équipe représentative.
- Ces conditions sont cumulatives et une demande de changement d’association ne sera accordée que dans l’hypothèse où l’ensemble des conditions prévues à l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF sont remplies.
- Le Joueur a joué pour la RFEF lors d’un match de compétition officielle au niveau international « A », à savoir un match de qualification à l’Euro 2016;
- Lors de son premier match en compétition officielle avec la RFEF, le Joueur détenait déjà la nationalité marocaine ;
- Le Joueur n’a disputé qu’une seule rencontre avec l’équipe nationale « A » de la RFEF et que plus de 3 ans se sont écoulés entre ce match et la date de la présente demande de la FRMF;
- Le Joueur n’a jamais participé à un match de phase finale de la Coupe du Monde de la FIFA ou d’une compétition organisée par une confédération avec l’équipe nationale « A » de la RFEF.
- Concernant les critères relatifs à la dernière condition prévue au point iii) de ladite exception, selon laquelle le Joueur n’avait pas encore 21 ans au moment où il a joué pour son association actuelle (en l’occurrence, la RFEF) son dernier match de compétition officielle, dans quelque discipline de football que ce soit et ce, quel que soit la catégorie dans laquelle ce match a été disputé, le Juge unique a rappelé que cette condition n’était pas limitée aux matchs officiels disputés par le Joueur avec l’équipe nationale « A » de la RFEF. En effet, il convient de prendre en compte le dernier match de compétition officielle disputé par celui-ci pour le compte de l’une des équipes représentatives de cette association (c’est à dire, y compris pour l’une des équipes nationales de jeunes).
- De même, le Juge unique a précisé d’une part que le Joueur a fêté ses 21 ans le 1er septembre 2016 et que d’autre part, selon la liste de matchs délivrée par la RFEF, le Joueur a pris part à au moins 3 rencontres de compétition officielle à compter de cette date, à savoir :
- Un match de qualification au Championnat d’Europe U21 entre l’Espagne et Saint Marin disputé le 1er septembre 2016 (i.e. jour des 21 ans du Joueur) ;
- Un match de qualification au Championnat d’Europe U21 entre l’Autriche et l’Espagne disputé le 11 novembre 2016 ; et
- Un match de qualification au Championnat d’Europe U21 entre l’Espagne et l’Autriche disputé le 15 novembre 2016.
- Par conséquent, le Joueur a disputé au moins trois matchs en compétition officielle en sélection U21 de la RFEF une fois ses 21 ans révolus et donc le Joueur ne remplit pas la dernière condition prévue au point iii) de l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF, selon laquelle le Joueur n’avait pas encore 21 ans au moment où il a joué pour son association actuelle (en l’occurrence, la RFEF) son dernier match de compétition officielle, dans quelque discipline de football que ce soit et ce, quel que soit la catégorie dans laquelle ce match a été disputé.
21. Compte tenu de ces éléments, le Juge unique a décidé de rejeter la demande de changement d’association déposée par la FRMF pour le compte du Joueur (ci-après, la « Décision attaquée »).
III. RESUME DE LA PROCEDURE DEVANT LE TAS
22. Le 13 octobre 2020, les Appelants ont déposé, une déclaration d’appel au Greffe du TAS, contre la FIFA et la RFEF concernant la Décision attaquée.
23. Dans leur déclaration d’appel, les Appelants ont sollicité que le présent litige soit soumis à la procédure accélérée conformément à l’article R52.3 du Code de l’arbitrage en matière de sport (ci-après, « le Code »)afin qu’une sentence soit rendue au plus tard le 6 novembre 2020, cela du fait que le prochain match de compétition officielle de l’équipe nationale « A » de la FRMF, soit un match d’élimination de la Coupe d’Afrique des nations 2021 contre le Burundi, aurait lieu le 9 Novembre 2020 [sic !]. A cette fin, les Appelants ont soumis une proposition de calendrier de procedure accelerée.
24. De plus, les Appelants ont sollicité que la procédure se déroule en français mais ont précisé que chacune des parties pourrait plaider et produire ses écritures et moyens de preuves respectifs en français ou anglais, sans nécessité de traduction.
25. Par courrier du 14 octobre 2020, le Greffe du TAS a notifié aux Intimées la déclaration d’appel et sollicité qu’elles indiquent jusqu’au 15 octobre 2020, 12h (CEST) au plus tard, si elles s’opposaient à la procédure accélérée et au calendrier procedural soumis par les Appelants ainsi qu’à la langue de la procédure proposée par les Appelants.. Dans le même courrier, le Greffe du TAS a sollicité les Intimées à nommer conjointement un arbitre jusqu’au 19 octobre 2020.
26. Par courrier du 15 octobre 2020, les Intimées ont confirmé leur accord sur la procédure accélérée et sur le fait que la langue de la procédure soit le français mais que les parties pouvaient déposer leurs écritures et moyens de preuve en français ou anglais. De plus, les Intimées ont informé le Greffequ’ils nommaient conjointement Me Patrick Lafranchi, avocat à Berne, Suisse.
27. Par courrier du 16 octobre 2020, le Greffe du TAS a confirmé que la langue de correspondance du Greffe du TAS serait le français.
28. Par courrier du 20 octobre 2020, le Greffe du TAS a accusé réception du mémoire d’appel deposé le 19 octobre 2020 ainsi que des annexes. Une copie a été transmise aux Intimées et, sur la base du calendrier de procedure fixé d’entente entre les parties, un délai au 2 novembre 2020 leur a été imparti pour déposer leur réponse.
29. Par courrier du 21 octobre 2020, le Greffe du TAS a informé les parties de la désignation du Président de la formation arbitrale, soit Me Benoît Pasquier, et a demandé aux parties de se déterminer dans un délai de 3 jours, si besoin est, sur les remarques faites par Me Benoît Pasquier dans le formulaire de « Déclaration d’acceptation et d’indépendance » et de déposer une demande de récusation si besoin est.
30. Par courrier du 27 octobre 2020, le Greffe du TAS a noté qu’aucune objection n’a été soumise quant à la nomination de Me Benoît Pasquier en qualité de Président de la Formation arbitrale. Dans le même courrier, le Greffe du TAS, compte tenu de la disponibilité des parties, a fixé une audience 4 novembre 2020 à 9h30.
31. Par courrier du 2 novembre 2020, le Greffe du TAS a informé les parties que la Formation arbitrale constituée dans la présente procédure se composait comme suit :
Président : Me Benoît Pasquier, avocat à Thalwil, Suisse
Arbitres : M. Jacques Radoux, Référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne, Luxembourg
Me Patrick Lafranchi, avocat à Berne, Suisse
32. Par courrier du 3 novembre 2020, les Appelants, prenant note que la RFEF, dans ses écritures, ne s’opposait pas à la requête du Joueur de changer d’association et ne se sentait ni concernée ni affectée par ladite requête et que, par conséquent, la RFEF n’avait pas la qualité pour défendre dans la mesure où elle ne serait pas affectée par la sentence de la Formation arbitrale, ont informé le Greffe du TAS qu’ils retiraient la RFEF comme partie à la présente procédure. Par courrier du même jour, le Greffe du TAS a accusé réception dudit courrier et informé les parties que la question du retrait de l’appel à l’encontre de la RFEF serait traitée à titre préliminaire lors de l’audience du 4 novembre 2020. La RFEF s’est déterminée sur le courrier des Appelants le même jour et s’est opposée au retrait de l’appel à son encontre, demandant qu’une decision sur le fond, y compris sur la repartition des frais encorus par cette procedure, soit rendue de même que la répartition des frais encourus par cette procédure.
33. Le 4 novembre 2020, une audience s’est tenue par vidéo-conférence, en présence, en sus de la Formation arbtirale et de Me Giovanni Maria Fares, Conseiller auprès du TAS, des personnes suivantes :
− La FRMF, assistés par Me Jorge Ibarrola et Me Monia Karmass ;
− Première Intimée, représentée par M. Miguel Liétard et M. Jaime Cambreleng, Conseillers juridiques ;
− Seconde Intimée, représentée par Mme Leticia de Bergia Sada, Conseillère juridique.
34. Lors de l’ouverture de l’audience, les parties ont confirmé ne pas avoir d’objections quant à la composition de la Formation arbitrale. Au cours début de l’audience, les Appelants ont retiré leur demande de retrait de la RFEF comme partie à la présente procédure déposée le 3 novembre 2020.
35. A la fin de l’audience, après les plaidoiries finales, les parties ont confirmé que leurs droits procéduraux ainsi que leur droit d’être entendu avaient été respectés par la Formation arbitrale et ne pas avoir d’objections par rapport à la façon dont la procedure s’est déroulée.
36. Le 6 novembre 2020, le dispositif de la présente sentence arbitrale a été communiqué aux parties.
IV. RESUME DES ARGUMENTS DES PARTIES
37. Les arguments des parties, développés tant dans leurs écritures respectives qu’au cours de l’audience du 4 novembre 2020, ne sont repris ci-après que dans la mesure où les arguments ont une pertinence pour cette motivation. Partant, si seuls les arguments essentiels sont exposés ci-après, toutes les soumissions ont naturellement été prises en compte par la Formation arbitrale, y compris celles auxquelles il n’est pas fait expressément référence.
A. Les arguments developpes par les appellants
38. Dans leurs conclusions, les Appelants demandent au TAS :
«(…)
II. La décision rendue le 23 septembre 2020 par le juge unique de la Commission du Statut du Joueur dans la procédure REF.CAE 20-45 est annulée.
III. Le Joueur Munir El Haddadi est autorisé à jouer immédiatement pour l’équipe nationale représentative « A » de la Fédération Royale Marocaine de Football.
IV. Les frais de la présente procédure arbitrale sont intégralement et solidairement mis à la charge de la Fédération Internationale de Football Association.
V. La Fédération Internationale de Football Association versera à M. Munir El Haddadi et à la Fédération Royale Marocaine de Football une indemnité pour les dédommager de leurs frais d’avocats et autres frais encourus dans le cadre de la présente procédure d’arbitrage, indemnité dont le montant sera déterminé à la discrétion de la Formation arbitrale. »
39. Les arguments que les Appelants fournissent à l’appui de leur demande peuvent être résumés comme suit :
- A titre préliminaire, la RFEF a été attraite à cette procédure et sa participation est indispensable afin de lui offrir l’occasion de s’opposer, le cas échéant, au changement demandé par les Appelants et lui accorder la possibilité d’exercer ses droits dans la mesure où, en cas d’opposition de sa part, la sentence du TAS pourrait l’affecter directement. Sans sa participation, il y aurait un risque que la décision du TAS puisse porter préjudice à une entité qui ne serait pas partie à l’arbitrage et n’aurait pas eu la possibilité de défendre ses intérêts.
- Quant au fond, les Appelants estiment que la Décision attaquée résulte d’une interprétation erronée de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF. En effet, cette condition est la seule que le Juge unique a estimée non remplie par le Joueur. Sa teneur en est la suivante :
iii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son dernier match d’une compétition officielle, de quelque discipline que ce soit, il n’avait pas encore 21 ans.
- Selon les Appelants, cette condition se réfère nécessairement au dernier match joué en catégorie « A ». Le Joueur remplissant par conséquent cette condition puisqu’il n’avait que 19 ans lors du première et unique match qu’il a disputé avec l’équipe nationale « A » de la RFEF.
- A l’appui de leur argumentation, les Appelants se réfèrent à la jurisprudence du Tribunal Fédéral suisse, que le TAS a fait sienne, concernant l’interprétation des statuts et règlements d’associations telles que la FIFA qui doit se faire conformément aux méthodes d’interprétation des lois (TF 4A_462/2019 ainsi que CAS 2013/A/3365 & 3366), soit les méthodes d’interprétation littérale, interprétation systématique, interprétation téléologique et interprétation historique.
a) Interprétation littérale :
- Les Appelants estiment que le Juge unique a considéré de manière arbitraire que l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF s’applique quel que soit la catégorie dans laquelle le dernier match avait été joué. En effet, selon eux, la règle ne contient aucune indication de la catégorie de match visée et n’inclut précisément pas l’expression « quel que soit la catégorie dans laquelle ce match a été disputé » utilisée par le Juge unique. Telle que rédigée, la règle viserait tous les matchs de catégorie « A » pour toutes les disciplines de football, de sorte que le Joueur remplit cette condition et est donc éligible de jouer pour la FRMF.
b) Interprétation systématique
- Les Appelants soutiennent que la relation de la règle en question avec les autres conditions de l’article en question avec les autres exceptions prévues dans le RASF démontre que ladite règle concerne uniquement les matchs de catégorie « A ». L’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF s’applique aux joueurs ayant déjà joué en catégorie « A », contrairement aux autres cas de figure prévus par l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF. Dès lors, l’ensemble des conditions de cet article se réfèrent nécessairement, d’une manière ou d’une autre, aux matchs disputés dans cette catégorie comme suit:
i) a joué pour son association actuelle lors d’un match dans une compétition officielle au niveau international « A », de quelque discipline de football que ce soit;
ii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match d’une compétition officielle (de quelque niveau que ce soit), de quelque discipline de football que ce soit, il détenait la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter ;
iii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son dernier match d’une compétition officielle, de quelque discipline de football que ce soit, il n’avait pas encore 21 ans ;
iv) n’a pas joué plus de trois fois au niveau international « A » pour son association actuelle, dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition officielle ou non officielle ;
v) trois années au moins se sont écoulées depuis la dernière fois où il a joué pour son association actuelle au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition officielle ou non officielle ; et
vi) n’a jamais participé à un match au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition finale d’une Coupe du Monde de la FIFA ou d’une compétition organisée par une confédération.
- Selon les Appelants, la condition énumérée à la lettre c) iii) porte sur le même niveau que toutes les autres exigences du même article, soit la catégorie « A ». Rien ne justifie que la condition liée à l’âge soit liée à « toutes les catégories » alors même que l’ensemble de l’article 9 RASF est conçu pour règlementer le droit au changement d’association après une participation en catégorie « A ». Par ailleurs, lorsque le législateur du règlement a voulu soumettre certaines conditions à « quelque niveau que ce soit », alors il l’a systématiquement et expressément mentionné. Ainsi, au sein de l’exception de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF, applicable au cas d’espèce, le législateur a expressément indiqué que la condition s’appliquait à tous les niveaux :
ii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match d’une compétition officielle (de quelque niveau que ce soit), de quelque discipline de football que ce soit, il détenait la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter ;
- Les Appelants soutiennent que, si le législateur avait voulu que la condition de la lettre c) iii ) du RASF s’applique également à tous les matchs d’une compétition de quelque niveau que ce soit, tel que le soutient la Décision attaquée, il aurait procédé à la même précision. Le législateur a par ailleurs expressément indiqué que les exceptions des lettres a) i), b) i) et d) de l’article 9 concernaient toutes les catégories (mise en évidence et ajout du symbole « » par les Appelants pour indiquer que l’absence de mention « dans quelque catégorie que ce soit » ou « niveau international « A ») :
a) le joueur :
i) a joué pour son association actuelle lors d’un match d’une compétition officielle de quelque niveau que ce soit (à l’exception d’un niveau international « A ») et de quelque discipline que ce soit ;
ii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match d’une compétition officielle, « » de quelque discipline que ce soit, il détenait déjà la nationalité de l’association qu’il souhaitait représenter ;
b) le joueur :
i) a joué pour son association actuelle lors d’un match d’une compétition officielle de quelque niveau que ce soit (à l’exception du niveau international « A ») et de quelque discipline que ce soit ;
ii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match d’une compétition officielle, « » de quelque discipline de football que ce soit, il ne détenait pas encore la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter ;
iii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son dernier match d’une compétition officielle, « » de quelque discipline de football que ce soit, il n’avait pas encore 21 ans; et
iv) satisfait à l’une des exigences énoncées aux art. 6 ou 7.
d) le joueur :
i) souhaite représenter une association admise comme membre de la FIFA après avoir joué son premier match d’une compétition officielle (à quelque niveau que ce soit), de quelque discipline de football que ce soit, pour son association actuelle ;
ii) n’a jamais joué pour son association actuelle lors d’un match dans une compétition officielle, de quelque discipline de football que ce soit (à quelque niveau que ce soit), après que l’association qu’il souhaite représenter a été admise comme membre de la FIFA;
iii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match dans une compétition officielle (à quelque niveau que ce soit), de quelque discipline de football que ce soit :
a. il détenait la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter ; ou
b. il a obtenu la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter dès que raisonnablement possible après la reconnaissance du pays par la majorité des membres des Nations Unies;
iv) satisfait l’une des exigences énoncées aux art. 6 ou 7.
- Les Appelants estiment que, si la FIFA avait vraiment voulu soumettre la condition de la lettre c) iii) à « quelque niveau que ce soit », elle l’aurait fait en incluant cette expression dans la norme. En effet, les exceptions des lettres a) et b), au contraire des exceptions des lettres c) et d), visent des situations où les joueurs n’ont participé à aucun match de catégorie « A », tel que le mentionnent les premières conditions aux lettres i). Dès lors, selon eux, il aurait été inutile et superfétatoire de préciser dans les conditions suivantes qu’elles s’appliquent « à quelque niveau que ce soit », puisqu’elles ne peuvent par définition pas s’appliquer aux matchs de catégorie « A ». A l’inverse, l’exception de l’article 9 alinéa 2 lettre d) du RASF, qui est applicable aux joueurs ayant éventuellement déjà joué en catégorie « A » avant de demander de changer d’association, précise explicitement que toutes les conditions qui suivent sont applicables à «quelque niveau que ce soit», justement pour éviter toute ambiguïté. Selon les Appelants, cela démontre que lorsque la FIFA a souhaité soumettre l’octroi d’une exception à la condition de ne pas avoir joué à « quelque niveau que ce soit », elle l’a mentionné expressément.
c) Interprétation téléologique
- Les Appelants se réfèrent à la circulaire de la FIFA n° 1732 du 23 septembre 2020 selon laquelle la Secrétaire générale de la FIFA a expressément indiqué aux membres de la FIFA quels principes avaient guidé les modifications du Règlement d’application des Statuts de la FIFA 2020 adoptés par le Congrès de la FIFA le 18 septembre 2020. Ces principes sont les suivants:
The new Regulations are anchored on the following key principles:
(i) "no nationality, no eligibility": the eligibility of players to play for a specific member association must be based on objective measurements (i.e. their national citizenship);
(ii) equal treatment of all member associations;
(iii) the existence of a genuine link between the player and the member association they (intend to) represent;
(iv) avoidance of cases of excessive severity or hardship;
(v) prevention of abuse (e.g. of so-called "nationality shopping"); and
(vi) the protection of the sporting integrity of international competitions.
Traduction libre
Le nouveau Règlement est ancré sur les principes clés suivants :
(i) "pas de nationalité, pas d'éligibilité" : l'éligibilité des joueurs à jouer pour une association membre spécifique doit être basée sur des mesures objectives (c'est-à-dire leur citoyenneté nationale) ;
(ii) l'égalité de traitement de toutes les associations membres ;
(iii) l'existence d'un lien réel entre le joueur et l'association membre qu'il (elle) entend représenter ;
(iv) l’empêchement de la survenance de cas de gravité ou de difficultés excessives ;
(v) la prévention des abus (par exemple, le "shopping de nationalité") ; et
(vi) la protection de l'intégrité sportive des compétitions internationales.
- Les Appelants soutiennent que les amendements au RASF introduisent deux nouvelles conditions ayant pour but d’assurer la protection de l’intégrité sportive en cas de changement d’association par un joueur ayant déjà disputé des matchs avec une équipe « A » d’une autre association :
• le délai d’attente de trois ans depuis le dernier match joué avec une équipe « A » (lettre v)), condition d’ailleurs suggérée dans la sentence arbitrale rendue dans la première procédure arbitrale ayant opposé l’Appelant à la FIFA.
• l’absence de participation au niveau international « A » à une compétition finale d’une Coupe de Monde de la FIFA ou d’une compétition organisée par une confédération.
- Ces nouvelles exigences, selon les Appelants, permettent d’assurer l’intégrité sportive des compétitions internationales. En revanche, l’interprétation faite par le Juge unique de la condition de la lettre c) iii), soit le fait que le joueur doive prétendument ne pas avoir encore atteint l’âge de 21 ans lors de son dernier match de compétition officielle de quelque niveau que ce soit, ne correspond pas au but poursuivi par les amendements au RASF. En effet, les Appelants soutiennent que le fait pour un joueur ayant déjà joué en équipe « A » de jouer ensuite dans d’autres catégories inférieures, telles que les U19 ou U21, après avoir atteint l’âge de 21 ans, puis de changer d’association, ne mettrait pas en danger l’intégrité sportive des compétitions internationales. De même, selon les Appelants, la FIFA ne connaît pas de compétition des U21 et, par conséquent, le but de la restriction de l’âge n’est pas fondée.
- Les Appelants soutiennent que l’interprétation que le Juge unique a donné à l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) introduirait une nouvelle restriction liée à l’âge qui n’existait tout simplement pas sous l’ancienne réglementation. Celle-ci n’interdisait le changement d’association qu’en cas de participation en équipe nationale « A ». Jouer dans une catégorie inférieure telle que U19 ou U21, quel que soit l’âge du joueur au moment de son dernier match avec une association, n’empêcherait pas ce dernier de changer d’association, s’il remplissait par ailleurs toutes les exigences en matière de nationalité.
d) Interprétation historique
- Les Appelants soutiennent que le processus législatif ayant mené à l’adoption du nouveau règlement démontre que le but du législateur était d’introduire de la souplesse dans le nouveau RASF. Son objectif était d’éviter que des situations injustement complexes, comme celles étant déjà survenues par le passé, ne surgissent à nouveau. Les Appelants se réfèrent aussi aux déclarations du Président de la FIFA faites lors du 70ème Congrès de la FIFA. Sous l’ancien régime, les joueurs binationaux perdaient irrémédiablement le droit de changer d’association dès le moment où ils jouaient un match international « A » pour l’association dont ils relevaient au moment de la demande de changement d’association. Selon les Appelants, cela a donné lieu à des situations contradictoires et injustes, dont celle dans laquelle le Joueur se trouve actuellement, c’est-à-dire qu’il est empêché de jouer pour la FRMF alors qu’il n’a disputé que 13 minutes d’un match de qualification pour l’équipe nationale « A » d’Espagne alors qu’il n’avait que 19 ans.
- Les Appelants soutiennent que plusieurs fédérations nationales de football, dont la FRMF, avaient formellement requis de la FIFA qu’elle procède à une modification de son RASF de manière à assouplir le système en vigueur et que sur cette base, la Commission des acteurs de la FIFA a proposé des modifications au RASF au Conseil de la FIFA. Celui-ci les aurait ensuite validées afin qu’elles soient soumises à l’approbation du prochain Congrès de la FIFA.
- Selon les Appelants, lors du Congrès de la FIFA, le 18 septembre 2020, les modifications au RASF ont été présentées à l’assemblée par le biais d’une diapositive relative à l’article 9 alinéa 2 lettre c). Selon les Appelants, ladite diapositive (rédigée en anglais) démontre clairement que la condition principale est que les matchs disputés, au maximum de 3, soient de catégorie « A ». Toutes les conditions supplémentaires ont été présentées comme « s’ajoutant » à celle-ci, pour la définir. Ainsi, le terme « and » est utilisé s’agissant de l’âge de 21 ans au dernier match et laisse ainsi entendre qu’il est en lien direct avec les matchs disputés en catégorie « A ».
- Les Appelants soutiennent que l’interprétation de ladite règle retenue par le Juge unique viole le principe de la confiance et ils se réfèrent à la jurisprudence relative aux règles de la bonne foi ou venire contra proper factum ou encore estoppel (TAS 2010/A/2056 et CAS 2015/A/4195). En effet, durant toute la procédure de modification du règlement, la FIFA aurait donné l’apparence aux destinataires de la nouvelle règle qu’elle entendait uniquement assouplir son règlement. Or, après son vote par le Congrès, le Juge unique de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA l’aurait appliquée de manière erronée, contrairement au but, à l’esprit et à l’historique de la nouvelle norme. Selon les Appelants, le principe général de l’interprétation contra proferentem impose qu’une règle ambiguë soit toujours interprétée à l’encontre de son auteur (CAS 2008/A/1622, CAS 2008/A/1623 et CAS 2008/A/1624 award of 2 October 2008 et TF 4A_314/2017).
- Les Appelants concluent que le Joueur remplit toutes les conditions de l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF si l’on retient une interprétation pragmatique de la règle litigieuse.
- A titre subsidiaire, les Appelants soutiennent que l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF comporte un effet rétroactif injustifié, exigeant du Joueur de ne pas avoir joué de match de compétition officielle de niveau international après ses 21 ans, ce qui revient à imposer une condition inexistante et inconnue à l’époque où il a joué après avoir atteint l’âge de 21 ans. Les Appelants soulignent la jurisprudence concernant le principe de l’interdiction de la rétroactivité des normes et de l’exception à conditions restrictives applicables audit principe (TF 1C_366/2016) et que la jurisprudence du TAS considère que ce principe s’applique également à la réglementation sportive et aux conditions d’éligibilité [TAS 2017/A/5300, CAS 2014/A/3855]. Selon les Appelants, la nouvelle règle empêche le Joueur qui remplit par ailleurs toutes les autres conditions de bénéficier de l’exception nouvellement introduite par la FIFA dans le RASF, alors même qu’il ne pouvait pas, au moment où il a joué son dernier match international U21 avec la RFEF, connaître les conséquences juridiques découlant de cette participation et se déterminer en connaissance de cause. En tout état de cause, la condition liée à l’âge lors de la dernière participation de compétition officielle « dans quelque niveau que ce soit » ne saurait s’appliquer rétroactivement au Joueur dès lors qu’elle ne remplit pas les conditions restrictives que doit remplir une exception au principe de l’interdiction de la rétroactivité des normes.
- Les Appelants estiment que la règle de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii du RASF viole le principe d’égalité de traitement. Selon eux, cette règle favoriserait les joueurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de 21 ans au moment de son adoption. Ces joueurs bénéficieraient de l’avantage sur ceux ayant déjà eu 21 ans en ce qu’elle leur permettrait de pouvoir renoncer à jouer avec leur association dans la perspective éventuelle de changer d’association. Or, soumettre les joueurs à un régime juridique différent selon qu’ils ont atteint l’âge de 21 ans avant l’entrée en vigueur de la modification ou après constituerait une grave entorse au principe de l’égalité de traitement. Il serait dès lors intolérable et choquant que le Joueur soit traité différemment, en raison de ses choix passés, que les joueurs âgés aujourd’hui de moins de 21 ans qui savent et peuvent renoncer à jouer pour une association nationale s’ils envisagent de jouer un jour pour une autre association.
- Finalement, les Appelants soutiennent que la règle de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF et la Décision attaquée, interdisant au Joueur de jouer avec une équipe d’un pays dont il est ressortissant et interdisant à la FRMF de convoquer ce joueur, au motif qu’il a joué trois matchs après l’âge de 21 ans avec les catégories inférieures de la RFEF, portent préjudice aux droits de la personnalité des Appelants. Elles nieraient au Joueur le droit de jouer, comme amateur ou professionnel, pour l’équipe nationale du pays de son choix, dont il est ressortissant, en lui faisant également perdre la possibilité de jouer un jour pour une autre équipe de niveau international « A », étant précisé que le Joueur n’a plus jamais été sélectionné pour jouer en équipe nationale « A » espagnole après son premier et unique match. Elles porteraient également atteinte aux intérêts de la FRMF, qui est privée du droit de convoquer le Joueur ce qui lui permettrait de rivaliser avec les meilleures autres équipes nationales.
- Les Appelants estiment que l’atteinte à leurs droits de la personnalité n’est pas justifiée et qu’ils n’y n’ont pas consenti. Elle serait donc illicite étant donné que l’exigence supplémentaire de ne pas avoir joué dans les catégories inférieures de la première association après avoir atteint l’âge de 21 ans apparaîtrait clairement aussi inutile que disproportionnée, ne pouvant en aucun cas constituer un intérêt privé de la FIFA prépondérant par rapports aux intérêts du Joueur et de la FRMF.
B. Les arguments développés par la FIFA
40. Dans ses conclusions, la FIFA demande au TAS de :
- Rejecting the reliefs sought by the Appellants;
- Confirming the Appealed Decision; and
- Ordering the Appellants to bear the full costs of these arbitration proceedings.
Traduction libre
- Rejeter l’appel déposé par les Appelants
- Confirmer la Décisions attaquée ; et
- Ordonner que les Appelants paient l’entier des frais d’arbitrage de cette procédure.
41. Les arguments de la FIFA peuvent être résumés comme suit :
- La FIFA précise tout d’abord que sous l’ancienne réglementation, tout joueur qui avait disputé un match international « A » ne pouvait changer d’association. Le Joueur se trouvait dans cette situation lors de ses 2 précédentes requêtes de changement d’association, preuve en est le rejet de ses deux requêtes précédentes dont une a fait l’objet d’un appel au TAS sous rubrique TAS 2018/A/5634, appel d’ailleurs rejeté.
- La FIFA rappelle que la modification du RASF a pour but d’assouplir les règles strictes qui étaient applicables sous l’ancien régime et donc de permettre à des joueurs qui n’étaient pas forcément éligibles avant l’entrée en vigueur des modifications de le devenir maintenant sous le nouveau régime, cela à certaines conditions qui s’appliquent globalement à tous les joueurs.
a) Interprétation littérale :
- La FIFA soutient que la règle de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF est rédigée de façon claire et objective. En effet, si le législateur avait voulu que ladite règle s’applique à un niveau particulier de match de football, soit un match international de niveau « A » comme le soutiennent les Appelants, il y aurait fait expressément référence comme c’est le cas dans d’autres sections de l’article 9. En l’occurrence, ladite règle s’applique à toutes les catégories de matchs. Si le législateur avait voulu que ladite règle s’applique uniquement aux matchs internationaux « A », il y aurait fait expressément référence en y ajoutant cette référence dans le texte-même de ladite règle.
b) Interprétation systématique
- La FIFA estime que le fait que dans les autres points de l’article 9 alinéa 2 lettre c) il est fait référence à un match de compétition officielle au niveau international « A » ne sous-entend pas que le point iii) de la lettre c) en question devrait y faire aussi référence. Au contraire, l’absence de la spécification du genre de matchs serait motivée par le fait que la condition du point iii) de la lettre c) se réfère à tous les niveaux de matchs officiels.
c) Interprétation téléologique
- La FIFA rappelle tout d’abord le contenu de la circulaire n° 1732 du 23 septembre 2020 et les principes qui y sont mentionnés, et qui démontrent que les amendements au RASF ont été faits dans le but de protéger l’intégrité sportive des compétitions internationales. A cet égard, elle rappelle qu’il existe des compétitions officielles dans lesquelles des joueurs de 21 ans révolus peuvent participer, comme le Championnat européen de l’UEFA des U21 ou les tournois Olympiques de football (tournoi de U23, qui permet l’inscription de jusqu’à 3 joueurs de plus de 23 ans révolus).
d) Interprétation historique
- La FIFA précise que la modification du RASF a été discutée et approuvée au sein de la Commission des acteurs du football suite aux requêtes d’assouplissement des règles de changement d’association soumises par plusieurs associations membres. De plus, l’interprétation faite par les Appelants de la diapositive relative à l’article 9 du RASF présentée aux associations membres lors du 70ème Congrès de la FIFA serait erronée. En effet, la conjonction de coordination « et » ne saurait rattacher le critère de limite d’âge de 21 ans (comme mentionné au point iii) au critère de match internationaux de niveau « A » (comme mentionné dans le reste de la règle).
- La FIFA estime que la règle de l’article 9 du RASF ne viole pas le principe de l’interdiction de la rétroactivité des normes du fait que ladite règle est entrée en vigueur le 18 septembre 2020 et qu’elle s’applique à toute demande de changement d’association soumise depuis cette date. De même, la même règle ne viole pas le principe d’égalité de traitement comme soulevé par les Appelants car il est parfaitement concevable pour un joueur âgé de 22 ans ou plus de changer d’association sous l’article 9 alinéa 2 lettre c) si ledit joueur remplit les différents critères énumérés dans ledit article. Une violation du principe d’égalité existerait si un joueur dans la même situation que le Joueur aurait eu droit de changer d’association.
- Finalement, la FIFA est d’avis que la Formation arbitrale ne peut revoir l’argument des Appelants selon lequel l’application de l’article 9 alinéa 2 lettre c) et la Décision attaquée violeraient les droits de la personnalité des Appelants car cet argument a déjà été tranché par la formation arbitrale dans la procédure sous rubrique TAS 018/A/5634, ladite sentence ayant autorité de la chose jugée.
- Si la Formation arbitrale décidait de revoir l’argument de la violation des droits de la personnalité, la FIFA considère que la ni la Décision attaquée interdisant au Joueur de jouer pour la FRMF ni les règles du RASF ne violent les droit de la personnalités des Appelants. Dans l’hypothèse où il devait y avoir atteinte aux droits de la personnalité des appelants, la FIFA soutient que celle-ci serait justifiée tant par le fait que le Joueur, en étant enregistré pour un club affilié à la RFEF qui est une association membre de la FIFA, et la FRMF, qui est également une association membre de la FIFA, ont consenti à être assujettis aux Statuts de la FIFA et au RASF. L’intérêt prépondérant de la FIFA à préserver l’intégrité sportive des compétitions internationales l’emporterait sur l’intérêt privé du Joueur et de la FRMF. Finalement, la FIFA argumente que malgré la Décision attaquée, le joueur peut continuer à jouer professionnellement au football pour son club, FC Séville, et aussi pour l’équipe nationale de la RFEF, ce qui démontre qu’il n’y a pas d’atteinte aux droits de la personnalité du Joueur. S’agissant de l’argument de la FRMF, celui-ci serait purement spéculatif dès lors qu’il n’y aurait aucun garantie que le sélectionneur national de la FRMF sélectionnerait le Joueur pour disputer des rencontres avec l’équipe nationale du Maroc. Par conséquent, les droits de la personnalité de la FRMF ne seraient pas non plus violées.
C. Les arguments développés par la RFEF
42. Dans ses conclusions, la RFEF demande au TAS de statuer que :
- The RFEF does not have standing to be sued (légitimation passive) in these arbitral proceedings, and in any case has not accepted to intervene as an interested party.
- The Appealed Decision was correctly taken in light of the applicable legal framework. Nevertheless, the RFEF will assume the legitimate outcome of the present proceedings.
Traduction libre
- La RFEF n’as pas de légitimation passive pour être intimée dans la présente procédure, et dans tous les cas n’a pas accepté d’intervenir en tant que tiers intervenant.
- La Décision attaquée est fondée et conforme au cadre juridique applicable. Cependant, la RFEF se conformera à la sentence promulguée dans cette procédure.
43. Les arguments de la RFEF peuvent être résumés comme suit :
- A titre préliminaire, la RFEF soutient qu’elle n’a pas la légitimation passive dans la présente procédure. Elle argumente qu’en application de l’article 75 du Code civil suisse (ci-après, le « CC ») et de la doctrine suisse et de la jurisprudence en la matière, le recours contre une décision prise par une association n’est ouvert que contre l'association ayant pris la décision contestée, c'est-à-dire que la légitimation passive n'appartient qu'à l'entité qui est personnellement affectée par les droits contestés. En l’occurrence, la RFEF n'aurait eu aucune incidence sur la décision de la FIFA, la RFEF serait intervenue dans la procédure de la FIFA uniquement pour fournir des informations à la demande de la FIFA et de la FRMF. Par conséquent, seule la FIFA, en tant qu’autorité qui a décidé sur la demande de changement d’association, aurait la légitimation passive.
- La RFEF soutient que le Juge unique a correctement appliqué les dispositions règlementaires applicables en concluant que le Joueur ne remplissait pas les critères pour un changement d’association. En effet, il ressortirait clairement du point iii) de la lettre c) de la règle en question que le Joueur ne remplit pas ce critère parce qu’il a disputé son dernier match officiel avec la RFEF le 15 novembre 2016, soit quand il avait déjà 21 ans révolus.
V. COMPETENCE
44. Conformément à l’article 186 de la Loi fédérale suisse sur le droit international privé (« LDIP »), le TAS statue sur sa propre compétence.
45. L’article R47 du Code dispose que:
« Un appel contre une décision d’une fédération, association ou autre organisme sportif peut être déposé au TAS si les statuts ou règlements dudit organisme sportif le prévoient ou si les parties ont conclu une convention d’arbitrage particulière et dans la mesure aussi où la partie appelante a épuisé les voies de droit préalables à l’appel dont il dispose en vertu des statuts ou règlements dudit organisme sportif ».
46. En outre, l’article 58 alinéa 1 des Statuts de la FIFA prévoit :
« Tout recours contre des décisions prises en dernière instance par la FIFA, notamment les instances juridictionnelles, ainsi que contre des décisions prises par les confédérations, les associations membres ou les ligues doit être déposé auprès du TAS dans un délai de vingt-et-un jours suivant la réception de la décision ».
47. La Formation arbitrale relève que la Décision attaquée représente une décision d’une fédération au sens de l’article R47 du Code et que le Statuts de la FIFA prévoient, à l’article 58 alinéa 1, la possibilité d’un appel au TAS pour cette décision. De plus, la Formation arbitrale relève que ni la FIFA ni la RFEF n’ont contesté la compétence du TAS en l’espèce. Au contraire, elle est même confirmée par la signature de l’Ordonnance de procédure par les parties et conformément à la convention prise en début d’audience.
48. Il résulte de ce qui précède que la compétence du TAS pour décider dans la présente affaire est établie.
D. RECEVABILITÉ
49. L’article R49 du Code dispose que :
« En l’absence de délai d’appel fixé par les statuts ou règlements de la fédération, de l’association ou de l’organisme sportif concerné ou par une convention préalablement conclue, le délai d’appel est de vingt-et-un jours dès la réception de la décision faisant l’objet de l’appel. […]».
50. En outre, l’article 58 alinéa 1 des Statuts de la FIFA prévoit :
« Tout recours contre des décisions prises en dernière instance par la FIFA, notamment les instances juridictionnelles, ainsi que contre des décisions prises par les confédérations, les associations membres ou les ligues doit être déposé auprès du TAS dans un délai de vingt-et-un jours suivant la réception de la décision ».
51. La Formation arbitrale relève que le dispositif de la Décision attaquée a été rendue le 23 septembre 2020 et que, sur requête des Appelants, la FIFA a rendu sa décision motivée le 5 octobre 2020. La Déclaration d’appel a été déposé le 13 octobre 2020, soit moins de 21 jours après la notification de la Décision attaquée. De plus, la Formation arbitrale relève que ni la FIFA ni la RFEF ne contestent que l’appel a été déposé dans le délai imparti.
52. La Formation arbitrale relève encore qu’elle examinera la question concernant la légitimation passive de la RFEF lors de l’examen au fond de la présente procédure, et ce conformément à la jurisprudence suisse (ATF 114 II consid. 3a; ATF 126 III 59 cons. 1a; ATF 126 III 59 consid. 1; ATF 107 II 82 consid. 2a).
53. Par conséquent, la Formation arbitrale conclut de ce qui précède que l’appel est bien recevable.
VII. DROIT APPLICABLE
54. L’article R58 du Code dispose que:
« La Formation statue selon les règlements applicables et, subsidiairement, selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit que la Formation estime appropriées. Dans ce dernier cas, la décision de la Formation doit être motivée ».
55. En l’occurrence, l’article 57 alinéa 2 des Statuts de la FIFA prévoit:
« La procédure arbitrale est régie par les dispositions du Code de l'arbitrage en matière de sport du TAS. Le TAS applique en premier lieu les divers règlements de la FIFA ainsi que le droit suisse à titre supplétif. »
56. A cet égard, toutes les parties considèrent également que, conformément aux articles R58 du Code et 57 alinéa 2 des Statuts de la FIFA, la Formation arbitrale applique en premier les règlements de la FIFA, et le droit suisse à titre supplétif. Par conséquent, en vertu de ces dispositions et la position des parties, la Formation arbitrale appliquera d'abord et avant tout les statuts et les règlements de la FIFA. C'est uniquement à titre supplétif qu'elle appliquera le droit suisse.
VIII. AU FOND
A. Légitimation passive de la RFEF
57. A titre préliminaire, la Formation arbitrale doit tout d’abord se prononcer sur la légitimation passive de la RFEF car celle-ci la conteste. En effet, elle se réfère à la jurisprudence du TAS, en particulier à la sentence CAS 2007/A/1403 selon laquelle la question de la légitimation passive n’est pas réglée dans les règlements de la FIFA et que par conséquent ladite question doit être réglée en vertu du droit applicable, en l’espèce le droit suisse. A cet égard, la RFEF estime que le recours contre une décision prise par une association de droit suisse n’est ouvert que contre l’association ayant pris la décision contestée, en application de l’article 75 CC. La RFEF n’est pas intervenue dans la procédure de requête de changement d’association déposée par les Appelants devant la FIFA, elle s’est contentée de fournir des informations factuels à la FIFA au sujet du Joueur. Par conséquent, la RFEF, en tant qu’association membre appartenant à la FIFA et à laquelle le Joueur est enregistré, ne peut intervenir dans cette procédure devant le TAS. Quant aux Appelants, la raison pour laquelle ils ont inclu la RFEF comme seconde intimée est que sa participation est indispensable afin de lui offrir l’occasion de s’opposer, le cas échéant, au changement d’association requis par les Appelants et ainsi de lui accorder la possibilité d’exercer ses droits dans la mesure où la sentence du TAS pourrait l’affecter directement. La FIFA, elle, ne s’est pas déterminée sur la question de la légitimation passive de la RFEF.
58. La Formation arbitrale, tout d’abord, souligne que les mêmes parties à la présente procédure étaient également parties dans la procédure sous rubrique TAS 2018/A/5634 Munir El Haddadi & FRMF c. FIFA & RFEF qui concernait également un recours contre une décision de la FIFA qui rejetait une requête de changement d’association déposée par le Joueur et la FRMF. La Formation arbitrale rejoint l’analyse juridique faite par la formation arbitrale dans sa sentence rendue dans la procédure ci-dessus et qui l’a amenée à conclure que les règlements applicables et le Code ne contiennent pas de dispositions relatives à la légitimation passive des parties. Celle-ci doit donc être déterminée en application droit suisse, applicable à titre supplétif. En vertu de l’article 75 du CC et suivants confirmé par de nombreuses sentences du TAS, l'intimé dispose de la légitimation passive s'il est personnellement débiteur de la prétention en question (voir en particulier: CAS 2006/A/1206: "if it is personnally obliged by the "disputed right" at stake") et s'il est revendiqué quelque chose de sa part dans la procédure d'appel (CAS 2008/A/1518, par. 22; Mavromati D., Reeb M., The Code of the Court of Arbitration for Sport: Commentary, Cases and Materials, 2015, p. 411, nr. 65). Si la légitimation passive manque, la prétention doit être rejetée comme non-fondée (voir à ce propos : ATF 114 II consid. 3a; 126 III 59 cons. la; ATF 126 III 59 consid. 1 ; 107 II 82 consid. 2a).
59. En l’occurrence, la Formation arbitrale considère que s’il était fait droit à l’appel, soit que le Joueur puisse changer d’association, c’est-à-dire qu’il puisse jouer avec l’équipe nationale « A » de la FRMF, alors la RFEF se trouverait dans l’impossibilité de convoquer le Joueur pour jouer en son équipe nationale « A ». Partant, la présence de la RFEF dans cette procédure se justifie du fait qu’elle dispose d’un intérêt dans son résultat.
60. Par conséquent, la Formation arbitrale conclut que la RFEF dispose de la légitimation passive pour être partie défenderesse dans la présente procédure d’appel.
B. Interprétation de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF
61. Le présent litige se concentre en premier lieu sur l’application et l’interprétation de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF qui est entré en vigueur le 18 septembre 2020, à savoir l’une des exceptions permettant à un joueur avec la double nationalité de changer d’association pour laquelle il est éligible afin de jouer pour l’association d’un autre pays dont il détient la nationalité.
62. Selon l’article 5 alinéa 3 du RASF :
« Article 5 Principes
(…)
3. Tout joueur qui a déjà pris part, pour une association, à un match international (en tout ou partie) d’une compétition officielle de quelque catégorie que ce soit ou de toute discipline de football que ce soit ne peut plus jouer en match international pour une autre association, sauf en cas d’exceptions comme stipulé ci-après à l’art. 9. »
63. Selon l’article 9 du RASF :
« Article 9 Changement d’association
1. Un joueur peut, une seule fois, demander à changer l’association pour laquelle il est éligible afin de jouer pour l’association d’un autre pays dont il détient la nationalité.
2. Une demande de changement d’association peut être accordée uniquement dans les cas suivants :
a) le joueur :
i. a joué pour son association actuelle lors d’un match d’une compétition officielle de quelque niveau que ce soit (à l’exception du niveau international « A ») et dans quelque discipline de football que ce soit ; et
ii. à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match d’une compétition officielle, de quelque discipline de football que ce soit, il détenait déjà la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter.
b) le joueur :
i. a joué pour son association actuelle lors d’un match de compétition officielle de quelque niveau que ce soit (à l’exception du niveau international « A ») et dans quelque discipline de football que ce soit ;
ii. à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match de compétition officielle, dans quelque discipline de football que ce soit, il ne détenait pas encore la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter ;
iii. à l’époque où il a joué pour son association actuelle son dernier match de compétition officielle, dans quelque discipline de football que ce soit, il n’avait pas encore 21 ans ; et
iv. satisfait à l’une des exigences énoncées aux art. 6 ou 7.
c) le joueur :
i. a joué pour son association actuelle lors d’un match de compétition officielle au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit ;
ii. à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match d’une compétition officielle (de quelque niveau que ce soit), dans quelque discipline de football que ce soit, il détenait la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter ;
iii. à l’époque où il a joué pour son association actuelle son dernier match de compétition officielle, dans quelque discipline de football que ce soit, il n’avait pas encore 21 ans ;
iv. n’a pas joué plus de trois fois au niveau international « A » pour son association actuelle, dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition officielle ou non officielle ;
v. trois années au moins se sont écoulées depuis la dernière fois où il a joué pour son association actuelle au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition officielle ou non officielle ; et
vi. n’a jamais participé à un match au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit, lors d’une compétition finale d’une Coupe du Monde de la FIFA ou d’une compétition organisée par une confédération.
d) le joueur :
i. souhaite représenter une association admise comme membre de la FIFA après avoir joué son premier match de compétition officielle (à quelque niveau que ce soit), dans quelque discipline de football que ce soit, pour son association actuelle ;
ii. n’a jamais joué pour son association actuelle lors d’un match de compétition officielle, dans quelque discipline de football que ce soit (à quelque niveau que ce soit), après que l’association qu’il souhaite représenter a été admise comme membre de la FIFA ;
iii. à l’époque où il a joué pour son association actuelle son premier match de compétition officielle (à quelque niveau que ce soit), dans quelque discipline de football que ce soit:
a. il détenait la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter ;
ou
b. il a obtenu la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter dès que raisonnablement possible après la reconnaissance du pays par la majorité des membres des Nations Unies ;
iv. satisfait l’une des exigences énoncées aux art. 6 ou 7.
e) le joueur :
i. a joué pour son association actuelle lors d’un match de compétition officielle au niveau international « A », dans quelque discipline de football que ce soit ;
ii. a été déchu de sa nationalité de façon permanente, sans son consentement ou contre sa volonté, en vertu d’une décision d’une entité gouvernementale ; et
iii. détient la nationalité de l’association qu’il souhaite représenter.
3. Un joueur n’est pas autorisé à jouer pour sa nouvelle association dans toute compétition qu’il a déjà joué pour son ancienne association.
4. Un joueur désireux d’invoquer l’al. 2 est tenu de soumettre, via l’association concernée, une demande de changement d’association auprès de la Commission du Statut du Joueur (…) ».
64. L’article 9 du RASF permet à un joueur binational de déposer une demande de changement d’association auprès de la Commission du Statut du Joueur dans des cas précis et si les conditions énumérées sont remplies.
65. Dans le cas d’espèce, les Appelants ont déposé une demande de changement d’association sur la base de l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF, demande qui a fait l’objet de la Décision attaquée rendue par le Juge unique.
66. La Formation arbitrale se réfère tout d’abord à la Décision attaquée et note que seule la condition énumérée à l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) n’est pas remplie selon le Juge unique qui a donc rejeté la requête de changement d’association. Force est d’ailleurs de constater qu’il n’est pas contesté que toutes les autres conditions cumulatives de l’article 9 alinéa 2 lettre c) étaient remplies. Selon les Appelants, la condition de ne pas avoir joué de compétition officielle dans quelque discipline que ce soit après 21 ans révolus serait remplie en l’espèce car ladite règle s’appliquerait seulement aux matchs internationaux « A » et non à toutes les compétitions officielles disputées par le Joueur. Les Intimées, elles, estiment que ladite condition est claire et précise, et que par conséquent la règle s’applique à toutes les compétitions officielles de quelque niveau que ce soit. Il en ressort donc que la Formation arbitrale doit se pencher sur le sens du texte de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii).
67. La Formation arbitrale rappelle tout d’abord qu’en droit suisse les statuts d'une association doivent être interprétés selon le sens du texte, tel qu'il peut et doit être compris, en fonction de l'ensemble des circonstances. Cette interprétation est qualifiée d' « objective » (J.-F. PERRIN/C. CHAPPUIS, Droit de l’association, 3ème éd., Genève 2008, ad art. 63 CC, pp. 38-39, en référence à l’arrêt du Tribunal fédéral du 27 juin 2002, 5C.328/2001). De plus, comme rappelé par le Tribunal fédéral suisse et le TAS, les méthodes d’interprétation sont plurales et visent à rechercher le sens véritable d’une norme (arrêt du TF 4A_462/2019 et CAS 2013/A/ 3365 & 33669. En effet, toute interprétation débute par la lettre de la loi (interprétation littérale), mais celle-ci n'est pas déterminante: encore faut-il qu'elle restitue la véritable portée de la norme, qui découle également de sa relation avec d'autres dispositions légales et de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle résulte notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 141 III 444 consid. 2.1; ATF 124 II 372 consid. 5 p. 376).
68. Il doit en aller de même s’agissant de l’interprétation des règlements émanant d’une association (H. M. RIEMER, Berner Kommentar, Das Personenrecht, 3ème éd., Berne 1990, N 349 ad Systematischer Teil, p. 147 ; P. ZEN-RUFFINEN, Droit du sport, Zurich Bâle Genève 2002, N 170, p. 63).
69. La Formation arbitrale rappelle le contenu de la règle litigieuse en question de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF :
iii) à l’époque où il a joué pour son association actuelle son dernier match de compétition officielle, dans quelque discipline de football que ce soit, il n’avait pas encore 21 ans.
a) Interprétation littérale
70. S’agissant du libellé de cette règle, la Formation arbitrale constate qu’il est clair en ce qu’il prévoit qu’un joueur au moment où il a joué pour son association, dans une compétition officielle et dans toute discipline de football ne devait pas encore avoir 21 ans. La Formation arbitrale note qu’il n’est nullement spécifié que le joueur devait avoir joué son dernier match dans une compétition officielle de l’équipe « A » de son association actuelle. En d’autres termes, au sens strict littéral du texte, la condition de ne pas avoir joué « son dernier match de compétition officielle » se réfère au dernier match de toute compétition officielle confondue, que cela soit une compétition officielle en équipe nationale « A » ou en équipe des U19 ou U21.
b) Interprétation systématique
71. Ensuite, la Formation arbitrale se penche sur l’interprétation de la règle litigieuse lue ensemble avec les autres exceptions énumérées à l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF, ainsi que les autres exceptions énumérées dans le RASF (interprétation systématique).
72. Selon les Appelants, l’ensemble des conditions de l’article 9 alinéa 2 lettre c) se réfère d’une manière ou d’une autre aux matchs disputé dans la catégorie « A ». En effet, selon eux, la condition énumérée à la lettre c) iii s’étend sur le même niveau de football que toutes les autres conditions de cet article, c’est-à-dire la catégorie « A ». De plus, selon les Appelants, le législateur a expressément précisé, par exemple dans le paragraphe ii), lorsque la condition doit s’appliquer à une compétition officielle « de quelque niveau » que ce soit. Par conséquent, si le législateur avait voulu que la condition du paragraphe iii) s’applique à quelque niveau ce soit, il l’aurait expressément mentionné. Or, il ne l’a pas fait.
73. Selon la FIFA, si le législateur avait clairement voulu préciser que l’ensemble de l’article 9 alinéa 2 lettre c) s’applique à des matchs de compétition officielle de niveau international « A », il ne l’aurait pas expressément spécifié dans les paragraphes i), iv), v) et vi). Or, il ne l’a pas fait dans le paragraphe iii) en question, ainsi que dans le paragraphe ii).
74. La Formation arbitrale, en interprétant ladite règle litigeuse avec les autres exceptions de l’article 9 alinéa 2 lettre c), considère qu’il est indiscutable que lorsque le législateur a voulu que l’exception s’applique à un match de compétition officielle de niveau international « A », il l’a clairement mentionné dans le texte. Or, il ne l’a pas fait dans le point iii) de la lettre c). Dès lors, cela ne peut être interprété comme une lacune ou un simple oubli de la part du législateur. De plus, la Formation arbitrale estime qu’il est tout à fait commun pour des joueurs de 21 ans révolus de jouer pour des équipes nationales de U21 ou U23 mais aussi le Tournoi Olympique de football, qui est une compétition de joueurs de U23, permettant d’enregistrer jusqu’à 3 joueurs de plus de 23 ans révolus.
75. La Formation arbitrale en conclut que l’interprétation systématique rejoint l’interprétation littérale donnée par la Formation arbitrale à la règle litigieuse en ce sens que le point iii) de la lettre c) s’applique à un match de toute compétition officielle et non au niveau international « A » comme argumenté par les Appelants.
76. En vue d’éliminer toute possibilité d’interprétation divergente de la disposition en cause, telle que celle apparue au sein de la Formation arbitrale, cette dernière recommande au législateur de la FIFA de harmoniser le libellé des différentes dispositions de l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF et de compléter le point iii par la mention « de quelque niveau que ce soit ».
c) Interprétation téléologique
77. Au titre de l’interprétation téléologique, la Formation arbitrale doit déterminer le but poursuivi et l’intérêt protégé par la règle. A cet égard, il ne fait aucun doute que les règles du RASF ont été modifiées afin de soutenir l’intégrité sportive des compétitions internationales, cela afin de prévenir les abus en tout genre comme les naturalisations à but sportif. Différents principes ont guidé la modification du RASF et ceux-ci ont été clairement énumérés par la FIFA dans sa circulaire n° 1732 du 23 septembre 2020 de la façon suivante :
“(i) "no nationality, no eligibility": the eligibility of players to play for a specific member association must be based on objective measurements (i.e. their national citizenship);
(ii) equal treatment of all member associations;
(iii) the existence of a genuine link between the player and the member association they (intend to) represent;
(iv) avoidance of cases of excessive severity or hardship;
(v) prevention of abuse (e.g. of so-called "nationality shopping"); and
(vi) the protection of the sporting integrity of international competitions.
Traduction libre
(i) "pas de nationalité, pas d'éligibilité" : l'éligibilité des joueurs à jouer pour une association membre spécifique doit être basée sur des mesures objectives (c'est-à-dire leur citoyenneté nationale) ;
(ii) l'égalité de traitement de toutes les associations membres ;
(iii) l'existence d'un lien réel entre le joueur et l'association membre qu'il (elle) entend représenter ;
(iv) l’empêchement de la survenance de cas de gravité ou de difficultés excessives ;
(v) la prévention des abus (par exemple, le "shopping de nationalité") ; et
(vi) la protection de l'intégrité sportive des compétitions internationales.
78. Les Appelants estiment que les nouvelles exigences de la titularité de la double nationalité dès le premier match disputé par le joueur (point ii)), le délai d’attente de trois ans depuis le dernier match joué avec une équipe « A » (point v)) et l’absence de participation au niveau international « A » lors d’une compétition finale d’une Coupe du Monde de la FIFA ou d’une compétition organisée par une confédération (point vi)), visent à et permettent d’assurer l’intégrité sportive des compétitions internationales. Cependant, l’interprétation donnée par le Juge unique à la lettre c) iii) selon laquelle la limite d’âge de 21 ans du joueur s’applique à toute compétition de quelque niveau que ce soit ne correspondrait pas au but poursuivi par les modifications au RASF. Au contraire, elle violerait le but même de la norme visant à éviter la survenance de cas de gravité ou de difficultés excessives en lui donnant une nouvelle restriction liée à l’âge qui n’existait pas sous l’ancienne réglementation.
79. La FIFA, quant à elle, soutient que la lettre c) iii) est conforme au but poursuivi par les modifications du RASF et s’applique uniformément à toutes les compétitions officielles dans le monde. En effet, il existe des compétitions de U21 en Europe organisée sous l’auspice de l’UEFA ainsi que le Tournoi Olympique de football, qui est une compétition de joueurs de U23, permettant d’enregistrer jusqu’à 3 joueurs de plus de 23ans révolus. Le but est d’éviter qu’un joueur de 21 ans révolus joue avec une équipe nationale de U21 dans un Tournoi de U21 organisé par l’UEFA et qu’il puisse ensuite changer d’association afin de jouer par la suite avec une autre association dans un Tournoi Olympic de football, dans lequel les associations respectives pourraient être amenées à jouer l’une contre l’autre.
80. Au regard des principes ayant guidé les modifications du RASF et du but poursuivi par les nouvelles règles, la Formation arbitrale partage l’interprétation de la disposition en cause retenue par le Juge unique. En effet, l’application de la limite d’âge de 21 ans révolus à toutes compétitions officielles, à savoir de quelque niveau que ce soit, est la plus apte à permettre d’éviter des situations où un joueur de 21 ans révolus puisse jouer avec 2 associations différentes, soit d’abord avec une association dans un tournoi de U21 et ensuite avec une autre association dans un Tournoi Olympique de football où les 2 associations pourraient s’affronter. Cela serait contraire à l’intégrité sportive du tournoi Olympique de football.
d) Interprétation historique
81. Finalement, la Formation arbitrale relève, après avoir pris note des arguments des Appelants et de la FIFA au sujet de l’interprétation historique des nouvelles règles, que le processus législatif qui a mené à l’adoption, par le 70ème Congrès de la FIFA, des modifications du RASF a été dûment mené et n’a pas violé les règles de la bonne gouvernance et de la transparence. En effet, il ressort des pièces soumises que les modifications avaient été requises par plusieurs associations membres de la FIFA ce qui a déclenché le processus de révision du RASF. Suite à cela, les modifications ont été discutées et approuvées par la Commission des Acteurs du football de la FIFA. Ensuite, la proposition de modifications du RASF a été soumise au Conseil de la FIFA qui a approuvé les modifications et recommandé qu’elles soient présentées au Congrès de la FIFA pour approbation. Cette approbation a eu lieu le jour dudit Congrès le 18 septembre 2020.
82. De plus, la Formation arbitrale relève que la diapositive relative aux modifications de l’article 9 RASF, présentée lors du 70ème Congrès de la FIFA, est parfaitement claire. En effet, la première condition, soit celle d’avoir d’avoir joué dans une compétition officielle de niveau « A », est explicitement mis en évidence en étant encadrée et que la seconde condition, soit celle de la limite d’âge de 21 ans s’appliquant à n’importe quel niveau d’une compétition officielle, est à juste titre mentionnée séparément, tout en mettant en évidence que les conditions énumérées sont cumulatives.
83. Dès lors, force est de constater que, en l’occurrence, la FIFA a modifié le RASF en suivant un processus de révision de son règlement en incluant les acteurs du football via la Commission des Acteurs du football, que la proposition de changement du règlement a été soumise aux associations membres de la FIFA de manière transparente et sans équivoque, cela dans le but d’assouplir les critères de changement d’association. On ne saurait en déduire que les changements ont été adoptés dans le but seul de laisser le Joueur pouvoir enfin changer d’association. A cet égard, la Formation arbitrale constate que la modification des règles n’avait pas pour objectif de faire disparaître « tous » les cas de rigueur et considère que la FIFA n’a fait naître aucune attente légitime chez le Joueur et que par conséquent le grief des Appelants à ce sujet doit être rejeté.
e) Résultat de l'interprétation
84. Par conséquent, la Formation arbitrale conclut que, au vu des différentes méthodes d’interprétation appliquées ci-dessous, l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii du RASF doit être interprété en ce sens qu’il vise toutes les catégories dans lesquelles un joueur a disputé un match et rejoint en cela l’interprétation retenue par le Juge unique dans la Décision attaquée. En effet, le Joueur a fêté ses 21 ans le 1er septembre 1995 et il a pris part, pour le compte de la RFEF, à 3 matchs dans des compétitions officielles à compter de cette date, et par conséquent, l’une des conditions cumulatives de l’article 9 alinéa 2 lettre c), en l’espèce le point iii), n’est pas remplie.
C. Principe de la non-rétroactivité des normes
85. Les Appelants estiment, à titre subsidiaire, que l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF impose une nouvelle condition qui était inexistante et inconnue à l’époque où le Joueur a joué dans une compétition officielle avec l’équipe nationale U21 de la RFEF après avoir atteint l’âge de 21 ans. Ainsi, du fait que la réglementation de la FIFA ne contienne pas de règles prévoyant une dérogation au principe de la non-rétroactivité des normes, la nouvelle règle sanctionnerait des joueurs en les privant du droit de changer d’association sur la base de faits survenus avant l’entrée en vigueur de la règle. Elle empêcherait donc le Joueur de bénéficier de l’exception de pouvoir changer d’association après avoir joué en équipe nationale « A », alors même qu’il ne pouvait, au moment où il a joué son dernier match avec l’équipe nationale U21 de la RFEF, connaître les conséquences juridiques découlant de cette participation et se déterminer en connaissance de cause. Par conséquent, la condition liée à l’âge du joueur lors de sa dernière participation dans une compétition officielle de quelque niveau que ce soit ne saurait s’appliquer rétroactivement au Joueur du fait que les conditions strictes pour une exception au principe de non-rétroactivité ne sont pas remplies au cas d’espèce :
- La rétroactivité n’est pas expressément prévue dans une base légale claire du RASF ;
- Elle n’est pas raisonnablement limitée dans le temps ;
- Elle ne repose sur aucun motif pertinent et est dénuée d’un intérêt public prépondérant sur les intérêts privés du Joueur ; et
- Elle conduit à des inégalité choquantes.
86. A cet égard, la Formation arbitrale soulève tout d’abord que l’interdiction de la rétroactivité est un principe fondamental en droit, de rang constitutionnel suisse et faisant partie de l’ordre public comme précisé dans la jurisprudence constante du Tribunal fédéral suisse et du TAS (TF 2C_3247/2017, ATF 119 Ia 254 et TAS 2017/A/5300 Suketu Patel c. Confédération Africaine de Football). Par ailleurs, selon la jurisprudence citée ci-dessous, il n'est possible de déroger au principe de non-rétroactivité des lois que sous certaines conditions. Ainsi, il faut que la rétroactivité soit expressément prévue par la loi, qu'elle soit raisonnablement limitée dans le temps, qu'elle ne conduise pas à des inégalités choquantes, qu'elle se justifie par des motifs pertinents, c'est-à-dire qu'elle réponde à un intérêt public plus digne d'être protégé que les intérêts privés en jeu et, enfin, qu'elle respecte les droits acquis (ATF 116 Ia 214 consid. 4a etATF 113 Ia 425 ainsi que les références citées).
87. La Formation arbitrale note également que ledit principe ne s’applique pas sans limitation. En effet, dans l’affaire CAS 2008/A/1583 Sport Lisboa e Benfica Futebol SAD v. UEFA & FC Porto Futebol SAD & CAS 2008/A/1584 Vitória Sport Clube de Guimarães v. UEFA & FC Porto Futebol SAD, la formation arbitrale a soulevé que :
« The principle of non-retroactivity is a fundamental legal principle, which does basically apply to measures taken by associations having the character of a sanction. However, it does not follow from this that the principle applies without limitation. In particular, it does not apply to a rule which governs the requirements for being admitted to a competition.»
Traduction libre
« Le principe de non-rétroactivité est un principe fondamental du droit qui s’applique essentiellement aux mesures prises par des associations qui ont un caractère d’une sanction. Cependant, ce principe ne s’applique pas sans limitation. En particulier, il ne s’applique pas à une règle qui énonce les critères d’admission à une compétition .»
88. Dans le cas d’espèce, la Formation arbitrale note que la disposition en cause ne vise pas à instaurer une sanction pour les joueurs, mais à pour objectif d’établir les conditions d’un changement d’association de leur part. Il importe d’ajouter que la Décision attaquée ne contient pas davantage de sanction pour le Joueur et ne lui impose aucune mesure disciplinaire, mais s’analyse comme une décision adminstrative qui empêche le Joueur de changer d’association du fait que l’une des conditions énumérées dans l’article 9 alinéa 2 lettre c) du RASF n’est pas remplie en l’espèce.
89. En ce qui concerne l’application dans le temps du RASF, la Formation arbitrale constate que le RASF est entré en vigueur dès la clôture du 70ème Congrès de la FIFA, à savoir le 18 septembre 2020, et qu’il ne contient aucune règle transitoire. Par conséquent, l’article 9 alinéa 2 lettre c) s’applique à toute requête de changement d’association déposée dès l’entrée en force du RASF et toute requête de changement d’association peut être approuvée si les conditions énumérées sont bel et bien remplies au jour du dépôt de la requête. Une des conditions énumérées au point iii) concerne la limite de l’âge de 21 ans lorsque le joueur a joué son dernier match dans une compétition officielle de tout niveau. En l’espère, il est constant que cette condition n’a pas été appliquée avant l’entrée en vigueur, le 18 septembre 2020, de la disposition qui la contient.
90. Ensuite, la Formation arbitrale se penche sur la question du respect des droits acquis, soit celle de savoir si le Joueur, sous l’ancienne réglementation du RASF bénéficiait d’une situation acquise, c’est-à-dire qu’il avait un droit légitime d’être éligible à changer d’association avant l’entrée en vigueur du nouveau RASF et ainsi jouer pour l’équipe nationale de la FRMF.
91. En l’espèce, il convient de rappeler que le Joueur a participé à plusieurs rencontres avec les équipes représentatives de la RFEF, dont un match dans une compétition officielle avec l’équipe nationale « A » lors du match entre l’Espagne et la Macédoine, le 8 septembre 2014, dans le cadre des matchs qualificatifs pour l’EURO 2016. Or, comme le démontrent les décisions prises par la FIFA et ensuite par le TAS (TAS 2018/A/5634) sur les requêtes déposées par le Joueur de changement d’association, le Joueur ne remplissait déjà pas, sous l’ancien règlement du RASF, notamment l’article 5 alinéa 2 lu en combinaison avec l’article 8 alinéa 1 du RASF (ancienne version), les conditions requises pour un changement d’association. En effet, sous l’ancien règlement, tout joueur ayant participé dans une compétition officielle au niveau international « A » ne pouvait plus changer d’association. Il en ressort donc que le Joueur ne bénéficiait d’aucune situation acquise ou de droit acquis sous l’ancienne réglementation du RASF. De plus, il est aussi constaté qu’il ne bénéficiait d’aucun droit acquis fondé sur des assurances contenus dans un quelconque règlement de la FIFA avant l’entrée en vigueur des modifications du RASF le 18 septembre 2020.
92. Comme justement relevé par la formation arbitrale dans la sentence TAS 2017/A/5300, sur laquelle les Appelants basent leur argumentation, il a été établi dans ce cas que l’appelant, en ayant été membre du comité exécutif de la CAF de 2004 à 2017, avait acquis un droit à une pension conformément au système des retraites en vigueur au moment de sa démission. Le système des retraites avait été abrogée par la décision litigieuse était au bénéfice de droit acquis , c’est-à-dire une pension en tant que membre du comité exécutif de la CAF et que dès lors la décision de retirer ce droit était contraire au principe de non-rétroactivité (ainsi qu'au principe de protection de la confiance légitime).
93. Or, dans le cas d’espèce, la Décision attaquée ne se heurte à aucun droit acquis du Joueur comme exposé ci-dessous. En effet, le Joueur n’était déjà pas éligible de changer d’association sous l’ancienne réglementation de la FIFA, ce qui a été confirmé par le TAS dans l’affaire TAS 2018/A/5634.
94. Finalement, la Formation arbitrale note que, dans l’affaire CAS 2014/A/3776, la pratique constante de la FIFA et la conformité de ses règlements au principe de non-rétroactivité des normes ont déjà été adressées en ce sens:
FIFA has an established practice of avoiding the retrospective application of its substantive regulations in non-disciplinary settings, such as in matters related to the status and transfer of players. Also, the principle of non-retroactivity has been applied consistently in decisions of the FIFA Dispute Resolution Chamber and the FIFA Players’ Status Committee to disallow the retrospective application of substantive rules.
Traduction libre
La FIFA a une pratique bien établie qui évite l’application avec effet rétroactif de ses règlements dans des domaines non-disciplinaires, comme les cas du statut et du transfert de joueurs. Dès même, le principe de non-rétroactivité a été appliqué de façon consistante dans les décisions rendues par la Chambre des Résolutions des Litiges de la FIFA et par la Commission du Statut du Joueur afin d’empêcher l’application rétroactive des règlements.
95. A la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, la Formation arbitrale considère que l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF ne viole pas le principe de l’interdiction de rétroactivité des normes.
D. Égalité de traitement et droits de la personnalité
a) Egalité de traitement
96. Les Appelants estiment que la règle de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF favorise les joueurs qui n’avaient pas encore atteint l’âge de 21 ans au moment de son adoption. Ces joueurs bénéficieraient de l’avantage, par rapport à ceux ayant déjà eu 21 ans audit moment, de pouvoir renoncer à jouer avec leur association afin de changer d’association plus tard. Le Joueur se trouverait empêché de pouvoir changer d’association du fait de son choix de jouer avec les catégories de niveau inférieur de la RFEF après avoir atteint l’âge de 21 ans. Par conséquent, le fait de soumettre des joueurs à un régime juridique différent selon qu’ils avaient ou non atteint l’âge de 21 ans avant l’entrée en vigueur de la modification constituerait une grave entorse au principe de l’égalité de traitement.
97. Selon la FIFA, l’argument des Appelants doit être rejeté. En effet, il serait tout à fait possible pour un joueur de 21 ans révolus de changer d’association si toutes les conditions cumulatives sont remplies, en particulier que le joueur a joué son dernier match avec une équipe nationale dans une compétition officielle à n’importe quel niveau lorsqu’il n’avait pas encore 21 ans révolus. A cet égard, la FIFA se réfère à des exemples de joueurs ayant 21 ans révolus et qui ont changé d’associations suite aux changements du RASF entrés en vigueur le 18 septembre 2020. De plus, selon elle, le Joueur, qui à l’époque où il a joué son seul match international « A » dans une compétition officielle pour la RFEF, était pleinement conscient du fait qu’il ne pouvait dès lors plus demander de changer d’association. De plus, en jouant par après avec l’équipe nationale des U21 de la RFEF, le Joueur ne bénéficiait d’aucun droit et ne pouvait se baser sur un changement future du RASF lui permettant ensuite de changer d’association.
98. La Formation arbitrale rappelle que la jurisprudence et la doctrine constante en matière d’égalité de traitement ont déclaré que les règlements de la FIFA doivent s’appliquer de manière constante et uniforme à tous les membres de la FIFA, cela afin que garantir l’égalité de traitement entre tous les destinataires de ces normes (TAS 2014/A/3505). L’application stricte et uniforme des règlements de la FIFA permet d’assurer l’égalité de traitement entre tous les joueurs soumis au RASF. En l’espèce, il n’est pas démontré que la règle en question ait été appliquée de manière différente à des situations égales. En effet, le Juge unique s’est penché sur la nouvelle requête du Joueur de changer d’association sur la base du nouveau RASF entrée en vigueur le 18 septembre 2020 et a appliqué ces nouvelles règles au Joueur. Il en a conclu que le Joueur ne remplissait pas la condition de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii). De plus, les Appelants n’allègent même pas que les instances compétentes de la FIFA et/ou le Juge unique auraient appliqué ladite règle de manière différente à un autre joueur dans une situation égale.
99. La Formation arbitrale relève également que la règle de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii du RASF ne favorise pas les joueurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de 21 ans, et qui bénéficieraient d’un avantage, soit celui de pouvoir renoncer à jouer pour leur association en vue d’un possible changement d’association, face aux joueurs qui ont 21 ans révolus et qui ne peuvent plus changer d’association s’ils ont déjà joué dans une compétition officielle en ayant 21 ans révolus. En effet, comme expliqué ci-dessus, le Joueur n’avait aucun droit de requérir un changement d’association sous l’ancienne règlementation du fait qu’il avait déjà joué dans une compétition officielle de niveau « A » pour la RFEF. Il est tout à fait légitime pour un jeune joueur de continuer à tenter sa chance afin de pouvoir jouer à nouveau avec l’équipe « A » d’une association nationale en jouant avec les équipes nationales U19 et U21, ceci dans le but d’acquérir du temps de jeu et de l’expérience en équipe nationale. De plus, un joueur ayant 21 ans révolus peut tout à fait déposer une requête de changement d’association sous les nouvelles règles du RASF et voir cette requête aboutir s’il démontre que les conditions cumulatives sont remplies.
100. Par conséquent, la Formation arbitrale conclut que la règle de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF et l’application que le Juge unique en a fait ne violent pas le principe de l’égalité de traitement.
b) Droits de la personnalité du Joueur
101. Les Appelants soutiennent encore que la règle de l’article 9 alinéa 1 lettre c) iii) du RASF viole gravement leurs droits de la personnalité. En effet, en se référant aux article 27 et 28 CC ainsi qu’à la jurisprudence du TAS en la matière, les droits de la personnalité du joueur et de la FRMF seraient violés du fait que la disposition litigieuse et la Décision attaquée interdisent au Joueur de jouer avec l’équipe nationale d’un pays dont il est ressortissant et interdit à la FRMF de convoquer le Joueur, ce qui lui permettrait de rivaliser avec les meilleures autres équipes nationales. Par conséquent, cette atteinte est illicite, dénuée de base légale, du consentement du joueur ou d’un intérêt prépondérant de la FIFA à son application.
102. La FIFA, quant à elle, soulève tout d’abord l’exception de chose jugée car elle estime que l’argument que les Appelants mettent en avant au sujet de la violation de leurs droits de la personnalité a autorité de chose jugée (res judicata). En effet, selon elle, la formation arbitrale dans l’affaire TAS 2018/A/5634 a traité le même objet du litige, entre les mêmes parties et sur la base du même régime juridique (même si les règles de changement d’association ont changé entre les deux procédures arbitrales).
103. De plus, à titre subsidiaire, la FIFA soutient que la Décision attaquée et le RASF ne violent pas les droits de la personnalité des Appelants et que dans tous les cas, les exceptions de l’article 2 CC sont applicables au cas d’espèce.
104. La Formation arbitrale estime tout d’abord qu’elle est en droit de revoir la question de la violation des droits de la personnalités des Appelants dans le cas d’espèce et que l’exception de chose jugée soulevée par la FIFA doit être rejetée. En effet, il n’est pas contesté que la présente procédure se déroule entre les mêmes parties et sur le même objet du litige, soit une décision rejetant une requête de changement d’association. Cependant, selon la Formation arbitrale, le cadre juridique n’est pas le même depuis la décision rendue par la formation arbitrale dans l’affaire TAS 2018/A/5634. En effet, les Appelants ont déposé une nouvelle requête de changement d’association sur la base de la nouvelle règlementation en vigueur depuis le 18 septembre 2020, requête qui a fait l’objet d’une décision du Juge unique qui s’est basé sur cette nouvelle règlementation et qui fait l’objet du présent appel.
105. De plus, comme le rappelle le Tribunal fédéral suisse dans sa jurisprudence, il y a autorité de la chose jugée lorsque la prétention litigieuse est identique à celle qui a déjà fait l'objet d'un jugement passé en force (identité de l'objet du litige). Tel est le cas lorsque, dans l'un et l'autre procès, les mêmes parties ont soumis au juge la même prétention en se basant sur les mêmes faits. Précisant sa jurisprudence en la matière, le Tribunal fédéral a indiqué, dans un récent arrêt, qu'il n'est, en principe, pas nécessaire d'inclure la cause juridique dans la définition de l'objet du litige, partant que l'identité des prétentions déduites en justice est déterminée par les conclusions de la demande et les faits invoqués à l'appui de celle-ci, autrement dit par le complexe de faits sur lequel les conclusions se fondent (ATF 139 III 126 consid. 3.2.2 et 3.2.3).
106. En l’occurrence, le régime juridique qui a été appliqué dans la Décision attaquée est différent de celui qui était l’objet du litige dans la procédure TAS 2018/A/5634. Partant, la Formation arbitrale rejette l’exception soulevée par la FIFA.
107. Concernant les droits de la personnalité, la Formation arbitrale note qu’en l’absence de toute disposition en ce qui concerne les droits de la personnalité dans les règlements de la FIFA, il convient d’appliquer le droit suisse, en l’occurrence les articles 27 et 28 CC.
108. L’article 27 CC prévoit :
« Nul ne peut, même partiellement, renoncer à la jouissance ou à l'exercice des droits civils.
Nul ne peut aliéner sa liberté, ni s'en interdire l'usage dans une mesure contraire aux lois ou aux moeurs. »
109. Selon l’article 28 CC :
« Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi. »
110. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse (ATF 120 II 369) et du TAS (TAS 2012/A/2720), la garantie de l’article 28 CC est bien applicable dans le domaine du droit du sport. L’article 28 CC évoque la notion de personnalité; il ne procède toutefois à aucune énumération des droits de la personnalité (CR-CC/JEANDIN, 2010, Art. 28 no. 23). La doctrine et la jurisprudence ont procédé à une catégorisation des droits de la personnalité. Parmi les droits de la personnalité reconnus sont ceux qui découlent de l’appartenance de tout particulier à la société au sein de laquelle chacun se trouve inséré dans un tissu de liens sociaux (CRCC/JEANDIN, 2010, Art. 28 no. 34). L’environnement social issu de la coexistence de plusieurs individus aboutit en effet à des interactions auxquelles il convient de mettre des limites lorsqu’elles touchent à la sphère privée (CR-CC/JEANDIN, 2010, Art. 28 no. 34). La garantie de l’article 28 CC s’étend à l’ensemble des valeurs essentielles de la personne qui lui sont propres par sa seule existence et peuvent faire l’objet d’une atteinte (ATF 134 III 193, consid.4.5 et les réf. citées).
111. La liberté d’exercer une activité sportive de son choix, entre partenaires de même valeur et contre des adversaires équivalents, fait – selon la jurisprudence – partie des droits de la personnalité protégés par l’article 28 CC (OG Zürich 7.11.1977, in BONDALLAZ, Toute la jurisprudence sportive en Suisse, 2000, p. 9, 11).
112. Dès lors, pour qu'il y ait atteinte aux droits de la personnalité au sens de l'article 28 al. 2 CC, il faut que l'existence ou la substance d'un bien de personnalité soit remise en cause, partiellement ou totalement, et avec une intensité dépassant le seuil de tolérance.
113. Par ailleurs, comme soulevé par la doctrine, le titulaire des droits de la personnalité est en premier lieu la personne physique. Une personne morale est également détentrice de droits de la personnalité, mais dans la mesure de l’étendue de la jouissance des droits civils qui lui confère la loi (art. 53 CC): elle ne peut ainsi s’en prévaloir qu’à raison des biens de la personnalité qui ne sont pas inséparables des conditions naturelles de l’homme telle que le sexe, l’âge ou la parenté, à savoir ceux qui protègent la personnalité sociale (CR-CC/JEANDIN, 2010, Art. 28 no. 20). En outre, une association peut attaquer une mesure illicite non seulement quand cette mesure porte atteinte à ses propres droits personnels, mais aussi quand elle lèse les intérêts collectifs de ses membres (JdT 1950 I 162).
114. Dans le cas d’espèce, la Formation arbitrale considère qu’il n’y a pas d’atteinte aux droits de la personnalité tant du Joueur que de la FRMF.
115. En effet, concernant le Joueur, ni la Décision attaquée ni l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF n’ont pour effet de remettre en cause, partiellement ou totalement, et ne dépassent nullement le seuil de tolérance de la liberté du Joueur d’exercer une activité sportive de son choix, entre joueurs de même valeur et contre des adversaires équivalents. Le Joueur est encore éligible pour participer dans des compétitions avec l’équipe « A » de la RFEF et est actuellement sous contrat avec le club FC Séville en tant que footballeur professionnel. Par conséquent, aucun obstacle ne se présente à lui pour jouer dans des compétions internationales, que cela soit en équipe nationale de la RFEF ou avec son club si celui-ci devait se qualifier pour une des compétitions de clubs de l’UEFA, soit la Champions League ou l’Europa League, contre des adversaires équivalents. Étant footballeur professionnel, il est en droit de continuer de pratiquer une activité économique avec son employeur actuel, le club FC Séville, et aussi libre à lui d’être transféré dans un autre club de son choix afin de continuer à pratiquer son activité sportive et économique.
116. De plus, depuis l’affaire TAS 2018/A/5634, le Joueur est parfaitement conscient de l’approche de la jurisprudence en la matière.
117. En conclusion, la Formation arbitrale en conclut que l’interdiction qui lui a été imposée de changer d’association afin de pouvoir jouer pour la FRMF par la Décision attaquée et l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF n’ont pas pour effet de remettre en cause, au-delà du seuil de tolérance, sa liberté d’exercer une activité sportive et économique de son choix entre partenaires de même valeur et contre des adversaires équivalents.
118. Concernant la FRMF, à défaut de preuve dans le dossier, il est indéniable qu’on ne saurait se baser sur une simple spéculation selon laquelle la FRMF convoquerait le Joueur de toute manière pour jouer avec son équipe nationale « A » si la requête de changement d’association du Joueur était acceptée. En tout état de cause, la Formation arbitrale précise que la FRMF est un membre de la FIFA et est consciente des règles de changement d’association, que ce soit sous l’ancienne ou sous la nouvelle réglementation. En effet, des joueurs binationaux ont vu leur demande de changement d’association être acceptée par la FIFA et ont pu donc devenir éligible de jouer pour l’équipe « A » de la FRMF. Par ailleurs, la FRMF fait partie des membres de la FIFA qui ont consenti à se soumettre aux Statuts et aux règlements de la FIFA, dont le RASF, qui limitent la possibilité pour un membre de sélectionner des joueurs d’autre nationalité ou de double nationalité qui ont joué leur dernier match dans une compétition officielle pour leur association alors qu’ils avaient 21 ans révolus. De l’avis de la Formation arbitrale, un tel consentement n’est pas constitutif d’un engagement excessif au sens de l’article 27 CC, cela au vue des autres conditions cumulatives applicables de l’article 9 alinéa lettre c) qui assouplissent l’ancienne réglementation du RASF qui interdisait à tout joueur ayant déjà joué pour une équipe nationale de niveau « A » de changer d’association.
119. Partant, la Formation arbitrale conclut que la Décision attaquée doit être confirmée dans son entièreté et que l’appel des Appelants doit être rejeté.
120. Toutes autres requêtes et plus amples conclusions des Appelants sont rejetées.
IX. FRAIS
121. L'article R64.4 du Code TAS prévoit ce qui suit :
A la fin de la procédure, le Greffe du TAS arrête le montant définitif des frais de l’arbitrage qui comprennent le droit de Greffe du TAS, les frais administratifs du TAS calculés selon le barème du TAS, les frais et honoraires des arbitres, les homortaires du/de la greffier(-ière), le cas échéant, calculés selon le barème du TAS, une participation aux débours du TAS et les frais de témoins, expert(e)s et interprètes. Le décompte final des frais de l’arbitrage peut soit figurer dans la sentence, soit être communiqué aux parties séparément. [...]
122. Selon l'article R64.5 du Code TAS:
Dans la sentence arbitrale, la Formation détermine quelle partie supporte les frais de l’arbitrage ou dans quelle proportion les parties en partagent la charge. En principe et sans qu’une requête spécifique d’une partie soit nécessaire, la Formation peut librement ordonner à la partie qui succombe de verser une contribution aux frais d’avocat de l’autre partie, ainsi qu’aux frais encourus par cette dernière pour les besoins de la procédure, notamment les frais de témoins et d’interprète. Lors de la condamnation aux frais d’arbitrage et d’avocat, la Formation tient compte de la complexité et du résultat de la procédure, ainsi que du comportement et des ressources des parties.
123. Selon la jurisprudence et la doctrine du TAS (Mavromati D., Reeb M., The Code of the Court of Arbitration for Sport : Commentary, Cases and Materials, 2015, p. 628, nr. 28 ; CAS 2007/A/1272):
“As a general rule, the Panel may follow reasonable and objective criteria in order to grant the prevailing party a contribution towards its legal fees and expenses with regard to the arbitration proceedings. (…). In this respect, when the proceedings are based on the lack of transparency of the applicable rules of a federation (…), this is a factor to be taken into account for determining the costs of arbitration – even if the federation has prevailed in the arbitration.”
Traduction libre
« En règle Générale, la Formation arbitrale se base sur des critères raisonnables et objectifs lorsqu’elle alloue à la partie qui obtient gain de cause une contribution à ses frais de représentation et aux frais de l’arbitrage. (…) A cet égard, lorsque la procédure fait suite au manque de transparence des règles applicables d’une fédération (…), cela est un facteur qui doit être pris en compte pour déterminer les frais de l’arbitrage, même si la fédération a eu gain de cause dans la procédure. »
124. En l’occurrence, la Formation arbitrale est d’avis que, au vu du résultat de la présente procédure mais aussi de la remarque faite au sujet de la clarté de la règle de l’article 9 alinéa 2 lettre c) iii) du RASF au paragraphe 76 ci-dessus, les frais d’arbitrage tels que définis par l’article R64.4 du Code, doivent être mis à la charge des Appelants, conjointement et solidairement, à hauteur de 80%, et à la charge de la FIFA à hauteur de 20%.
125. Chaque partie supporte ses propres frais encourus en relation avec la présente affaire.
126. Toute autre demande est rejetée.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal Arbitral du Sport prononce :
1. L’appel déposé par Munir El Haddadi et la Fédération Royale Marocaine de Football à
l’encontre de la décision du 23 septembre 2020 du Juge unique de la Commission du
Statut du Joueur de la Fédération Internationale de Football Association est rejeté.
2. La décision rendue le 23 septembre 2020 par le Juge unique de la Commission du Statut
du Joueur de la Fédération Internationale de Football Association est confirmée.
3. Les frais d’arbitrage, dont le montant sera communiqué aux parties par le Greffe du
Tribunal Arbitral du Sport par courrier séparé, sont mis à la charge des parties de la façon
suivante :
- Munir El Haddadi et la Fédération Royale Marocaine de Football, conjointement et
solidairement, à hauteur de 80%; et
- Fédération Internationale de Football Association à hauteur de 20%.
4. Chaque partie supporte ses propres frais encourus en relation avec la présente affaire.
5. Toutes autres ou plus amples conclusions sont rejetées.
Siège de l’arbitrage : Lausanne
Date du dispositif de la sentence arbitrale : le 6 novembre 2020
Date de la décision motivée : le 18 janvier 2021
LE TRIBUNAL ARBITRAL DU SPORT
Me Benoît Pasquier
Président
M. Jacques Radoux
Arbitre
Me Patrick Lafranchi
Arbitre
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